Passionnante analyse. Les conclusions posées par le pape ouvrent peut-être à des développements inattendus que Giuseppe Nardi n’hésite pas à assimiler à un coup d’état dans l’Eglise. Enfin, c’est une hypothèse, mais bien étayée. Pour comprendre la démarche un tantinet tordue du locataire de Sainte Marthe, il faut remonter à un document vieux de 6 ans, qui n’avait à l’époque guère retenu l’attention, hormis celle des spécialistes en droit canon: par la constitution apostolique Episcopalis communio du 18 septembre 2018, François a introduit la possibilité d’attribuer un caractère magistériel aux documents finaux du synode.
« Ce que nous avons approuvé »
François a-t-il en fin de synode mis à feu le turbo de la révolution?
Le pontificat du flou permanent
Katholisches
Giuseppe Nardi
28 octobre 2024
La synthèse synodale de Giuseppe Nardi
Le pape François tire-t-il finalement le frein à main ? Ou réalise-t-il un coup d’état ? Nous ne serions pas sous le pontificat de François s’il n’y avait pas d’ambiguïté à ce sujet.
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Dans un premier temps, il a prolongé la durée du synode des évêques, qui en réalité n’est nullement un synode des évêques, jusqu’en juin 2025. Au terme de la deuxième session, François annonce maintenant qu’il renonce à la publication d’une exhortation post-synodale, comme c’était l’usage jusqu’à présent. Y a-t-il des objections juridiques ? Ou François veut-il tenter pour la première fois un putsch « synodal » en insérant ses interventions dans la constitution de l’Église de 2018 ?
Les particularités du synode sur la synodalité ont déjà été maintes fois soulignées. Le synode des évêques institutionnalisé était une invention de la phase finale du Concile Vatican II, introduite par le pape Paul VI. François a introduit le terme de « synodalité », qui n’a aucune signification canonique, c’est-à-dire en termes de droit canonique. On pourrait parler d’un mot-clé, voire d’un slogan à la mode. Le secteur des relations publiques invente de nouveaux termes pour des choses anciennes afin de relancer les affaires.
Mais dans ce cas spécifique, cela ne s’applique pas, car le principe synodal signifie quelque chose de très concret qui, sous la forme voulue par François, ne correspond pas à la constitution traditionnelle de l’Église. Celle-ci connaît certes un moment synodal, mais les priorités sont différentes de celles imaginées par François. Ses innovations sont volontiers justifiées par une référence à l’Eglise orientale, mais correspondent en réalité davantage à celles des communautés protestantes.
Bref, il a changé les règles du jeu et a jeté le synode des évêques à la poubelle, en nommant dans un second temps des laïcs et des femmes comme membres, reprenant ainsi des éléments du protestantisme. Les autorités vaticanes ont ensuite tacitement laissé tomber le mot évêque dans le terme synode des évêques et n’ont plus parlé que de synode.
Mais après cela, il y a eu un nouveau revirement. Au cours des dernières semaines, les autorités vaticanes ont à nouveau systématiquement parlé de synode des évêques, sachant pertinemment que ce qui venait de se passer avec le synode sur la synodalité n’était pas un synode des évêques.
C’est le cardinal Müller, une fois de plus, qui, il y a quelques mois déjà, avait mis le doigt sur le problème de manière concise, pertinente et pointue en expliquant – alors que François l’avait personnellement nommé membre, comme l’un des nombreux gestes de son pontificat de gestes – que le synode sur la synodalité était bien sûr une « assemblée » de l’Eglise, mais pas un synode ecclésial, car ce qui devait y être décidé ou en résulter n’aurait aucune valeur juridique.
Or, François a déclaré textuellement dans son discours de clôture du samedi 26 octobre :
« Pour cette raison, je n’ai pas l’intention de publier une ‘lettre apostolique’, ce que nous avons approuvé suffit. Le document contient déjà des indications très concrètes qui peuvent servir de guide pour la mission des Eglises sur les différents continents et dans les différents contextes : c’est pourquoi je le mets immédiatement à la disposition de tous, c’est pourquoi j’ai dit qu’il devait être publié. Je veux ainsi reconnaître la valeur du parcours synodal achevé que je remets au peuple saint et croyant de Dieu avec ce document« .
