A tous mes lecteurs. C’est une formule-valise, chacun peut la remplir avec ce qu’il souhaite pour lui-même, c’est-à-dire le meilleur du possible.
Et pour alimenter la réflexion, en espérant que ce n’est pas trop pessimiste (en fait, c’est un vrai remède contre le désespoir), voici un texte de Marcello Veneziani.
L’espérance dans l’année nouvelle
Que devons-nous espérer pour l’année à venir ? Il y a longtemps que nous n’attendons plus de révolutions, de palingénésies et de changements radicaux, et il y a longtemps que nous ne nourrissons même plus de solides espoirs de continuité, la confiance que tout restera comme avant, de manière rassurante. C’est comme si les espoirs des progressistes dans le changement et ceux des conservateurs dans la continuité avaient disparu simultanément ; les espoirs des nostalgiques et des innovateurs.
La seule nouveauté qui se profile est en fait un retour : Donald Trump qui revient à la Maison Blanche dans un monde déchiré par deux conflits dangereux. Et avec lui ce qu’on appelle la nouvelle droite ou techno-droite, identifiée dans la figure d’Elon Musk ; une perspective fascinante et inquiétante, compte tenu des prémisses et du personnage. Pour le reste, le monde continue avec les protagonistes des années précédentes, entre une Europe bouillie et un Monde en ébullition.
Bien sûr, 2024 cédant la place à 2025 n’est qu’un chiffre qui change, et rien de plus. Un passage apparent, peut-être symbolique, mais comme les numéros de la loterie, rien de nouveau et de substantiel, sauf dans la comptabilité insignifiante des années. Les années ne sont rien dans la réalité de la vie et des jours, elles ne servent qu’à donner une plaque de numérotation aux événements historiques, une fois qu’ils se sont produits ; mais il n’y a pas de lien a priori entre un événement et la date à laquelle il sera plus tard associé. C’est juste un code d’identification.
Le fait est que nous avons cessé d’espérer le changement, même si nous n’avons pas cessé de le craindre ; tout ce qui arrive de nouveau semble être accidentel, fortuit, aléatoire et peu ou pas du tout dépendant de la volonté des hommes, surtout des hommes de bonne volonté. De petites erreurs peuvent avoir de grandes conséquences, des dangers non pris en compte ou sous-estimés peuvent s’avérer importants et mortels. On a l’impression de marcher sur la corde raide d’un acrobate, toujours au bord du précipice, et la seule chose à faire n’est pas de planifier librement l’avenir ou de le réinventer de manière créative, mais de suivre scrupuleusement le chemin, de ne pas se déséquilibrer, de marcher sur cette corde raide jusqu’au bout, sans jamais se laisser distraire ou dévier. Si telle est la perception, nous imaginons l’avenir non pas sous le signe de la liberté mais de la nécessité et, d’une certaine manière, de la contrainte de répéter et de rester sur la ligne. D’où le mince fil d’angoisse qui nous accompagne comme le fil de l’acrobate à travers les jours.
Mais alors, en quoi placer son espoir ? Dans la richesse imprévisible de la vie, de la réalité et de l’histoire. En fin de compte, la liberté coïncide avec l’inconnu où résident à la fois les peurs et les espoirs.
Ou plutôt, pour être plus précis et articulé, il y a trois facteurs qui remettent en cause la routine, la rigidité et le déterminisme historique et font renaître le goût de l’avenir.
Le premier est le réveil de la réalité, de la nature du monde et de la nature humaine, de tout l’univers des pulsions, des sentiments, des lois naturelles, qui s’élèvent contre la fiction, la société préfabriquée, la manipulation de la réalité, les mondes virtuels, et reprennent leurs « droits ». Nous vivons comme dans une bulle illusoire, dans une fiction technologique, financière, idéologique, qui déforme la vérité des choses, la réalité du monde, qui prétend remplacer la nature par l’artifice. Nous avons confiance que la réalité, comme souvent, reprendra ses espaces, sa vie et ses territoires.
