Sandro Magister, dans son dernier billet, publie en exclusivité un texte du cardinal Brandmüller, sous le titre « Les conférences épiscopales et le déclin de la foi. Comment inverser le cours des choses ». L’érudit cardinal allemand de 95 ans (eh oui! c’est ainsi qu’on se représente un cardinal: un puits de science parfois très âgé) fut un ami de Benoît XVI, ce qui ne l’empêchait pas d’être critique (on se souvient de ses mots très durs sur la « démission » de Benoît XVI, qui s’en était trouvé blessé) met justement en cause non pas le pape Benoît, mais le théologien puis cardinal préfet Joseph Ratzinger.

Le cardinal Brandmüller

L’article de Sandro Magister, désormais en retrait(e) a été publié en italien et en traduction française sur diakonos.be (la nouvelle adresse de son blog Settimo Cielo).

L’introduction de Magister, remarquable comme d’habitude, souligne, entre autre, que l’acuité intellectuelle n’est pas forcément liée à l’âge… au contraire, l’âge autorise le recul nécessaire, l’ampleur de la culture et l’expérience pour avoir une vue d’ensemble et lire le présent avec les yeux de toujours:

Alors que le synode sur la synodalité se traîne péniblement vers une conclusion une fois de plus provisoire et vague, de l’extérieur, deux insignes cardinaux de plus de quatre-vingt-dix ans disent et écrivent des choses incomparablement plus solides et vitales. Tous deux ont un regard sur l’ensemble de l’histoire de l’Église.

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Le premier est le Chinois Joseph Zen Zekiun, 92 ans, ancien évêque de Hong Kong, avec un petit livre incisif publié il y a quelques jours en Italie : “Una, santa, cattolica e apostolica. Dalla Chiesa degli apostoli alla Chiesa sinodale ». Il y voit l’histoire de l’Église comme une histoire de martyrs de la foi.

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Le second est l’Allemand Walter Brandmüller, 95 ans, une vie de savant et de Professeur d’histoire, président de 1998 à 2009 du Comité pontifical pour les sciences historiques, avec le texte ci-dessous, qu’il a écrit et offert à Settimo Cielo pour publication.

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Sa reconstruction érudite et convaincante situe l’origine de l’authentique direction collégiale de l’Église, dès les premiers siècles, dans les conciles ou synodes qui étaient dirigés par l’évêque métropolitain compétent. Rien à voir avec les conférences épiscopales modernes, qui aspirent aujourd’hui à se voir attribuer « une certaine autorité doctrinale » (Evangelii gaudium, n°32), mais qui sont en réalité nées pour des raisons politiques et de relations ad extra avec la société environnante.

Voici le passage du texte du cardinal Brandmüller qui met en cause le théologien Ratzinger:

L’objectif originel de la conférence épiscopale était – et devrait continuer à être – de débattre et de décider des questions concernant la vie de l’Église dans un cadre politique de référence. L’histoire et les objectifs de la conférence épiscopale montrent qu’elle se préoccupe avant tout de la gestion des relations entre l’Église et le contexte étatique et social dans lequel elle vit.

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Toutefois, depuis le XXe siècle, des développements concrets ont conduit la conférence épiscopale à s’occuper également – sinon principalement – de questions internes à l’Église.

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À l’appui de cette pratique, il est fait référence au numéro 23 de la constitution conciliaire Lumen Gentium, où il n’est toutefois indiqué qu’en marge que la conférence épiscopale peut apporter « une contribution multiple et fructueuse pour que le sens de la collégialité se réalise concrètement ».

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C’est précisément de ce texte que le jeune théologien Joseph Ratzinger a estimé pouvoir tirer la thèse selon laquelle la conférence épiscopale pouvait être considérée comme la concrétisation actuelle de la structure synodale de l’Église primitive (dans : J.C. Hampe, « Ende der Gegenreformation. Das Konzil : Dokumente und Deutung », Mayence 1964, titre : “Konkrete Formen bischöflicher Kollegialität”).
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Ce fut ensuite l’expérience des développements postconciliaires qui le conduisirent, alors qu’il était devenu préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, à une vision désabusée et plus critique de la conférence épiscopale. Entre-temps, en effet, les conférences épiscopales s’étaient établies partout et, surtout en Europe, avaient développé des formes et des procédures qui leur donnaient l’apparence d’un corps hiérarchique intermédiaire entre le Saint-Siège et l’évêque individuel.

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Les conséquences de cette façon de voir les choses ont été absolument négatives. Les appareils bureaucratiques des conférences épiscopales se sont de plus en plus emparés des questions qui concernaient l’évêque individuel. Ainsi, sous le prétexte d’une réglementation uniforme, la liberté et l’autonomie des évêques individuels ont été – et continuent d’être – bafouées.

Dans ce contexte, Ratzinger parle également d’esprit de groupe, de conformisme et d’irénisme, d’ajustements, pour le bien de la paix, qui peuvent déterminer l’action des conférences épiscopales. Il critique en particulier la prétention de la conférence épiscopale à l’autorité d’enseignement. […]

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Ensuite, Ratzinger note également que les évêques se sont souvent opposés à l’établissement d’une conférence épiscopale, estimant qu’elle restreindrait leurs droits.

