Pas facile, en ce moment, d’alimenter la colonne de droite de la page d’accueil de ce site. Mais presque deux ans après sa mort, Benoît XVI reste bien présent, à travers de nombreuses études qui lui sont consacrées, notamment en Italie – et je suppose que beaucoup de lecteurs de ce site continuent, comme moi, à chérir sa mémoire, à admirer sa stature, et lui conservent une grande gratitude pour tout ce qu’il nous a donné (je m’abstiendrai de comparer avec El Sucesor, ce serait peu charitable). .
Il appartient désormais à l’histoire, celle de la littérature, celle de l’Eglise, et aussi à l’Histoire tout court.
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L’ouvrage qui suit risque de rester inédit pour nous Français, il m’étonnerait beaucoup qu’il soit traduit, l’auteur (un homme politique de droite) n’est pas « du bon côté » du monde éditorial d’aujourd’hui, du moins en France (il a trouvé un éditeur prestigieux en Italie), mais cela n’empêche pas d’apprécier l’hommage.
À l’occasion de l’anniversaire de sa mort, l’auteur se souvient du théologien qu’est le pape Benoît XVI. Un père pour les catholiques du monde entier, le plus grand théologien de ce siècle, le philosophe qui a su défier la modernité en utilisant ses propres instruments ; le défenseur des principes non négociables, celui qui a toujours revendiqué le rôle public du christianisme, qui a su réconcilier la foi et la raison, qui a toujours insisté sur la reconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe, qui a fortement promu le dialogue entre les religions, en sauvegardant l’identité du catholicisme.
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Le livre est une étude approfondie de l’héritage spirituel et culturel du grand Pontife, mais aussi un geste de gratitude de la classe politique d’inspiration chrétienne envers lui pour les fondements qu’il a donnés à la vision catholique du monde, y compris d’un point de vue anthropologique, en renforçant le rôle de la famille en tant que barycentre social, fondement et étoile directrice de la coexistence civile et du développement humain.
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(Présentation de l’éditeur)
« Joseph Ratzinger/Benoît XVI. La raison de l’homme sur les traces de Dieu » :
Un livre de Riccardo Pedrizzi (*)
(*) Homme politique italien, membre du parti Alleanza Nazionale, né en 1943, ex-député, ex-sénateur
L’Occident connaît une crise profonde de la spiritualité et de la transcendance. Les vocations dans les pays européens sont réduites à une peau de chagrin. En Italie même, on constate une présence croissante de prêtres venus d’ailleurs. Les masses semblent avoir perdu leur lien millénaire avec la religion, à tel point que l’expression « les racines chrétiennes de l’Occident » apparaît malheureusement aujourd’hui comme une expression rhétorique.
En outre, l’Europe, ou plutôt l’UE, a renoncé à inclure dans ses actes constitutifs une déclaration sur sa continuité avec le passé chrétien.
La période historique dans laquelle nous vivons sera un jour étudiée avec grand intérêt par ceux qui nous succéderont et qui partiront à la recherche des causes de ce véritable naufrage de la civilisation.
La doctrine chrétienne elle-même semble subir une transformation rapide dans un sens « réaliste », c’est-à-dire de s’adapter à la société d’aujourd’hui qui, malgré toutes ses bizarreries aux yeux de beaucoup, apparaît néanmoins comme une société à l’envers. Aujourd’hui, nous sommes tous, en Occident, privés du droit de transmettre à nos enfants les valeurs, les coutumes, les règles strictes, les principes moraux avec lesquels nous avons grandi et qui ont fait de nous ce que nous sommes, mais qui ont été abolis par les bureaucrates et les tuteurs au service de la pensée dominante.
Depuis des années, vouloir éduquer ses enfants comme nous l’avons été est considéré non seulement comme répréhensible, mais peut nous conduire devant un tribunal : pensez à une correction avec des gifles données à notre progéniture, un événement aujourd’hui impensable.
