(mise à jour) L’été dernier, nous avions parlé dans ces pages du film adapté du thriller éponyme de Robert Harris. Il sort cette semaine sur les écrans français. Je suis allée le voir, et bien que le film soit fidèle au roman, avec les simplifications nécessaires pour concentrer le récit dans les deux heures d’une pellicule, je module un peu mon jugement positif. Avec une touche de mauvais esprit – j’avoue -, on pourrait sous-titrer le film « La papesse Jeanne version 2.0 »

Benoît et moi, 6 août 2024

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Cinéma: à voir… peut-être

Techniquement, rien à redire. C’est du très beau travail. Les costumes, l’ambiance dans la Casa Santa Marta, les rituels multiséculaires qui suivent la mort du pape et ceux du déroulement du conclave (les votes, la fumée), les décors (ceux de la Chapelle Sixtine ont été reconstitués en studio, et c’est très réaliste) sont plus vrais que nature et nous transportent vraiment dans un univers qui reste mystérieux – donc objet de fantasmes – pour le commun des mortels.
Cet univers, je crois le connaître un tout petit peu pour l’avoir fréquenté « virtuellement » à travers mes lectures et la documentation de ce site (depuis 2006!!), et j’aurais tendance à valider, à mon minuscule niveau; mais il faudrait évidemment l’avis d’un vrai vaticaniste, de préférence italien, familier des « Palais sacrés », et d’un canoniste pour évaluer la conformité des scènes avec les règles établies par le droit canon sur la « Vacance du Siège apostolique » (avec la constitution apostolique de Jean Paul II en 1996 Universi Dominici gregis).
Sans parler du cardinal « in pectore » sorti littéralement du chapeau in extremis pour bouleverser le jeu. Un tel scénario me semble relever de la pure fantaisie… mais de nos jours, tout est possible. Et le film est une fiction romanesque, pas un documentaire.

Mais ne pinaillons pas. Le spectateur moyen ignore évidemment tout de ces subtilités, et s’en moque.

L’interprétation est impeccable (en particulier Ralf Fiennes, plus vrai que nature, lui aussi, et très convaincant, en Doyen du Sacré collège).

Et les luttes de pouvoirs, les intrigues de palais, les scandales impliquant les présumés princes de l’Eglise, sont assez conformes à ce qui est venu au grand jour sous le pontificat de Bergoglio (le défunt pape du film partage avec ce dernier la manie de faire des dossiers sur ses collaborateurs), empêchant de facto de crier à la caricature de l’Eglise – ce que j’aurais peut-être fait il y a 12 ans.

Sans compter que certains propos mis dans la bouche d’un papabile progressiste, le « cardinal Bellini », ne dépareraient pas dans la bouche du « cardinal » Tucho, le gardien de la foi du pape actuel – avec 7 ans d’avance!

Evidemment, on n’échappe pas aux poncifs religieusement corrects: même s’il n’est pas nommé, Benoît XVI a droit à une petite pique (« nous avons eu un pape qui a été dans les jeunesses hitlériennes et qui s’est battu dans l’armée nazie », je cite de mémoire), et le discours que le Doyen prononce devant ses frères lors de l’entrée en conclave prend le contrepied systématique de celui, mémorable, prononcé par le cardinal Ratzinger le 18 avril 2005, où il dénonçait la dictature du relativisme.

Bien entendu, les « méchants » sont les conservateurs, amoureux de la messe en latin, qui s’incarnent ici dans le personnage caricatural d’un prélat italien tonitruant, le Patriarche de Venise, qui répond ici au nom de Tedesco (en italien « allemand », ça ne s’invente pas, et ce n’est certainement pas un hasard). Et inévitablement, l’un des aspirants au Siège Suprême a eu un enfant avec une religieuse utilisée par l’un de ses concurrents pour le faire chanter. Un dernier point qui n’est du reste pas si invraisemblable.

Quant à la fin… Je ne la divulgue pas ici (par égard pour ceux qui souhaitent voir le suspense préservé, car après tout, c’est un thriller), encore qu’elle est prévisible dès l’apparition du personnage qui incarne le futur pape.

Mais disons qu’elle représente le couronnement de ce que ce pontificat préfigure, et l’accomplissement de l’ultime fantasme du fameux « lobby ». Ce n’est pas non plus un hasard si la bande-annonce du film fait état d’ « un secret qui pourrait changer la face de l’Eglise » (air connu!).

En somme, un bon spectacle, si l’on n’est pas croyant. Qui affiche déjà ses ambitions pour les Oscars 2025. Et une (énorme) pierre de plus lancée, certainement pas innocemment, dans le jardin déjà bien dévasté de l’Eglise.

Benoit-et-moi
7/12/2024

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