Les médias mainstream le détestent, forcément pour de mauvaises raisons. Il n’est évidemment pas dans le troupeau. Les plus conservateurs parmi nous éprouvent à son égard un mélange de fascination et de méfiance, d’enthousiasme et d’inquiétude, quand il ne s’agit pas d’un sentiment de rejet pur et simple pour sa prétention à se substituer à Dieu.
Peut-être son nom restera-t-il dans l’histoire de l’humanité comme celui d’un navigateur intrépide d’espaces inexplorés, un visionnaire génial qui ne s’interdit rien, bref, un Léonard de Vinci du XXIe siècle.
A moins qu’il ne reste que comme celui d’un savant fou, une incarnation du mal, qui a essayé de réaliser son rêve de démiurge de contrôler l’humanité pour la conduire à sa perte (je me trompe peut-être, je ne prends pas de risque car je parie sur le très long terme).
En attendant, notre cher philosophe italien Marcello Veneziani fait une brillante synthèse de tous les sentiments qui nous agitent quand nous prononçons son nom.
Qui est vraiment (et que veut vraiment) Elon Musk?

Elon Musk, le messie inquiétant.

Il témoigne de courage et suscite peut-être même de la sympathie, l’intrépide Elon Musk, qui, contre tout et tous, soutient Donald Trump et se range de son côté pour reconquérir la Maison Blanche. Sa prise de position contre l’establishment, le mainstream et la gauche mondiale suscite l’admiration.

Elon Musk praised Italy’s Giorgia Meloni at an awards ceremony in Manhattan.
Cela ne se voit pas ici, mais Mme Meloni a réellement de très étonnants yeux bleus

Et les Italiens de centre-droit [ndt: l’équivalent italien de « notre » extrême-droite, ce qui n’empêche pas les médias transalpins de crier au retour du fascisme à son sujet] apprécient son alchimie avec Giorgia Meloni, au point de soupçonner une histoire d’amour. La preuve en est une photo sur laquelle Giorgia regarde avec ravissement, avec ses yeux de conte de fées, le valeureux Musk. Bref, Melon Musk.

Mais à côté du Musk qui prend parti dans la contestation politique du présent, il y a un Elon qui se préoccupe de l’avenir avec l’idée de changer l’humanité en passant à la transhumanité, en conquérant l’espace, en transférant à l’intelligence artificielle des activités qui étaient jusqu’ici l’apanage et la marque de l’intelligence humaine et naturelle. Jusqu’à promettre une immortalité artificielle biotechnologique.

Le voilà, le Musk hardi navigateur de l’espace à la conquête de Mars et des planètes les plus lointaines ; le voilà, le sauveur du monde d’un désastre planétaire par un pacte faustien où l’homme mute corps, âme et esprit pour affronter les tempêtes ; le voilà, l’intrépide magicien Elon à la recherche de l’élixir de jouvence éternelle, modifiant génétiquement et bioniquement l’humain et le naturel. « Je vaincrai les courants gravitationnels, l’espace et la lumière pour que tu ne vieillisses pas. Et tu guériras de toutes les maladies », chantait Franco Battiato dans La Cura [en 1996} ; Elon Musk pense qu’il est vraiment en train de le faire…

Fascinant et prodigieux, pour ne pas dire plus, à moins qu’il ne soit vélléitaire et illusioniste. Quand un homme, seul, promet de remplacer le Destin ou le Divin, la Nature et ses limites, cela sent le surhumanisme, c’est-à-dire Nietzsche dans sa version technologique.

