Humour… mais pas seulement. Marcello Veneziani se déchaîne… pour notre plus grand plaisir.
Préambule obligé: en italien, « trombone » désigne l’instrument de musique mais aussi, au sens figuré une « personne (orateur, écrivain ou intellectuel en général) imbue d’elle-même, s’exprimant avec emphase et utilisant des mots raffinés mais vides de sens » (Treccani). Ça ne vous rappelle pas une espèce protégée (que nous espérons en voie de disparition) qui sévit aussi en France, spécialement en ce moment où la chasse au Trump fait rage dans les médias?
Marcello Veneziani nous offre une chronique réjouissante sur un phénomène mondial, un monde numériquement limité mais qui dispose de toutes les chaires pour tonner et qui craint que son exclusivité lui échappe avec l’arrivée de Trump.
A deux pas de l’Italie et du monde se trouve Trombon Valley, citadelle médiatique habitée par les intellectuels et interdite à la plèbe. Trombon Valley est à deux pas de la ville où vivent les gens ordinaires mais à des années-lumière de la réalité quotidienne.
Trump et l’invasion des tromboniens
Marcello Veneziani
24 janvier 2025
Vous sonnez votre Trump, nous sonnerons nos trombones. Ce fut un spectacle en mondiovision que d’assister à la télévision et dans les médias au défilé des Trombones pour l’investiture de Donald Trump à la Maison Blanche. Nos célèbres oligarchies ont été convoquées dans la presse écrite ou en vidéo pour des grandes manœuvres de trombonerie en vue du discours d’investiture de Trump. À quelques variantes et à de très rares exceptions près, l’Intellectuel Collectif a délivré le contre-discours d’investiture de la Maison Noire : un unique texte, une unique dénonciation et une unique alarme, une unique indignation et une unique inquiétude pour le monde en péril, mais avec mille répétiteurs.
Trump, disent les trombones, apporte la guerre et la discorde sur la planète. Alors, que deux guerres nées à l’époque du démocrate Biden se terminent, comme par hasard avec Trump, à leurs yeux n’a pas d’importance : les autres, les guerres, ils les font vraiment mais lui est impardonnable parce qu’il fait la guerre avec des mots. Les autres se disent pacifistes mais ensuite, ils vénèrent Mars, le dieu de la guerre ; lui, il est belliciste mais n’invoque Mars que pour des expéditions extraterrestres, canalisant l’appareil de guerre dans des entreprises spatiales.
De toute la semaine anti-Trumpienne, avec ses excursions au Val Trumpia, restent les trombones épuisés comme des enveloppes vides, des cartouches vides et des carcasses. Ce sont nos opinion makers-maison, les ghostbusters à la chasse aux fantômes fascistes qui rôdent partout et qu’ils étouffent avec leurs formidables moral detector. C’est un phénomène à étudier, le trombonisme, aussi parce qu’il n’est pas seulement chez nous.
On disait autrefois de nos élites technocratiques et économiques qu’ils étaient des bocconiens [allusion à l’Université Bocconi, à Milan, prestigieux établissement privé « spécialisé dans les sciences économiques, la finance, les sciences politiques, le management, l’administration publique et le droit » par où sont passés de nombreux dirigeants, ndt]. Le pouvoir médiatique et intellectuel de notre pays est désormais entre les mains des Tromboniens. Une nouvelle classe dominante, mais non dirigeante, de trombones émérites, titulaires de chaires, en service.
Les tromboniens sont l’équivalent des ayatollahs dans une société sans Dieu mais pleine d’idoles, de dogmes, de préjugés. Le trombonien exerce son rôle de police morale, politique, idéologique. Il dispense une éthique, mais surtout il appose des étiquettes. Le trombonien patronne sans être paternel, il joue le rôle de la belle-mère mondiale sans aimer la famille.
A deux pas de l’Italie et du monde se trouve Trombon Valley, citadelle médiatique habitée par les intellectuels et interdite à la plèbe. Trombon Valley est à deux pas de la ville où vivent les gens ordinaires mais à des années-lumière de la réalité quotidienne. Dans Trombon Valley, on dénonce quotidiennement un pays, un monde, habité par des racistes, dirigé par des fascistes, traversé par des troupeaux armés de xénophobes, d’homophobes, de sexistes, de nazis. L’humanité réelle est divisée selon la nature en hommes et femmes, mais les trombones s’indignent si Trump le rappelle. A Trombon Valley les sirènes d’alarme rouges sonnent en permanence. Et on élit le monstre du jour, du mois, de l’année. Cette fois-ci, le monstre est Trump et sa danse avec Musk.