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Le jugement du cardinal Ratzinger sur les conférences épiscopales

Entretien avec Vittorio Messori en 1984,
en français  « Entretien sur la foi », Fayard, 1985, pages 65-68
(benoit-et-moi.fr/2015-II/benot-xvi/le-probleme-des-conferences-episcopales)

Le problème des Conférences épiscopales

Les évêques sont ceux qui, étant les « successeurs des Apôtres », détiennent la « plénitude du sacerdoce », sont « les maitres authentiques » de la doctrine chrétienne, « jouissent d’une autorité propre, ordinaire et immédiate sur l’Église qui leur est confiée », dont ils sont « principe et fondement d’unité » ; et qui, unis dans le collège épiscopal avec à sa tête le Pape, « agissent en la personne du Christ » pour gouverner l’Église universelle.

Toutes ces définitions que nous venons de donner appartiennent à la doctrine catholique sur l’épiscopat et ont été réaffirmées avec vigueur par Vatican II.

Le Concile, rappelle le Cardinal Ratzinger,

« voulait justement renforcer le rôle et la responsabilité de l’évêque, reprenant et complétant l’œuvre du Concile Vatican I, interrompu par la prise de Rome alors qu’il ne s’était encore occupé que du Pape. Les Pères conciliaires avaient reconnu l’infaillibilité du Pape dans le magistère quand, en tant que Pasteur et Docteur suprême, il proclame qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être observée ».

Il s’était créé de ce fait un certain déséquilibre chez quelques théologiens qui ne soulignaient pas assez que le Collège épiscopal aussi jouit de la même « infaillibilité dans le magistère », pourvu toujours que les évêques « conservent le lien de communion entre eux et avec le successeur de Pierre ».

Tout a ainsi été remis en place avec Vatican II ?

« Dans les documents, oui, mais pas dans la pratique, où s’est manifesté un autre des effets paradoxaux de l’après-Concile », répond-il.

Il explique en effet :

« La nette remise en valeur du rôle de l’évêque s’est en réalité atténuée, au risque même de se trouver étouffée par l’intégration des évêques à des conférences épiscopales de plus en plus organisées, dotées de structures bureaucratiques souvent lourdes. Nous ne devons pas oublier que les conférences épiscopales n’ont pas de base théologique, elles ne font pas partie de la structure irréfragable de l’Église telle que l’a voulue le Christ : elles n’ont qu’une fonction pratique et concrète. »

« C’est d’ailleurs ce que reconfirme le nouveau Code de Droit canon qui fixe les sphères d’autorité des Conférences ; celles-ci « ne peuvent agir valablement au nom de tous les évêques que si tous et chacun des évêques ont donné leur accord », et que s’il s’agit de « matières sur lesquelles le droit universel en a disposé, ou bien qu’un mandat spécial du Siège Apostolique l’établisse » (CIC can. 455, § 4 et § 1).

Le collectif ne remplace donc pas la personne de l’évêque qui – rappelle le Code en se référant au Concile – « est le docteur et le maître authentique de la foi pour les croyants confiés à ses soins » (cf. can. 753). »

Ratzinger insiste :

« Aucune Conférence épiscopale n’a en tant que telle une mission de magistère ; ses documents n’ont pas de valeur spécifique, ils ont la valeur de l’accord donné par chaque évêque. »

Pourquoi le Préfet insiste-t-il sur ce point ?

« Parce que, répond-il, il s’agit de sauvegarder la nature même de l’Église catholique, qui se fonde sur une structure épiscopale et non pas sur une sorte de fédération d’églises nationales

L’échelon national n’est pas une dimension ecclésiale. Il faut qu’il redevienne clair que dans chaque diocèse, il n’y a qu’un seul pasteur et maître de la foi, en communion avec les autres pasteurs et maîtres et avec le Vicaire du Christ. L’Église catholique repose sur l’équilibre entre la communauté et la personne : en l’espèce, la communauté de chacune des églises locales, unies dans l’Église universelle, et la personne du responsable du diocèse. »

Il arrive, dit-il, que

« une certaine perte du sens de la responsabilité individuelle, chez quelques évêques, et le fait de déléguer leurs pouvoirs inaliénables de pasteurs et maîtres aux structures de la Conférence locale, risquent de faire tomber dans l’anonymat ce qui doit au contraire rester tout à fait personnel. 

Le groupe des évêques réunis dans les Conférences dépend, pour ce qui est des décisions, d’autres groupes ou de bureaux créés à cette fin, qui produisent des schémas préparatoires. Il advient ensuite que la recherche du point de rencontre entre les diverses tendances et l’effort de médiation donnent souvent lieu à des documents aplatis d’où les positions nettes (quand il en est besoin) sortent émoussées. »

Il rappelle que, dans son propre pays, une Conférence épiscopale existait déjà dans les années trente :

« Eh bien, les textes vraiment vigoureux contre le nazisme furent ceux qui émanaient d’évêques isolés, courageux. Ceux de la Conférence semblaient souvent édulcorés, trop faibles pour ce que la tragédie requérait. »

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