Très intéressante analyse de Andrea Gagliarducci dans son dernier billet sur Monday Vatican. Le Pape a volontairement « zappé » la réouverture de Notre-Dame (et en passant, pour une fois, il a bien fait: il n’avait pas sa place dans cet aréopage de mécréants qui n’étaient là que pour se montrer et n’ont finalement servi qu’à faire la claque à Macron), mais une semaine plus tard, il se rend en Corse.
Selon le vaticaniste, François cherche à « sécuriser » son propre pontificat, voire à « perpétuer sa révolution » et il veut adouber son successeur. Et dans cette course, le néo-cardinal François-Xavier Bustillo semble tenir la corde.
Pour ce qui est de l’intention du Pape, c’est probable. Pour le reste… eh bien nous verrons: la prédiction est un art difficile, surtout quand elle concerne l’avenir.

Le pape François : Vers le Conclave

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
 9 décembre 2024

La Consistoire du 7 décembre aurait pu ne pas se terminer le 8 décembre avec la messe des cardinaux. En un sens, elle se poursuivra jusqu’au 15 décembre, lors d’une visite d’une journée du pape François en Corse. Cette visite est une visite que les observateurs avertis peuvent choisir de considérer comme une sorte de passage de témoin.

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Le pape François se rendra en Corse à l’invitation du cardinal François-Xavier Bustillo, 54 ans. Le pape l’apprécie particulièrement. Il a offert son livre, Witnesses, Not Officials, au clergé de Rome lors de la messe chrismale du Jeudi saint 2022 et l’a créé cardinal en 2023. Il semble qu’il l’ait déjà désigné pour être le successeur de Mgr Laurent Ulrich à Paris.

Franciscain conventuel, Bustillo est apprécié pour la simplicité de ses usages – il continue de s’habiller en franciscain, même s’il a été contraint de porter la barrette rouge. Il est bien vu même dans le cercle des  » conservateurs « , compte tenu de son amitié avec le cardinal corse Dominique Mamberti, qui l’apprécie. Bustillo semble avoir été identifié par le pape François comme son possible successeur.

Tous les indices y conduisent, y compris ce voyage très court, presque inattendu et incompréhensible, qui sera effectué sept jours seulement après la réouverture de la basilique Notre-Dame de Paris.

D’un point de vue diplomatique, c’est un voyage difficile, considérant que le Pape veut éviter les visites officielles dans les grands pays comme la France. Pourtant, il ne peut pas, pour la Corse, utiliser la ruse qu’il a utilisée pour le voyage à Marseille pour les Rencontres méditerranéennes, ou, comme il l’a fait pour le voyage à Strasbourg en 2014. À l’époque, le pape François avait dit qu’il se rendait à Marseille, et non en France. En 2014, il a souligné qu’il s’agissait d’un voyage auprès des institutions européennes, à tel point que le pape n’a pas mis les pieds dans la ville ni même visité la cathédrale de Strasbourg qui fêtait son millième anniversaire..

Pourquoi le voyage en Corse apparaît-il comme l’achèvement du Consistoire ?

Sept jours après le Consistoire, le Pape François indique clairement ce qu’il pense être le modèle à suivre. Le Pape va conclure une conférence sur la piété populaire en Méditerranée avec un évêque du peuple et populaire. Or, le Pape va vers un évêque qui n’a pas hésité à écrire un livre plus « institutionnel », avec Mgr Edgar Pena Parra [??], substitut de la Secrétairerie d’État, mais surtout avec Nicolas Diat, auteur de plusieurs livres avec le cardinal Robert Sarah. Et, d’un seul coup, Bustillo a fait un clin d’œil au monde diplomatique et au monde de la culture conservatrice avec des ponts aussi dans le monde laïque tout en restant substantiellement lui-même..

Le pape François apprécie aussi ce genre de ruse. Le Pape François n’est-il pas celui qui a favorisé les intellectuels de gauche et les athées comme Eugenio Scalfari pour ses interviews et ses déclarations ou les programmes populaires ou laïques comme ses incursions à la radio, à la télévision, et un documentaire avec le journaliste Jordi Èvole? Et Emma Bonino au point de lui rendre visite après sa maladie – une visite accompagnée d’une photo, en tout cas ?
Le pape François n’est-il pas celui qui parle des « pédés », mais qui montre en même temps qu’il désavoue un document du Dicastère pour la doctrine de la foi qui disait non à la bénédiction des couples gays qu’il avait approuvée auparavant ?

