Trouvez-vous normal, dans un monde libre, pluriel et démocratique… Marcello Veneziani utilise l’artifice rhétorique de l’anaphore (merci Hollande, pour une fois!!!) pour développer son argumentation sur le naufrage des prétendues élites et sur le mensonge qui nous enferme sous une chape de plomb.

La question soulevée va bien au-delà du cas Trump ou du vote américain car elle révèle un système, une façon de penser, qui s’applique à de très nombreuses sphères culturelles et sociales, historiques et civiles, et qui touche aussi les personnes, leurs responsabilités réelles, la reconnaissance de leurs mérites et de leurs capacités.

.

On a l’impression de vivre dans une bulle de mensonge, épaissie par la rancœur idéologique, déformée par l’esprit de parti, opacifiée par l’omertà complice du pouvoir.

Le réveil de la réalité

Je ne sais pas si Elon Musk nous emmènera vraiment sur Mars, mais je sais que Donald Trump nous a ramenés sur Terre. Où étions-nous, sur quelle orbite ou dans quel recoin du cosmos, durant tous ces mois, pour représenter la réalité, l’Occident, l’Amérique de cette manière unilatérale, démentie ensuite par les faits ?

D’un côté, les Monstres Indécents [majuscules dans le texte] voués à la défaite, de l’autre, l’Esprit du monde, l’Esprit du temps, l’Esprit du progrès démocratique qui continue sa marche inéluctable. Non, je ne veux pas me moquer de tous ceux qui ont tiré contre Trump et qui sont maintenant tombés dans un état convulsif ou dépressif évident. Nous l’avons déjà dit et constaté à propos de ceux que nous avons appelés les Trumpati le jour de l’élection. Je voudrais aller plus loin et faire quelques remarques, voire une salve de remarques à brûle-pourpoint.

Trouvez-vous normal, dans un monde libre, pluriel et démocratique, qu’aucune voix de l’establishment, du mainstream, du pouvoir n’ait exprimé une opinion dissonante sur l’élection américaine, c’est-à-dire n’ait dit qu’elle préférait Trump à sa rivale ?

Trouvez-vous normal, dans un monde libre, pluriel et démocratique, qu’aucun grand média, aucun grand journal, aucun titre historique, aucune signature, aucun intellectuel reconnu et vénéré, aucune agence internationale, aucun représentant des institutions et de la culture officielles, officieuses ou académiques, n’ait exprimé une préférence pour le candidat qui a ensuite remporté l’élection ?
Bezos a été lynché, pour avoir annoncé que son journal, le Washington Post, resterait neutre, ne prendrait pas parti dans la course pour la Maison Blanche.
Il fut un temps où la neutralité, l’équidistance, était considérée comme un signe démocratique de liberté et de respect du vote, mais au contraire elle est devenue comme un acte d’infamie et de complicité avec le Mal.

Trouvez-vous normal, dans un monde libre, pluriel et démocratique, que le star system, la corporation des célébrités, Hollywood en bloc, aucun réalisateur, acteur, chanteur, influenceur, n’ait exprimé une demi-voix de désaccord avec le Vote Unique, le Jugement Unique, en faveur du candidat perdant ?

L’alternative à cette absence totale de voix différentes est que certaines voix, bien que dispersées, étaient présentes, mais n’ont pas eu d’audience, ce qui est peut-être encore pire.

Est-il légitime de penser, face à cette unanimité granitique de l’alignement – tous du même côté, tous unis à l’opposé du jugement exprimé par le peuple souverain – que tous ne sont pas réellement convaincus mais le sont par conformisme, sinon par peur de perdre « leur place » dans le théâtre de notre monde ?

Ne vous vient-il pas à l’esprit qu’un opinion maker ou un observateur pensait peut-être autrement en dessous mais savait qu’il perdrait immédiatement sa position privilégiée s’il se prononçait en faveur de Trump ? Il aurait été évincé ou progressivement marginalisé.

Dans quel monde vivons-nous si les gens vont dans un sens et que le pouvoir, le divertissement, la culture, l’information vont dans l’autre sens, de manière si compacte ? Où est passée la réalité, au-delà des fake news et de la post-vérité, si le monde va dans une direction et que le récit, la représentation, l’idéologie vont dans la direction opposée ? Peut-on encore faire confiance après cette énième preuve de la séparation des oligarchies dirigeantes de la réalité, de la vérité, du bon sens, de ce qu’elles disent, de ce qu’elles font, de leurs intentions réelles et de leur liberté de jugement ?

Je ne dis pas que le peuple a toujours raison, je ne dis pas que la vox populi est la vox dei, et que ce que le peuple gagne ou préfère est par définition meilleur, mais il me semble totalement absurde d’aller jusqu’à prétendre l’exact contraire : que ce que le peuple considère comme réel, comme vrai, comme préférable est immonde, faux, infâme et condamnable.

Est-il possible que personne, je dis bien personne, en haut, ne comprenne, ne prévoie, ne partage ce qui se passe en bas, dans la rue, dans le monde ? Où cette déconnexion nous mènera-t-elle, et surtout : avec quel visage osent-ils se présenter à nouveau en vidéo après ce qu’ils ont dit en chœur et en rimes, après ce qu’ils ont prétendu et vaticiné, puis a été démenti par la réalité ; quelle fiabilité, quelle crédibilité pensent-ils avoir après cette énième et désastreuse performance ?

Pour moi, ce sont ces choses-là qui m’inquiètent et qui me donnent l’impression de vivre sous une sorte de régime invisible qui semble se cacher sous l’apparence d’une démocratie mondiale, de l’accueil, de l’inclusion, de l’ouverture.

Et la question soulevée va bien au-delà du cas Trump ou du vote américain car elle révèle un système, une façon de penser, qui s’applique à de très nombreuses sphères culturelles et sociales, historiques et civiles, et qui touche aussi les personnes, leurs responsabilités réelles, la reconnaissance de leurs mérites et de leurs capacités. On a l’impression de vivre dans une bulle de mensonge, épaissie par la rancœur idéologique, déformée par l’esprit de parti, opacifiée par l’omertà complice du pouvoir.

Nous voudrions sortir de cette bulle, nous éveiller à une réalité plus variée et plus complexe, tout n’est pas noir ou blanc, il y a des couleurs malgré la tentative d’imposer une sorte de grisaille globale. Il ne s’agit donc pas de se découvrir Trumpiste du nouveau cours, il s’agit de reconnaître la réalité, ses variations et ses contradictions.

Réveillez-vous, il est temps d’ouvrir les fenêtres en grand.

Marcello Veneziani
La Verità – 10 novembre 2024

Mots Clés :
Share This