C’est ce que Donald Trump a annoncé dans son discours inaugural d’hier. Sur le moment, personne, en tout cas pas moi, n’a saisi la référence littéraire à la « Quatrième Bucolique » de Virgile (ou alors pour l’attribuer à quelque « nègre », Donald Trump étant réputé – sans doute à tort – inculte et grossier par ses ennemis, les journalistes oubliant un peu vite qu’il a fréquenté, milieu oblige, les meilleures écoles).
Leonardo Lugaresi, dont il faut saluer la vaste culture classique, nous éclaire sur la signification de cette allusion, en comparant le nouveau Président à Pollion, alias Caius Asinius Pollio, (v. 76 av. JC – 4 ap. JC), homme politique, orateur, historien et poète [voir note] .

Redeunt Saturnia regna ? L’âge d’or de retour?… (Trois impressions sur le discours de Trump).

L’âge d’or est-il de retour ? Non, tout simplement parce qu’il n’y en a jamais eu. Pas dans l’histoire, en tout cas. Il ne revient donc pas, mais va-t-il venir? Pas non plus, car c’est le rêve de tous les millénaristes, mais il n’y a rien dans la révélation divine qui permette de l’imaginer comme un projet historique (en fait, chaque fois que quelqu’un a essayé, cela a été un cauchemar).

Certes, un golden age ne date pas d’hier, pas même limité à la nation supposée élue. Il pourrait cependant être ralenti, peut-être contré, et peut-être qui sait, même inversé dans une certaine mesure. (Vaste programme [en français dans le texte], en tout cas, qu’un président a intérêt à déclamer avec une « conviction théâtrale » à la tribune, mais avec toutes les réserves mentales de rigueur).

Le «sens commun» (à comprendre ici, non pas comme s’opposant au bon sens, mais coïncidant avec lui) est il de retour? Peut-être. Ce sera dur, très dur, car nous venons d’une époque psychiatrique, où la démence a régné partout, et nous sommes encore plongés dedans jusqu’au cou. Hier soir, à la télévision, j’ai surpris cette expression sur les lèvres d’un célèbre présentateur de journal télévisé, prononcée avec une totale inconscience de lui-même et du monde : « désormais, aux États-Unis, il n’y aura plus que deux sexes »..

Nous sommes littéralement dans l’hôpital psychiatrique des blagues, celui où les fous, regardant par la fenêtre de l’hôpital, demandent aux passants : « Vous êtes nombreux là-dedans ? »

Back to reality, alors ? Peut-être un peu, oui. Je le crois assez, non pas parce que je place mes espoirs en Pollion, comme le pauvre Virgile (Teque adeo decus hoc aevi, te consule, inhibit, / Pollio, et incipient magni procedere menses ; / te duce, si qua manent sceleris vestigia nostri, / inrita perpetua solvent formidine terras) [voir note], mais parce que les faits ont la tête dure. La réalité existe, et elle pèse. Elle pèse tellement que, quel que soit le nombre de fous, il est impossible de l’écarter définitivement.

D’un point de vue « théâtral », j’ai aimé hier que Pollion, dans son discours, flagelle sans ménagement, et sans jamais leur accorder un regard, les deux semi-déments [je suppose qu’il veut parler de Biden et de Harris??] qui étaient assis derrière lui avec une expression vide ou renfrognée peinte sur leurs masques, comme deux marionnettes inertes. Un symbole fort, me semble-t-il, d’une reconnaissance publique de la folie du roi (et de tous ceux qui, au fil des ans, ont interdit de voir sa nudité et de la dénoncer) .

La paix sera-t-elle au rendez-vous ? Le loup habitera-t-il avec l’agneau et la panthère se couchera-t-elle auprès du chevreau ?

Pas davantage, hélas. Mais peut-être pourrions-nous aller vers moins d’entropie, dans la mesure où nous cesserions de poursuivre la fausse et mortifère utopie de la fraternité universelle athée, vieille comme l’humanité et inspirant le projet « maçonnique » de la Tour de Babel, sur laquelle Dieu a clairement exprimé son jugement dans le chapitre 11 de la Genèse, texte qui devrait être obligatoirement lu dans toutes les assemblées mondialistes. Sous couvert de concorde et d’amour, l’utopie du monde uni implique toujours un Seigneur du monde (qui n’est pas le Christ, c’est pourquoi elle est radicalement athée, même si elle se pare d’oripeaux religieux). L’alternative consiste à reconnaître avec réalisme qu’il y a plus d’un loup, d’une panthère, d’un ours, d’un aigle et d’autres bêtes féroces dans le monde , et que c’est peut-être mieux ainsi, car chacun tient l’autre à distance.