A l’émergence de la réalité, nous associons un autre facteur d’espoir, même si – comme nous l’avons dit – il peut aussi être porteur de craintes : l’espoir dans l’imprévisibilité de l’histoire. Il n’y a pas de chemin préétabli vers l’histoire, rien n’est déjà écrit à l’avance, on ne peut pas programmer l’histoire comme un outil technologique, elle est pleine de variables, de forces motrices et de fantasmes entrelacés, de facteurs qui se croisent pour produire des effets différents de ceux attendus et prévus. C’est en quelque sorte ce que les penseurs appellent l’hétérogénèse des fins, le changement, voire le renversement des prémisses, des intentions initiales, des conséquences, des effets réels, en raison de la combinaison de plusieurs éléments qui n’ont pas été pris en compte ou qui produisent des résultats différents simplement en se mélangeant chimiquement avec d’autres.
Dans le monde qui s’abandonne aux automatismes et aux déterminismes, c’est-à-dire aux nouvelles formes techno-scientifiques du fatalisme, l’imprévisible fait irruption comme une force libératrice, innovante, parfois révolutionnaire, sinon réactionnaire.
Mais l’émergence du réel et de l’ordre naturel, comme l’imprévisibilité de l’histoire et de ses fins, évoquent même sans le dire un facteur totalement impondérable et mystérieux : la main invisible, dont parlaient même les économistes à propos du marché. Oui, la troisième espérance que nous avons a une saveur ancienne, mystérieuse, ineffable : nous nous en remettons aux dieux. Et nous utilisons ce sens mythologique et littéraire pour évoquer l’intervention mystérieuse de forces supérieures ou d’énergies spirituelles : les croyants l’appelleront, comme Vico [ndt: Giambattista Vico, philosophe italien, 1668-1744] , la main de la providence, les non-croyants l’appelleront, comme Machiavel, la Fortune ou la bonne fortune ; mais en fin de compte, même si nous ne le disons pas ouvertement, même si nous n’avons pas rationnellement confiance et ne nous prédisposons pas religieusement, nous faisons tous plus ou moins confiance à la bienveillance ou à la clémence des dieux.
Au fond, si nous n’avions pas secrètement confiance dans la réalité, dans l’imprévisibilité de l’histoire et dans la main des dieux, nous serions déjà en proie au désespoir. Ces trois facteurs agissent sur nous, ils donnent plus de force et de détermination à notre action, parce qu’ils nous donnent la confiance, peut-être illusoire, que c’est la force de la réalité, l’évidence naturelle des choses, la justice du monde, la puissance imprévisible de l’histoire et la bienveillance des dieux qui nous poussent dans cette direction.
Que le ciel vous vienne en aide, disait-on, et nous traduisons cela dans le langage actuel : n’abandonnons pas avant d’avoir combattu, jouons pleinement notre rôle, contribuons – chacun selon ses possibilités et ses capacités – à rendre l’espoir fort, sachant qu’il trouvera des alliances inattendues. Traduisons l’espoir en confiance, malgré tout. Laissons-nous accompagner par la méfiance jusqu’à l’avant-dernière chose, pour retrouver la confiance dans les choses ultimes.
À ceux qui disent que tout cela n’est que bavardages et feux follets, nous répondons que si c’est le cas, ce que nous attendons de la technologie et de l’intelligence artificielle, ce sont des mondes virtuels sinon fictifs ; et même le passage de 2024 à 2025 n’est que bavardages et feux follets, chiffres d’un bingo insensé. Si tout n’est qu’un jeu de l’oie, que ce jeu soit sacré. La confiance dans les dieux est le germe de leur renaissance. En revanche, devant un nouveau-né, fût-ce une nouvelle année, on ne peut que se réjouir et espérer.
MV
La Verità – 31 décembre 2024