Enfin, pas toujours, mais ça arrive.
Pour alimenter un article que j’ai publié tout à l’heure (et rafraîchir ma mémoire) , j’ai rentré dans le moteur de recherche deux mots-clés: « benoit xvi » et « petit pape » (tel quel). Bingo, je suis tombée sur un article de « La Vie » daté du 5 janvier 2023. Ce n’est peut-être pas l’endroit ni le moment pour dire que l’hebdomadaire en question n’est pas franchement ma lecture de prédilection. Passons donc. L’article est signée d’Alexa Vidot, une jeune journaliste que je ne connais pas, et qui venait de publier un livre intitulé « Cher Benoît XVI » (ed. Emmanuel). De quoi susciter ma curiosité sympathique.

Le début de l’article, où elle évoque son souvenir de l’élection de 2005, a pourtant tout pour me refroidir (à sa décharge, ce sont les réflexions d’une fille de 20 ans):

(…) lorsque le nom de Joseph Ratzinger est sorti, et que les médias ont commencé à brosser son portrait, j’ai été offusquée par ce choix qui n’allait pas dans le sens du progrès. Prise dans la bourrasque médiatique, je lui ai aussitôt collé des étiquettes sans chercher à le connaître : le « Panzerkardinal », le grand inquisiteur, le réactionnaire obtus, le « berger allemand » et même l’enfant des Jeunesses hitlériennes…

Je poursuis toutefois ma lecture… et je ne le regrette pas. C’est un vrai coup de coeur, même s’il y a des passages avec lesquels je ne suis pas d’accord (et je vais sans doute acheter le livre).

La Vie a décidé d’offrir l’article à ses lecteurs (ce qui signifie qu’il n’est pas en accès payant). Je vais donc en profiter, car le texte mérite une seconde… vie.

Les plus beaux hommages viennent de ceux qui au départ n’étaient pas ratzingériens, et même qui ont, ou avaient tout pour ne pas aimer Benoît XVI. En voici une nouvelle preuve.

Témoignage : « Le jour où Benoît XVI est devenu « mon » pape »

Alexia Vidot est journaliste à « La Vie ». Elle publie un livre hommage à Benoît XVI, dont la vie et les enseignements ont marqué son chemin de foi comme celui de nombreux chrétiens. Elle nous livre ici son témoignage. 

. . . .

352464_001
Le pape Benoît XVI dirige la messe du mercredi des Cendres le 13 février 2013 au Vatican. • SPAZIANI STEFANO/UPI/ABACA

Alexa Vidot
www.lavie.fr
5 janvier 2023

Quand Jean Paul II est mort, le 2 avril 2005, l’enfant du siècle que j’étais, indifférente aux choses de Dieu, a été tout de même touchée. Un grand homme partait. Une page de l’histoire se tournait. J’ai ensuite suivi d’un œil vague les funérailles et le conclave. Les fresques du Jugement dernier de la chapelle Sixtine. Les fumées noires ou blanches. Les processions de soutanes rouges et de surplis blancs. Tout ce décorum d’un autre temps m’amusait.

Histoire d’un retournement : du refus à la rencontre

Mais lorsque le nom de Joseph Ratzinger est sorti, et que les médias ont commencé à brosser son portrait, j’ai été offusquée par ce choix qui n’allait pas dans le sens du progrès. Prise dans la bourrasque médiatique, je lui ai aussitôt collé des étiquettes sans chercher à le connaître : le « Panzerkardinal », le grand inquisiteur, le réactionnaire obtus, le « berger allemand » et même l’enfant des Jeunesses hitlériennes…

Puis, au creux de l’hiver 2008, j’ai vécu une rencontre avec Dieu, aussi inattendue que fulgurante. Pendant ce séjour de feu, les moniales qui m’accueillaient dans leur blanc désert m’ont offert Deus caritas est, la première encyclique de Benoît XVI. Mettant mes réticences de côté, j’ai ouvert le petit livre. Et, à ma grande surprise, j’y ai lu ce que j’étais en train de vivre.

Avec des mots ciselés, si simples et si limpides, le pape m’expliquait ce qui était à l’œuvre à l’intime de mon être. Il me révélait chrétienne, et rien de moins : « “Nous avons cru à l’amour de Dieu”, c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie. À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. »

Il m’a fait entrer dans l’intelligence de la foi

À partir de ce jour-là, Benoît XVI est devenu « mon » pape. Me prenant par la main, il m’a fait entrer dans l’intelligence de la foi, dans l’espérance et dans la joie. Il m’a aidé à avancer sur le chemin de la conversion (qui est celui de la sainteté), et à grandir dans mon amitié avec le Christ. Étais-je tentée de m’arrêter ? il était là pour m’encourager à continuer, à ne jamais trouver le repos dans l’exploration des horizons nouveaux que Dieu m’avait ouverts.

Il m’a toujours ramenée à l’essentiel en m’acculant à me poser la seule question qui vaille : où en suis-je dans ma relation avec Dieu, avec l’amour en personne ? À travers ses paroles et ses silences, ses écrits et ses gestes, il m’a donné de faire l’expérience, toujours nouvelle, toujours recommencée, d’une rencontre personnelle avec Dieu. « Quaerere Deum »chercher Dieu et se laisser trouver par lui : le pontificat de Benoît XVI se ramasse en cette seule expression.