La remise en cause des valeurs et des normes qui fondent notre être est source d’aliénation pour nous, qui sommes d’âge mûr, car elle nous fait nous sentir mis au ban de la société. Le mariage homosexuel est la quintessence de ces nouvelles mœurs sociales, chaleureusement applaudies aujourd’hui, mais qui peuvent laisser profondément perplexe celui qui n’est pas en phase avec l’époque extraordinaire dans laquelle nous vivons.
Mais je dois faire attention à ce que je dis, car dans un pays comme le Canada, il est interdit d’exprimer des idées critiques, c’est-à-dire non béates, sur certaines minorités. Sinon, on risque d’être poursuivi pour incitation à la haine.
Il n’y a rien à faire, le diktat du « politiquement correct » a érodé certaines normalités inscrites dans des siècles d’histoire. Des normalités qui se retrouvent soudain sur le banc des accusés. Dans le pamphlet « Comment l’Église a fini », l’universitaire Aldo Maria Valli, très critique à l’égard de l’aggiornamento permanent de l’Église, affirme de manière provocante que l’Église risque de se dissoudre dans le monde à force de s’adapter au monde.
L’État-nation survit, mais il est fortement miné par les nouvelles règles qui favorisent le globalisme et la mondialisation, dont l’UE, le coûteux substitut bureaucratico-financier de l’Europe des peuples, est l’ardent propagandiste. À quand l’abolition, au nom de la religion des droits de l’homme, des hymnes nationaux européens, qui violent de part en part les dogmes de la Charte des droits de l’homme ?
Les années que nous vivons sont inquiétantes pour les forces chrétiennes, aujourd’hui en recul. La domination de la raison – une raison qui exalte le matérialisme, l’hédonisme et l’utilitarisme, et qui place au centre non pas la communauté mais l’individu atomisé avec ses multiples désirs maquillés en droits – s’est étendue de façon ruineuse, au détriment de la foi.
Mais seul le christianisme recule et se replie sur le champ de bataille, alors que l’islam, par exemple, progresse rapidement, en armes.
Un autre phénomène sera étudié par ceux qui viendront après nous : l’existence de deux papes.
Le premier a démissionné par manque d’énergie : feu Ratzinger, qui depuis Castel Gandolfo continuait néanmoins à être un point de référence pour une partie des fidèles de l’Église, devenus orphelins. Le « pape allemand », grand sage, théologien profond, fidèle à la tradition et gardien de la doctrine de l’Église, s’est montré opposé aux modes de pensée et au relativisme qui visent à transformer la doctrine chrétienne et, par là même, à trahir les valeurs et les principes naturels inhérents à l’homme.
Un pape, notre Ratzinger, qui est aussi doté d’une grande conscience sociale qui découle de sa connaissance des mécanismes à l’œuvre. Les encycliques des papes, dont l’admirable « Rerum Novarum » de Léon XIII et « Quadragesimo Anno » de Pie XI, constituent un modèle saisissant et noblement progressiste des rapports entre le capital et le travail. Un modèle marqué par les valeurs de la justice sociale, du progressisme si l’on veut, et du respect de la dignité des travailleurs. Dont l’Église se révèle profondément proche.
L’Église accepte l’économie de marché avec la logique du profit, mais revendique le droit sacro-saint des travailleurs à une juste rémunération et au respect de leur sécurité et de leur dignité. La doctrine de l’Église dans ce domaine est, je dirais, étonnante par son analyse détaillée du monde du travail et son sens de l’équité profonde dans le traitement des droits de ceux qui contribuent au progrès économique de la communauté et de la société dans son ensemble.
Sur le siège de Pierre, nous avons aujourd’hui l’autre pontife, le pape François, qui est très peu traditionnel, à tel point que l’aile conservatrice lui reproche un style trop novateur et un enseignement doctrinaire.