Qui détiendrait les clés de cette mutation, qui en serait le réalisateur, où irait un tel projet et dans quelles mains ? Où en est le projet muskien qui envisage la connexion entre les smartphones, les données numériques et le cortex cérébral, créant une véritable télépathie, un flux constant entre l’homme et la machine ? On l’a baptisé Neural Lace [ndt: l’implant cerveau-machine développé par la startup de Musk Neuralink], une sorte de Bluetooth neuronal où le cerveau serait connecté au PC, c’est-à-dire à l’intelligence artificielle. Mais qu’adviendrait-il de l’esprit humain, de l’âme, de l’identité d’un sujet, réduit à n’être qu’un port où les données accostent et naviguent, presque une station postale de passage ?

Si c’est un visionnaire solitaire, un poète ou un chercheur dans son laboratoire qui cultive son rêve, celui-ci reste dans le domaine inoffensif de la littérature ou dans la sphère prudente de l’expérimentation. Mais si l’homme qui promet le changement est l’homme le plus riche du monde, un entrepreneur de grande envergure dans des domaines disparates et interconnectés, qui possède un empire dans les domaines des transports, des communications, de la recherche scientifique et neurologique, et des entreprises spatiales, alors le discours prend une tournure différente, voire dangereuse.

Musk, selon Forbes, est l’homme le plus riche du monde, propriétaire d’une entreprise aérospatiale, d’une entreprise automobile, de Twitter, qu’il a rebaptisé X, de systèmes futuristes de transport spatial, de laboratoires d’avant-garde en intelligence artificielle et en neurotechnologie qui, selon les légendes qui ont vu le jour ces dernières années, visent à insérer dans le cerveau une puce pouvant servir à corriger des malformations même graves, mais aussi à réduire les humains à l’état d’extraterrestres, totalement hétérodirigés et télécommandés.

Au-delà même de ses intentions, le projet pourrait lui échapper des mains, comme à l’apprenti sorcier. Ironie facile du type Les Fascistes sur Mars, mais ici, il n’y a pas de quoi plaisanter. D’autant qu’il ne s’agit pas de prouesses accomplies par des États et des unions d’États, des organismes internationaux et des alliances, mais par un seul Prométhée déchaîné.

Qui peut nous assurer que son projet titanesque n’est pas au-delà du bien et du mal, mû par une volonté de puissance qui dégénère facilement en délire de toute-puissance ? Où se retrouveraient la nature et l’homme, avec leurs limites et leurs identités, la culture, la religion et la tradition ? Où finirait l’âme, qu’il définit comme la trace numérique laissée par un être humain et réductible à des données téléchargeables et transférables ; quelle serait la place de notre vie spirituelle et de notre intelligence critique dans cette ivresse technologique et eschatologique ? Et sur le plan politique, son projet est-il compatible avec le monde conservateur auquel il s’adresse aux Etats-Unis comme en Italie ? Il est vrai que le courant du « modernisme réactionnaire » décrit par Jeffrey Herf a existé, mais cela ne dissipe pas l’inquiétude, bien au contraire…

Un précédent chez nous est le futurisme. Dans un roman écrit en 1909 en français par Filippo Tommaso Marinetti , Mafarka le futuriste, le protagoniste veut créer l’homme nouveau, un rêve partagé au début du XXe siècle par les Américains, les Russes et les Italiens, c’est-à-dire les capitalistes, les communistes et les fascistes. Et il veut le créer « sans la concurrence et la complicité puante de la matrice féminine », mais avec l’aide des machines. Visionnaire aussi, mais ce n’était que de la littérature.

Alors, comment faire face à Musk et à ses projets ? Je reviens sur terre et j’ai recours à la sagesse paysanne. Gloria, une vaillante femme de la Maremme qui cultive la terre, utilise un ancien verbe de son coin de pays : il faut scattivare [*] les fruits et légumes, c’est-à-dire se débarrasser des parties vilaines ou pourries. C’est ce qu’il faut faire avec la technologie. Il faudrait « scattivare » Musk et son projet…

Mais qui pourrait le faire à part Gloria ?

(*) Ndt

S-cattivare: le « s » est privatif. Cattivo signifie « mauvais ». On pourrait traduire par « enlever le mauvais ».

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