A-t-on seulement pris la peine de l’écouter ?

À force de le lire et de le suivre, j’ai peu à peu découvert derrière l’immense intellectuel, un pasteur d’une bonté, d’une écoute et d’une tendresse rares. Ce faisant, il m’apparaissait toujours plus aux antipodes des clichés dont on l’accablait, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Église. Certes, le pape professeur était un piètre communicant et un mauvais gouvernant.

Certes, il n’a pas su bien s’entourer et il a lui-même commis des erreurs, des fautes et bien pire (il ne s’est d’ailleurs jamais pris pour un pur, un impeccable – « Priez pour moi, afin que le Seigneur, malgré tous mes péchés et mes insuffisances, me reçoive dans les demeures éternelles », a-t-il ainsi confié en 2006 dans son testament spirituel). Mais a-t-on seulement pris la peine de l’écouter ? Lui a-t-on seulement laissé une chance ? N’a-t-on pas trop vite lu son pontificat avec une grille de lecture idéologique binaire qui ne laisse aucune place à la nuance, à la complexité ?

Le Benoît XVI « réel », si j’ose dire, se laissait pourtant déjà découvrir le 19 avril 2005, lorsqu’il s’est présenté devant la foule en liesse rassemblée pour acclamer le 264e successeur de Pierre. Sa voix, son regard, son sourire timide et même sa frêle silhouette, tout était empreint d’une grande douceur, d’une simplicité désarmante, presque enfantine. Son bref discours l’était tout autant.

Après le grand pape Jean Paul II, « le petit » pape Benoît, « un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur ». Aucune recherche d’effet. Une émotion palpable, mais tout en pudeur et retenue. La conscience d’une haute responsabilité, mais aucun triomphalisme. Il abordait son pontificat non par au-dessus, mais par en dessous, en sachant pouvoir et devoir compter sur l’aide de Dieu et de la Vierge, sur la prière de tous les chrétiens.

Il portait un trésor sans prix

Quelle humilité, et quelle foi ! Car s’il reconnaissait son insuffisance d’homme de chair, il confessait aussi la toute-puissance du Verbe fait chair. Et il croyait, avec saint Paul, que « la puissance se déploie dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12, 9). Comme l’apôtre, il était conscient de porter un trésor sans prix, celui du dépôt de la foi et de la Tradition vivante, mais dans le « vase d’argile » et donc fragile de son humanité mêlée et imparfaite. C’est pourquoi, comme l’apôtre, il était « fort et humble en même temps, intimement persuadé que tout appartient au mérite de Dieu, tout vient de sa grâce » (Angélus, 28 juin 2009). Tout vient de Lui et c’est vers lui que tout doit aller.

Je reste bouleversée par la dernière messe qu’il a célébrée en tant que souverain pontife, celle du mercredi des Cendres de l’année 2013. Son homélie d’une extrême gravité était entièrement axée sur la nécessaire conversion « pour laisser de la place à Dieu ». À la fin de la cérémonie, son secrétaire d’État, le cardinal Tarcisio Bertone, lui a adressé un message au nom de toute l’Église catholique. Puis la foule nombreuse s’est mise à applaudir le pape en une longue standing ovation. Je le revois y mettre un terme en prenant le micro pour dire sobrement, un fin sourire aux lèvres : « Merci… Retournons à la prière. »

S’il me fallait choisir une « scène » pour illustrer son désir de s’effacer derrière le Christ, je prendrais celle-ci. « Le pape n’est pas la star autour de laquelle tout tourne. Il est totalement et seulement le Vicaire. Il renvoie à l’Autre qui se trouve au milieu de nous », avait-il rappelé en décembre 2008 lors des traditionnels vœux à la Curie romaine.

Un héritage à recueillir

Cela choquera peut-être certaines âmes, mais il y a tout juste un an, j’ai rendu le manuscrit d’un livre consacré au pape émérite à l’occasion de sa… disparition. Un hommage posthume écrit sous forme de lettres que j’adresse directement au pape pour essayer de mieux le connaître à partir de ses textes. Honte à moi : par moments, j’avais hâte que mon ouvrage, déjà imprimé, puisse enfin paraître ! En travaillant sur ce projet, je m’étais projetée dans « l’après Benoît XVI ». Je m’y étais comme préparée.

Aussi suis-je étonnée de cette tristesse qui remplit mon cœur depuis le 31 décembre 2022. « C’est un peu comme se lever et t’entendre dire tout doucement au petit déjeuner : “Grand-père est mort ce matin” », m’a écrit une amie. Oui, je me sens orpheline. « Mon » pape s’est éteint, mais sa parole, elle, demeure. L’heure est donc venue de recueillir l’héritage qu’il nous laisse et que nous n’avons pas encore commencé à explorer. Et cette perspective me donne de la joie. 

. . . .

À lire : Cher Benoît XVI, d’Alexia Vidot, Éditions Emmanuel, 20 €.
(https://www.amazon.fr)

Share This