Ces deux papes sont des partisans du Concile Vatican II, qui a introduit la modernité dans une Église fortement traditionaliste. Pourtant, leur pensée divergeait – si j’ose dire – sur le poids à accorder à la tradition, à la raison et à la foi catholique elle-même.
L’intellectuel catholique Riccardo Pedrizzi, ancien sénateur et auteur d’une série de livres et d’articles à caractère historique, philosophique, politique, économique et religieux, a consacré un livre à Ratzinger, dont il présente le parcours doctrinal, moral et culturel. Le livre s’intitule Joseph Ratzinger Benedict XVI – La raison de l’homme sur les traces de Dieu. Introduction de Gianni Letta, Préface de Giovanni Battista Re, Postface de Giuseppe de Lucia Lumeno .
Ces noms prestigieux suffisent à comprendre l’importance et la hauteur de cette étude sur le pape Ratzinger. Le livre évite toute comparaison avec le pontificat de Bergoglio, le successeur de Ratzinger, ce qui – il faut le reconnaître – n’a pas dû être une mince affaire.
Mais le but du livre est d’illustrer la grandeur du pape Benoît XVI avec respect, admiration et amour, et certainement pas de critiquer son successeur.
Riccardo Pedrizzi a célébré le pape Ratzinger avec beaucoup de transport en son temps, écrivant à sa mort :
« Notre pape émérite, un père pour tous les catholiques du monde, le plus grand théologien de ce siècle, le philosophe qui a su défier la modernité avec ses propres outils, le défenseur des principes non négociables, celui qui a toujours revendiqué le rôle public du christianisme, qui a su réconcilier la foi et la raison, qui a toujours insisté sur la reconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe, qui a fortement promu le dialogue entre les religions tout en sauvegardant l’identité du catholicisme, est parti. C’est une perte incommensurable, mais son magistère restera l’étoile qui nous guidera tous ».
L’enseignement de Benoît XVI, dont Riccardo Pedrizzi se fait le propagateur avec passion et compétence, dans ce petit volume dense, apparaît en opposition à une certaine dérive du catholicisme, perceptible – je le dis avec embarras – jusque dans certaines bizarreries provocatrices, anti-système et tiers-mondistes de son successeur.
Le respect que le pape Ratzinger a toujours manifesté à l’égard de l’État-nation, de l’Europe et de l’Occident, qui s’accompagne bien sûr du noble souffle chrétien universaliste, ne trouve pas d’équivalent dans le bagage culturel et doctrinaire du pape Bergoglio, qui considère que l’Europe et l’Occident sont coupables de ne pas vouloir abolir leurs frontières à tout jamais. N’oublions pas que Ratzinger a été le plus proche collaborateur du pape Wojtyla, pour qui la nation et sa culture occupaient une place particulière.
Pour l’universitaire Pedrizzi, profondément catholique et très respectueux de la tradition, le sens de l’unité et de la solidarité au sein de l’Eglise est très important. D’où, évidemment, son refus d’opposer les deux papes, même si la comparaison, en filigrane, s’impose implicitement à certains moments.
Les contributions théologiques offertes par ce pape sont nombreuses et denses de sagesse et d’humanité. Le rapport entre la raison et la foi est peut-être le linteau de son enseignement. La foi est l’amie de la raison, nous enseigne Ratzinger, parce qu’elle lui ouvre de nouveaux horizons, « l’aidant à dépasser, écrit Pedrizzi, les limites de l’intelligence humaine ».
Paroles éclairantes. Notre catholicisme ne doit donc pas être caché, il n’est pas un fait privé et doit plutôt être montré, car il élève notre société.
Quant à la dérive causée par la fidélité absolue à la raison, âme du progrès, je rappellerai la gigantesque tromperie causée par le caractère soi-disant scientifique du marxisme avec son sous-produit : le socialisme réel, idéologie qui fut à l’origine des horreurs des procès staliniens, des goulags, de la misère morale et matérielle des « démocraties populaires », fabriques de larmes et de mensonges. Des horreurs qui se poursuivent aujourd’hui en Corée du Nord.
