C’est au tour d’Andrea Gagliarducci, grand amoureux (le mot n’est pas trop fort) du Pape bavarois, de payer le tribut d’un hommage magnifique au génie incompris, dont il dit lui aussi qu’il est largement oublié. Un génie humble (ce qui est différent et davantage que « modeste ») au point de confier à Peter Seewald, je cite de mémoire, qu’ « après un grand pape (comme Jean-Paul II), il fallait un petit pape (que lui-même était censé incarner) ».

Benoît XVI, deux ans après

Andrea Gagliarducci
31 décembre 2024
vaticanreporting.blogspot.com/2024/12/benedetto-xvi-due-anni-dopo

Il y a quelque temps, je me suis retrouvé à dîner au Collège des Bernardins à Paris, dans la salle où Benoît XVI a tenu sa fameuse rencontre avec le monde de la culture, et à l’endroit même où se trouvait le siège occupé par le Pape en 2008. En fait, la grande salle située à l’entrée du Collège a été transformée et le restaurant se trouve désormais du côté où l’on pouvait autrefois prononcer un discours, comme l’a fait Benoît XVI.

Cette circonstance, même si elle est fortuite, m’a laissé songeur. Car il est incroyable de constater à quel point le souvenir de Benoît XVI s’est estompé avec le temps. Comment, à peine deux ans après sa mort, nous avons oublié non pas tant le pape, ou le pape émérite, que sa figure extraordinaire, ses enseignements, ce qu’il a laissé en héritage à l’Église.

Si au Collège des Bernardins il y a eu simplement une rénovation, onze ans après la fin de son pontificat et deux ans après sa mort, il semble simplement que Benoît XVI ait été de passage.

Mais Benoît XVI a été tout sauf de passage. Tout simplement parce que sa grande « révolution tranquille » a été trop tranquille pour être comprise. Parce que Benoît XVI, par sa présence, sa sérénité, sa manière d’être, mais aussi par son intelligence, sa lucidité et son honnêteté intellectuelle, demandait à tous de faire un pas de plus. Il ne suffit pas d’avoir la foi, il ne suffit pas d’avoir la capacité. Il fallait une foi nourrie de raison, mêlée de talent, avec un regard toujours tourné vers Dieu pour pouvoir vraiment comprendre et vivre ce que le pape, et avant lui le professeur, nous demandait de vivre.

C’est précisément le quaerere Deum, la recherche de Dieu, dont Benoît XVI a parlé à Paris en 2008. Une recherche de Dieu qui a conduit, de manière extraordinaire, à la construction de la civilisation occidentale. Une recherche de Dieu qui a également toujours nourri la vie de Benoît XVI.

J’en ai parlé dans une petite biographie que j’ai écrite pour le livre « Le parole del Giubileo » (Edizioni Frate Indovino) , un recueil dans lequel j’ai exploré la relation entre Benoît XVI et la foi en relisant sa biographie. Il s’agit d’une relation profonde, qui ne s’est jamais démentie et qui a résisté à l’épreuve du temps.

Joseph Ratzinger n’a pas perdu la foi, il l’a augmentée. Il ne l’a pas perdue sous le nazisme, il ne l’a pas perdue lorsque la première version de sa thèse de doctorat a été rejetée, il ne l’a même pas perdue lorsqu’il s’est retrouvé pape et qu’il a demandé de ne pas fuir par peur devant les loups. Joseph Ratzinger donne plutôt une raison à sa foi, qui reste là, inébranlable.

Tout est objet d’étude, mais pas par désir d’exceller ou de faire étalage de culture. C’est un objet d’étude parce que tout doit être compris et vécu. Lisez les Homélies de Pentling [cf. benoit-et-moi.fr/2015-II/benoît-xvi/ratzinger-comme-dante] pour comprendre ce que je veux dire. Benoît XVI étudie, comprend, rend tout simple parce qu’il l’assimile, le vit et le re-propose, avec une densité inouïe et avec des mots qui ne sont pas complexes et multicouches au point que rien ne peut être considéré comme acquis et que tout doit être réfléchi deux, trois, quatre fois de plus pour comprendre pleinement la profondeur de la pensée.

Pourquoi donc Benoît XVI est-il oublié ? Parce que dans un monde où tout doit être réalisé immédiatement, où l’on regarde les résultats sans penser à la construction des résultats, l’approche de Benoît XVI nous dérange. Benoît XVI veut que chacun fasse un pas de plus, qu’il se dépasse, qu’il soit capable de donner une raison profonde non seulement à sa foi, mais à la raison même de sa foi. Benoît XVI demande à chacun d’être ce qu’il est, et de l’être consciemment.

Ce n’est pas facile, bien sûr, et l’oubli est évidemment le meilleur antidote pour ne pas se rendre compte de sa propre petitesse. Mais l’oubli n’empêchera pas la présence, l’histoire, la vie de Benoît XVI de poser question, et d’obliger à regarder ailleurs, à donner un autre sens à la vie.

Benoît XVI aime à se sentir petit et, en petit, à comprendre et à expliquer, il vit dans l’humilité malgré son brio, mais tout ramène à cette étincelle de foi, qui s’est concrétisée dans ses derniers mots : « Jésus, je t’aime ».

Quel est donc l’héritage du pontificat ? Au-delà des actes de gouvernement, toujours contestables parce que simplement humains, il faut reconnaître au pontificat de Benoît XVI le mérite d’avoir toujours parlé avec profondeur, sans jamais céder à la simplification, en demandant à tous une véritable conversion spirituelle.

Benoît XVI laisse un travail inachevé, à terminer, mais il ne laisse pas un travail à moitié fait. Il laisse une formation, pour ceux qui ont vécu avec lui, qui sera fondamentale dans les années à venir.

Bien sûr, on essaie de l’oublier. Comme on met de côté le maître jugé difficile à suivre, on fait de même avec Benoît XVI. Et, probablement, ce n’est qu’un malentendu, qui se conjugue avec une donnée humaine : le pape émérite n’est plus parmi nous, il n’y a plus personne qui puisse vraiment se pencher sur les mérites et les limites de son œuvre.

Benoît XVI a cependant indiqué une voie, et c’est cette voie qu’il faudra suivre. Peut-être faudra-t-il un autre pontificat, et peut-être un de plus, pour se rendre compte que Joseph Ratzinger ne voulait pas changer l’Église et qu’il a ensuite changé d’avis. Joseph Ratzinger voulait la conversion des pécheurs. Il était, en cela, extraordinairement pasteur.

Tu nous manques, Benoît !

Share This