Benoît XVI nous quittait, et entrait pour l’éternité dans la Lumière de Dieu, et le vide qu’il a laissé est incommensurable, particulièrement en cette période sombre où nous aurions besoin d’un guide sûr pour nous indiquer le chemin.
C’est le moment, peut-être, de se promener , ou de plonger, dans les nombreuses pages que j’avais consacrées alors à sa disparition, et qui figurent encore en exergue sur la page d’accueil de ce site.
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Depuis sa mort, les choses se sont précipitées dans l’Eglise (motus in fine velocior...) et François a lâché les freins, la barque de l’Eglise (je parle ici de l’institution humaine), à l’image du monde lui-même est devenue un bateau ivre abandonné au gré des flots. Mais le message du Saint-Père, incompris de son vivant, lui survit et s’amplifie, au moins dans les milieux académiques, comme il sied à un grand homme.
Nous ne l’oublierons pas, même si, à l’évidence, et pour des raisons variées qu’il n’est pas difficile de deviner, l’anniversaire d’aujourd’hui ne sera pas célébré en grande pompe, ni par son successeur, ni par l’Eglise en général, et encore moins par le monde… des médias (au fait, où est Mgr Gänswein? son exil à Vilnius, décidé par le prince dans une démarche digne d’un régime totalitaire ou d’un empereur romain décadent, restera une tache sur le pontificat de El Papa)

Ce billet de Stefano Fontana est appréciable, en ce qu’il salue la mémoire et rappelle l’héritage du grand Pape, et les « pistes » qu’il a indiquées pour remettre l’Eglise sur les bons rails; mais il est plein de réserves, implicites et explicites (l’opposition « entre ceux qui le vénèrent en l’opposant à François et ceux qui, pour la même raison mais en inversant le sens, l’exècrent » apparaît réductrice et caricaturale et a aujourd’hui, largement dépassé la date de péremption) , et au final, il laisse une sensation de malaise, si ce n’est pas un goût amer, car il prend acte, de manière excessive, d’une forme de damnatio memoriae qui s’appliquerait à Benoît XVI: on croit y lire comme un sorte de concession à l’image véhiculée par les médias de son vivant et après sa mort: celle d’un pape de transition, En somme, tournons la page.

Eh bien non, car même si je n’en parle pas ici, nombreuses sont les initiatives impliquant des théologiens et des intellectuels qui étudient son œuvre et son héritage, et les publications érudites qui lui sont consacrées, au moins en Italie. Et la « génération Benoît XVI » qui a suscité une génération de jeunes prêtres qui assument fièrement leur condition en revenant à la tradition, n’est pas seulement une vue de l’esprit.

Benoît XVI deux ans après, une leçon à ne pas oublier

Stefano Fontana
La NBQ
31 décembre 2024

Le 31 décembre 2022, Joseph Ratzinger nous quittait, laissant un héritage de pasteur et d’enseignant occulté par beaucoup dans la confusion actuelle, mais sur lequel il est nécessaire de revenir précisément pour corriger le tir. Même dans ses aspects inachevés.

Le 31 décembre 202 mourait Joseph Ratzinger, pape pendant huit ans sous le nom de Benoît XVI. Aucune initiative commémorative majeure n’a été notée au cours de cette période en vue de l’anniversaire, à l’exception d’un numéro spécial de Il Timone avec des écrits de cardinaux et d’évêques sur son « héritage et sa leçon ». D’une manière générale, il faut reconnaître que Benoît XVI risque de se voir négligé, sinon oublié.

Dans la situation confuse de l’Église catholique de notre époque, peu de gens s’intéressent à son héritage et à sa leçon. Il semble comme pris en étau entre ceux qui le vénèrent en l’opposant à François et ceux qui, pour la même raison mais en inversant le sens, l’exècrent.

Il y a aussi les « continuistes » d’une matrice différente qui voient les deux pontificats dans la continuité, et là aussi Benoît XVI est nivelé au lieu d’être considéré pour ce qu’il était.

Il semble que la doctrine de l’herméneutique de la réforme dans la continuité n’ait pas fonctionné là non plus, c’est-à-dire sur celui qui a formulé cette doctrine. Qu’on l’oppose à François ou qu’on le considère comme son précurseur, Benoît n’est pas une figure digne d’intérêt. On peut s’attendre à ce que cette tendance s’accentue dans un avenir proche, c’est pourquoi la commémoration de sa naissance au ciel aujourd’hui peut revêtir une signification particulière.

Nous ne devons pas oublier le pape Benoît pour deux raisons qui se complètent: pour les grandes choses qu’il a récupérées et pour les occasions qu’il nous a données de rattraper ce qu’il n’avait pas réussi à faire jusqu’à présent.