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La lucidité de Benoît XVI nous éclaire aussi sur bien d’autres questions, que l’auteur expose avec limpidité, en apportant les précisions nécessaires, et en replaçant le lecteur dans le bon contexte.
La tradition et le magistère de l’Église sont au cœur de la pensée de ce pape pour qui le libertarisme, le libertinage, le syncrétisme, le scepticisme, le marxisme et le relativisme sont des aberrations idéologiques. Le nihilisme libertaire, le sécularisme, la sécularisation « ont infecté, comme un virus, notre façon de penser et de vivre, notre société, la société italienne, européenne et occidentale ».
Il convient de mentionner ici que l’Europe, pour Ratzinger, « a toujours occupé une place privilégiée dans son cœur et dans ses spéculations théologiques et philosophiques ».
Les valeurs de la foi doivent prévaloir sur toute autre stratégie visant à étendre la présence de l’Église parmi les hommes. Ratzinger a précisé que les droits fondamentaux authentiques font partie de la nature humaine et sont donc inéluctables. Ils sont d’ailleurs antérieurs à leur codification par les États. L’État doit en prendre acte et les codifier ; en bref, il doit les reconnaître mais ne peut pas les « créer ». Le mariage homosexuel viole donc un principe inhérent à la vérité de la nature humaine.
Un mérite de ce pape est aussi d’avoir dénoncé la mondialisation sans règles, qui nie les identités nationales, religieuses et culturelles. Mais en son temps, le jeune Ratzinger a aussi favorisé l’ouverture historique [epocale] faite par l’Eglise à travers le Concile Vatican II qui, en tentant de rationaliser l’Eglise et sa doctrine, a au contraire ouvert les vannes d’un ajustement continu du Ciel à la Terre. Mais le pape a ensuite vu les effets de cette modernisation tous azimuts, qui a bouleversé la Tradition, et il en a probablement souffert.
On pourrait poursuivre l’examen du livre de Pedrizzi, mais il est trop riche en idées, en citations et en réflexions pour que je puisse en faire ici un résumé complet.
Je terminerai plutôt par les réflexions d’un athée : Giuseppe Prezzolini, un grand intellectuel de droite, ouvert au monde et à ses idées.
Giuseppe Prezzolini a écrit :
« L’Église, à mon avis, a une fonction unique dans le monde : celle de consoler les hommes de leur malheur et de les réconforter par sa faculté de pardon. Si l’Église s’implique dans la politique, « elle s’immerge dans les luttes de la concupiscence politique » et « sera toujours dépassée par les partis politiques qui n’hésiteront pas à promettre davantage ». Et encore : « Je crains que le Conseil œcuménique n’ait créé l’illusion de pouvoir tirer de l’Évangile un projet social qui n’y figure pas, et qu’au lieu de correspondre au malheur des hommes, il se contente d’exciter et de caresser les désirs matériels ».
Ce sont des concepts que Prezzolini a exprimés le 29 mars 1966 lors de l’audience personnelle qu’il a eue avec Paul VI, et qu’il serait bon que quelqu’un répète à certains ecclésiastiques, imprégnés de sociologie, d’idéologisme et de politique, et exsudant l’intolérance envers cette noble création humaine qu’est la Nation, avec son noble rôle de gouverner son propre peuple.
Par ses écrits et ses actes, le pape Ratzinger s’est montré fidèle à la mission irremplaçable de l’Église, qui est de « consoler les hommes de leur malheur et de les réconforter par sa faculté de pardon ».
Il faut donc chérir sa hauteur de pensée, ses sentiments, ses intentions et ses aspirations, et ne jamais abandonner la Tradition, dont Riccardo Pedrizzi, auteur de cet admirable essai, se révèle lui aussi un défenseur passionné.