Mais qu’est-ce que cela signifie exactement ? Selon la pratique actuelle, le document final du synode n’aurait aucun caractère juridique, c’est pourquoi, d’un point de vue juridique, il ne pourrait s’agir que de « belles » paroles prononcées dans le vent. Le caractère n’est que consultatif et donc c’est un document mis à la disposition du pape, lequel peut n’en retenir que ce qu’il souhaite.
Cela signifie-t-il que François tire finalement le frein à main, après avoir laissé s’exprimer « synodalement » les éternels esprits perturbateurs de l’Eglise, libérés de la boîte de Pandore dans le sillage du Concile Vatican II?Ou bien qu’il met vraiment le turbo ?
Les nouvelles règles révolutionnaires de 2018
En 2018, François a introduit de nouvelles règles pour le synode des évêques. À l’époque, l’Église s’apprêtait à organiser le synode des jeunes, qui, comme tant d’autres choses dans ce pontificat, est resté lettre morte. Une grande dépense pour aucun effet.
Le 18 septembre 2018, François publiait la constitution apostolique Episcopalis communio, qui contient des nouveautés de la plus haute importance, mais qui n’a guère retenu l’attention, hormis celle des spécialistes en droit canon.
Paul VI avait introduit en 1965 le synode des évêques à caractère purement consultatif en se référant au Concile Vatican II. Mais François lui a reconnu il y a six ans, à la surprise et à la consternation de nombreux spécialistes du droit canonique, également des pouvoirs magistériels. Le passage révolutionnaire se trouve dans l’article 18 de la Constitution.
« S’il est expressément approuvé par le pape, le document final fait partie du magistère ordinaire du successeur de Pierre.
Si le Pape a délégué à l’Assemblée synodale le pouvoir délibératif selon le Can. 343 du Code de Droit canonique, le document final fait partie du magistère ordinaire du Successeur de Pierre, dès qu’il est ratifié et promulgué par lui ».
La bombe avait été déclenchée, mais personne ne semblait avoir entendu l’explosion. François avait provoqué la détonation de manière assez souterraine, suffisamment bien cachée. Nous écrivions à ce sujet le 24 septembre 2018 :
« Si l’admission des divorcés remariés aux sacrements et la reconnaissance de l’homosexualité avaient obtenu la majorité espérée par l’entourage du pape lors du synode sur la famille, elles seraient ainsi devenues automatiquement partie intégrante du magistère de l’Église. Le pape François, qui fait avancer cet agenda depuis son élection, aurait pu se contenter de renvoyer à la décision contraignante du synode, sans avoir lui-même formellement pris une décision pour laquelle il aurait pu être tenu responsable et critiqué. Une telle approche répondrait à son désir, manifesté par le passé, de déclencher une révolution mais de ne pas en assumer la responsabilité. La chronologie de l’admission aux sacrements de personnes en situation irrégulière est un exemple parfait de détermination idéologique tout en dissimulant ses propres traces.
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A l’avenir, la tâche de François se limitera d’autant plus à indiquer le thème souhaité et à veiller à ce que les ‘bons’ synodaux soient nommés et que les ‘bonnes’ majorités soient obtenues au sein de l’assemblée synodale – entre autres, mais pas uniquement, par sa nomination personnelle de pères synodaux ».
Les synodes suivants, le synode des jeunes 2018 et le synode de l’Amazonie 2019, se sont toutefois écoulés sans que François ne se souvienne des changements qu’il avait voulus. Puis vint le méga-synode synodal sur la synodalité, peut-être le dernier de son pontificat. Ce n’est que dans son discours de clôture que François a laissé entendre qu’il pourrait reconnaître au rapport final du synode le caractère juridique du magistère ordinaire, comme il l’avait établi de manière révolutionnaire dans l’article 18 de sa constitution Episcopalis communio . Car que signifie « il suffit de ce que nous avons approuvé » ?