Le pape François a une façon de naviguer sur de multiples fronts qu’il a lui-même qualifiée de « rusée. Il a surtout la volonté d’entretenir l’image d’un prêtre du peuple tout en conservant en réalité toutes les formes de pouvoir et en se montrant proche de tous les centres de pouvoir.

Pourquoi, alors, le successeur devrait-il avoir les caractéristiques de Bustillo ?

Le pape François veut un successeur qui ne connaisse pas Rome et qui ne soit donc pas lié aux traditions romaines. Le pape François connaît les traditions romaines, bien qu’il n’en ait jamais fait partie, et il a décidé de les déconstruire, l’une après l’autre. Toutefois, pour que sa révolution se poursuive, il faut un successeur qui ne s’intéresse pas aux formes du pouvoir et qui ne les connaisse pas en profondeur..

Le successeur devrait également avoir les faveurs des médias, au moins dans un premier temps. Un pontificat conflictuel comme celui de François a de profondes répercussions, et sans la sympathie des médias, aucun successeur ne serait considéré comme digne par le peuple. Bustillo serait un outsider et, par conséquent, plairait sans aucun doute à la presse.

Avant tout, le successeur doit maintenir le pape actuel. Et Bustillo adopterait une approche complètement différente.

Ce qui a été dit à propos de Bustillo pourrait être dit à propos de nombreux cardinaux que le pape François a créés ces dernières années. A partir de l’année prochaine, seuls quatre cardinaux créés par Jean-Paul II pourront encore voter au conclave. Parmi eux, seul le cardinal Petr Erdo, archevêque d’Esztergom-Budapest, semble suffisamment connu pour obtenir de nombreux suffrages.

Cependant, si un cardinal créé par Jean-Paul II devait être élu pape, ce serait un énorme désaveu du pontificat. Jean-Paul II a été presque oublié, son pontificat a été mis entre parenthèses ces dernières années, tout comme Benoît XVI. Le document final du Synode sur la synodalité note l’autonomie des conférences épiscopales. Cependant, il faudrait davantage de références aux documents sur Jean-Paul II.

Bien sûr, ce ne serait pas la première fois que le pape François serait contesté ces dernières années. Le dernier exemple en date est celui du Synode où les groupes de travail sur les questions controversées ont fait au moins deux pas en arrière essentiels : non à l’institution du diaconat féminin parce que le moment n’était pas venu, et non à l’évêque comme juge unique dans les processus d’annulation de mariage, imposé par le pape François mais mal reçu par les évêques qui souhaitent plutôt que ces compétences soient confiées à des professionnels (en Italie, les tribunaux interdiocésains ont très bien fonctionné).

Mais on peut voir une répudiation du pape François dans beaucoup d’autres détails.

  • Dans la décision de la Commission des conférences épiscopales de l’Union européenne d’élire Mariano Crociata comme président: Crociata a été renvoyé du secrétariat général de la Conférence épiscopale italienne et affecté au petit diocèse de Latina en raison d’un désaccord important avec le pape François sur des questions de gestion, pour le décrire de manière générale.
  • Le choix de la Conférence épiscopale américaine de nommer l’archevêque Timothy Broglio, ancien membre de la Secrétairerie d’État de Jean-Paul II, comme président, est également un de ces détails. Les cardinaux américains créés par le pape François ont lutté même pour prendre les vice-présidences des commissions.
  • La spectaculaire volte-face du Pape sur Fiducia Supplicans, la déclaration qui permet la bénédiction des couples irréguliers sous certaines conditions a été presque rejetée en masse par le continent africain mais aussi par une bonne partie de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique latine, en est une autre,.

Ce voyage en Corse est l’une des dernières occasions pour le pape François de diriger le choix de son successeur (ou du moins d’essayer de diriger le choix). Et oui, parmi les nouveaux cardinaux, il y a des profils intéressants, comme l’archevêque de Toronto, Francis Leo, et l’archevêque de Rabat, Cristobal Lopez. Ce sont cependant des hommes de dialogue qui savent conjuguer l’ancien et le nouveau, sont sensibles aux conseils des experts et ne souhaitent pas aller au-delà de la structure vaticane. Au contraire, ils souhaitent l’utiliser, et l’utiliser à bon escient.

Le pape François cherche un moyen de perpétuer sa révolution.

Il y aura 140 cardinaux dans un éventuel conclave pendant un certain temps. C’est ce que pensait le Pape François, probablement – on ne peut pas le savoir avec certitude.

Nous verrons en Corse si le pape va dans ce sens et organise tout pour sa succession.

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