L’ethnie spéciale des trombones se déchaîne sans relâche sur tous les rouages : télévision, journaux, radio, livres, films et théâtre, s’infiltrant dans tous les domaines. Sans tenir compte de la réalité et des preuves, elle annonce des catastrophes et des échecs, à moins qu’ils ne soient immédiatement démentis.
Le trombonisme est une vision du monde, ou plutôt de son propre condominium idéologique appliqué au monde ; ou mieux, un regard offensé sur le monde, qui se constitue à la fois en partie civile et en partie idéologique.
Le trombonisme est un ennemi du présent qui craint l’avenir et s’agrippe au passé en s’attaquant à l’archi-passé. Le trombone habite Trombon Valley à deux pas du monde réel mais sans jamais le voir vraiment ; la réalité est en effet reconstruite à la craie dans les studios de Trombon Valley. « C’est ainsi que commença Hitler » est l’incipit rituel quand on veut établir un parallèle du présent avec n’importe quelle dictature. Tout est ramené à aujourd’hui, le féminisme, l’homophobie, le racisme ; tout est une parabole, un avertissement, une allusion pour admonester aujourd’hui avec des faits, des actes, des méfaits d’hier.
Le trombone aime le lointain et déteste le proche, accueille les migrants et rejette les résidents, idéalise l’humanité et méprise le peuple, sympathise avec le voisin lointain et déteste le voisin à l’odeur de proximité. Il tolère les religions et les traditions des autres et méprise les siennes. Il déteste la crèche si elle ne fait pas allusion à un centre d’accueil. Il s’insurge si une carotte est génétiquement modifiée mais râle si quelqu’un a les mêmes réserves sur l’humanité génétiquement modifiée (les transgenres). Il aime les artichauts zéro-km, déteste les villageois zéro-km; il traite d’ailleurs les électeurs de Trump de troglodytes. Il est exaspéré par la famille, par les campagnes en faveur de la fertilité, sauf pour les utérus pour les couples homosexuels. Il se fiche que l’Italie soit en danger, mais descend dans la rue si le Groënland est en danger. Si un crime est commis par un immigré, un noir, un anarchiste, il passe inaperçu ; et même si un animal malmène un homme, c’est l’homme qui est à blâmer, pas la pauvre bête. Hier encore, il dénonçait la dérive « corporatiste » de l’école, aujourd’hui il critique son contraire, le retour annoncé de l’école humaniste. De tout le passé, des classiques, il fait un paquet, il ramène tout au présent et juge toutes les époques, toutes les civilisations à son aune unilatérale. Il exige que les savants, les artistes et les génies du passé soient effacés s’ils ont dit ou fait quelque chose de « raciste » ; il exige une mémoire purifiée, une toponymie éthique, réservée aux victimes du Mal ou aux apôtres du Bien.
Comment devient-on un trombone? Quand le monde ne correspond pas à la fissure idéologique de votre cerveau, vous pensez que vous êtes une Belle Âme tombée en enfer.
Certains vont nous demander de citer des noms. Dans le passé, nous n’avons pas hésité et nous avons cité des noms et des prénoms. Mais ils sont si nombreux que l’on risque d’être injuste en en citant certains et en en épargnant d’autres. Peut-être serait-il plus simple de signaler ceux qui, parmi les célèbrités, ne le sont pas. Je vous propose de dresser votre propre catalogue ad personam: notez les noms les plus en vue dans la presse, les médias, l’édition, ou les présentateurs, invités et influenceurs dans les émissions de télévision, les talk-shows, les réseaux sociaux, et vous obtiendrez une riche liste de trombones ; ou si vous voulez simplifier le test, notez plutôt ceux qui ne le sont pas, car ils sont beaucoup moins nombreux.
Pour combattre le trombonisme, il n’est pas besoin d’une idéologie du signe opposé. Il faut ouvrir les fenêtres, découvrir la réalité avec ses imperfections, ses variétés et ses dissonances, faire preuve de bon sens. Revenir sur terre et savoir distinguer le jour de la nuit, l’hiver de l’été, le trombone de l’intelligence.
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