Frein à main ou coup d’état ?
Récapitulons :
- 1965 Introduction par Paul VI du synode des évêques comme organe purement consultatif.
- 2018 Avec la constitution Episcopalis communio, François introduit la possibilité d’attribuer un caractère magistériel aux documents finaux du synode.
- 2021 François renverse le synode des évêques, dont il fait un « synode », en accordant pour la première fois le droit de vote à une femme, et donc pour la première fois à un laïc, lors d’un synode.
- 2023 Pour le synode sur la synodalité , François désigne 80 non évêques ayant le droit de vote, nommés par lui, dont au moins la moitié doivent être des femmes .
- 2024 François déclare à la clôture du synode que, pour la première fois, il ne publiera pas d’exhortation post-synodale, mais qu’il mettra à disposition le document final du synode comme « guide pour la mission des Eglises sur les différents continents et dans les différents contextes (…) », reconnaissant ainsi « le chemin synodal » et « remettant » son document au peuple de Dieu.
- 2025 Reconnaissance du caractère magistériel du document final du synode (modifié ?)?
Ce que François a annoncé ici de manière cryptique pourrait signifier que le document final du synode fera partie du magistère ordinaire.
Le document final du synode fera-t-il partie du magistère ordinaire ? C’est la question qui se pose depuis samedi. François a une fois de plus jeté un pavé d’ambiguïté, en l’occurrence même gigantesque, sur l’Eglise.
Le fait est, comme le montre la chronologie, que François met progressivement la main sur la constitution de l’Eglise. Sur le plan juridique, il existe d’énormes réserves quant à l’attribution d’un quelconque caractère magistériel, mais une telle démarche n’est plus exclue sous le pontificat actuel.
Le principal obstacle vient encore de François lui-même. Dans sa constitution de 2018, il a établi qu’il devrait reconnaître préalablement au document final un caractère déjà magistériel, puisque les membres du synode doivent connaître le caractère juridique de leurs actions. Il ne s’agit pas seulement de la transparence nécessaire, mais aussi du caractère juridiquement contraignant. Un parlement ne peut en effet pas prendre une décision quelconque sans connaître le caractère juridiquement contraignant de cette décision.
Comme François n’a fait des allusions en ce sens que dans son discours de clôture, l’affaire pourrait être devenue caduque, pour cette raison ou pour d’autres. François n’a toutefois pas fait son annonce de samedi sans raison. En d’autres termes, il a une intention, mais comme toujours, il ne se laisse pas dévoiler.
Plusieurs scénarios s’offrent à lui.
- Il pourrait faire réviser le document final du synode, ce pour quoi il dispose de suffisamment de temps jusqu’en juin 2025, et transmettre ce document révisé à l’Église avec un caractère non contraignant en tant que document du synode;
- ou bien le faire entrer en vigueur avec un caractère contraignant à différents niveaux en tant que magistère du synode (pas le sien).
La révolution voulue par François, mais déclenchée et réalisée par d’autres, semble de toute façon, comme le montrent les années passées, être la stratégie bergoglienne préférée. Comme on le sait, il s’agit de déclencher des « processus irréversibles », pour lesquels une note de bas de page suffit parfois, comme l’a montré Amoris laetitia.
Ces nombreuses voies et portes qui laissent à lui seul le soin d’agir, mais qui donnent au monde extérieur l’impression d’avoir en quelque sorte son mot à dire est une situation qui est tout à fait au goût du pontife argentin. Les mois à venir, jusqu’en juin 2025, sont ainsi chargés.
Et cela ne dit rien du contenu même du rapport final du synode, publié [pour le moment] seulement en version italienne… Quelles sont les « notes de bas de page » et les pièges qu’il contient ?