Son enseignement a permis de rectifier le tir à de nombreux moments de la vie de l’Église, mais il ne l’a pas fait jusqu’au bout, soit en raison de contingences qui l’en ont empêché, soit parce que certains points de sa pensée ne lui permettaient pas de le faire. Pour ces dernières questions, cependant, il a lui-même fourni des indications implicites, il a suggéré des pistes, il a jeté les bases à partir desquelles nous pouvons commencer à compléter son œuvre. Pour être clair : s’il y a, et il y a certainement, des pistes développées ultérieurement par François, il ne semble pas [!!!] que le pontificat actuel ait eu l’intention de reprendre ces indications implicites pour achever le travail de correction de trajectoire dans la vie de l’Église. C’est au contraire le travail qui reste à faire. Mais pour cela, il est nécessaire de « revenir à Benoît XVI » afin de se concentrer sur les deux aspects mentionnés ci-dessus: les grandes choses qu’il nous a laissées en guise de correction de trajectoire, et les indices pour compléter – même contre la lettre de certaines de ses positions – cette correction inachevée.

Parmi les choses qu’il nous a léguées et qui ont servi à corriger de nombreuses tendances postconciliaires destructrices pour la vie de l’Église, nous devons avant tout rappeler la centralité du thème de la vérité et du juste rapport entre la raison et la foi, qui lui a permis d’asseoir le dialogue sur des bases solides, même avec les laïcs et les athées, sans le fonder sur une charité sentimentale parce qu’elle était dissociée de la vérité.

Cela lui a permis à la fois de réaffirmer l’autonomie légitime de la raison et de confirmer la primauté de la foi. Celle-ci, en effet, selon son enseignement, ne demande pas à la raison de cesser d’être raison et de devenir foi, mais lui demande de vérifier comment l’aide de la foi lui permet d’être davantage raison. Le Dieu à visage humain, comme il l’a dit à Vérone en 2006, n’exige pas du chrétien qu’il cesse d’être homme, mais que l’homme trouve dans le Christ la confirmation de toutes les exigences les plus élevées de son humanité. La raison comprendrait alors qu’il n’y a pas de plan purement naturel, mais que soit elle accepte la lumière de l’autre et s’élève dans l’humanité, soit elle descend vers le bas et se corrompt. Le pape Benoît a enseigné qu’il n’y a pas de juste milieu, au point de demander aux laïcs de vivre au moins comme si Dieu existait, renversant la thèse du naturalisme de Grotius [1583-1645, « humaniste, diplomate, avocat, théologien et juriste néerlandais », wikipedia]  , que Benoît considérait comme vouée à l’échec.

Innombrables sont les conséquences plus particulières de cette approche que je viens de présenter sous sa forme synthétique : le retour à la loi naturelle, une théologie morale qui ne rejette pas la notion de loi naturelle et ne s’appuie pas complètement sur l’histoire en oubliant la nature, la doctrine des principes non négociables, la pastorale comme redevable à la doctrine, la redécouverte de la création et des conséquences également politiques du péché des origines, la récupération de la Doctrine sociale de l’Église, etc.

Parmi les inachèvements, qui ont cependant trouvé dans son enseignement la base pour être abordés, se trouve celui des comptes non définitivement clos avec la pensée moderne. Sa conception du libéralisme, exprimée surtout dans ses dialogues avec Marcello Pera, n’était pas complètement convaincante. Pourtant, sa conception de la loi naturelle, de la loi morale naturelle et de la liberté comme liée dès l’origine à la vérité auraient pu être des points d’appui pour une clôture de la question et le restent encore.

Le concept de laïcité et le rôle public de l’Église ne peuvent pas non plus être considérés comme clos. Si, comme il l’a enseigné, la vraie religion est indispensable pour que la politique le soit pleinement, alors la politique a un besoin substantiel de vraie religion, que la laïcité libérale, même de type américain lockien et pas seulement de type français, ne garantit pas, avec toutes les conséquences que cela implique sur la question d’une société multireligieuse. Encore une fois, comme on l’a vu dans les lignes qui précèdent, il y a dans sa pensée les indices indirects pour amener le problème à une solution.

Dans cet article, il n’est pas possible de signaler d’autres questions très importantes comme la question liturgique, ou son enseignement sur la Tradition, considérée non plus comme l’une des deux sources de la révélation, mais comme l’interprétation de l’unique source de l’Ecriture, etc.

Pour ces aspects également, comme pour les autres indiqués ci-dessus, le même principe de « retour à Benoît XVI » s’applique, non pas pour le répéter mais pour apprendre à le connaître, tant dans les enseignements solides avec lesquels il a évité des déraillements dans l’Église, que dans les questions qu’il a abordées mais non résolues et qui peuvent encore être récupérées et résolues précisément en utilisant certaines de ses indications implicites.


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