Par métaphore : tous les désastres de ces trente dernières années n’ont-ils pas en grande partie résulté de la manière dont la nation supposée élue a géré la condition particulière dans laquelle elle s’est trouvée au début des années 90, celle d’être la seule puissance impériale restante au monde ? Ce devait être « la fin de l’histoire », le triomphe de la liberté et de la démocratie sur toute la planète : un âge d’or pour tous, grâce à l’hégémonie incontestée de l’empire américain. Nous en avons tous vu les résultats. Le résultat extrême et raté de ce délire de toute-puissance (qui a coexisté de manière schizophrénique avec une politique qui a permis l’existence d’un autre empire, beaucoup plus peuplé et potentiellement plus riche, et de surcroît anthropologiquement étranger à nous, Occidentaux, qui, à son tour, est censé être céleste et unique!) a été la guerre en Ukraine.

Je trouve significatif que Pollion, dans son discours inaugural (auquel, apparemment, il ne voulait pas que le chef du gouvernement ukrainien soit présent), n’en ait fait aucune mention : j’interprète cela comme un signe qu’il se prépare à négocier, sachant que cette guerre a été perdue.

Revendiquer pour son propre empire une « zone d’influence » dans laquelle on peut intimider en toute impunité (en revenant quelque peu à une doctrine Monroe revisitée [ndt: « L’Amérique aux Américains »]), implique logiquement de reconnaître qu’il peut y avoir d’autres puissances impériales disposant de prérogatives similaires chez elles. En menant et en gagnant la guerre contre l’Ukraine, la Russie a simplement revendiqué ce statut de puissance impériale. La Chine l’a déjà, sans contestation, depuis un certain temps. L’Inde, nous verrons.

C’est ainsi que va le monde, et ce n’est certainement pas le monde idéal, ce n’est pas beau, mais c’est le monde réel. Homo homini lupus: cependant, un monde dans lequel chaque loup (ou aigle, ours, ou dragon si l’on veut recourir à la symbolique zoologico-politique actuelle) sait qu’il peut se faire beaucoup de mal s’il franchit certaines limites et se heurte à d’autres, et alors il fait attention, est peut-être la moins pire des choses que l’on puisse attendre (même de la part des agneaux).

Pas la paix, mais moins de guerres. Pour la paix, la vraie, il faut attendre le Messie (le vrai, quand même).

Et, comme Lui-même l’a dit :

« Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a réservés à son pouvoir » (Actes 1:7).


Note de traduction

Je me fie à Wikipédia qui, sur ce type de sujets, est une source fiable:

La Quatrième Bucolique est la plus célèbre du recueil. Composée en 40 av. JC, elle a, dès l’Antiquité, suscité des interprétations allégoriques et même une interprétation chrétienne, puisqu’elle annonce qu‘on verra refleurir l’âge d’or à la venue d’une Vierge et d’un enfant prédestiné.

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La Quatrième Bucolique s’inscrit dans un contexte historique précis. Porté par son sentiment d’un monde qui bascule, Virgile y témoigne d’une aspiration fervente à la paix que les nouveaux maîtres du pouvoir promettent de satisfaire : il s’adresse au consul Asinius Pollion, négociateur (pour Marc Antoine) de la paix de Brindes avec Octavien en 40 av. JC. Cette trêve dans la longue succession des guerres civiles romaines ouvre une période de prospérité, un retour de l’âge d’or veut croire Virgile, dont la naissance de cet enfant, accomplissement de prophéties, est en quelque sorte le garant.

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatri%C3%A8me_Bucolique

Et voici une traduction du passage cité par Leonado Lugaresi (www.mediterranees.net/litterature/virgile/bucoliques/laignoux..):

Teque adeo decus hoc aevi, te consule, inibit,
Pollio, et incipient Magni procedere Menses,
Te duce. Si qua manent sceleris vestigia nostri,
Irrita perpetua solvent formidine terras.
C’est sous ton consulat, ô noble Pollion,
Que les hommes verront
Se lever des Grands Mois la radieuse aurore.
Des crimes du passé si persistent encore
Des vestiges cruels, ils iront s’effaçant
Comme un sillon tracé dans le sable mouvant ;
L’espoir luira de voir toute douleur éteinte,
Et le monde sera délivré de la crainte.
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