L’une des plumes récurrentes du blog de Marco Tosatti, qui écrit sous le pseudo Mastro Titta, tire sa réflexion (il oppose la communication du pape à sa volonté de la ramener à lui par le biais d’une narration qu’il entend contrôler seul) d’une récente scène prenant pour cadre la salle Paul VI, lors d’une audience accordée par le pape aux participants au jubilé de la communication.

François n’a pas envie de lire le discours préparé par les fonctionnaires de la Curie, prétextant élégamment les gargouillis de son estomac à l’approche du repas, et confie la tâche de distribuer le discours à son préfet de la communication, Paolo Ruffini. S’ensuit un imbroglio, le pauvre Ruffini ne comprend pas ce que le Pape attend de lui et essuie une rebuffade papale sous les rires (ou plutôt les ricanements) de l’assistance. Bref, une humiliation publique, à la fois pour Ruffini et pour les ghostwriter de la Curie

François a l’habitude de se comporter et de s’exprimer avec une grossièreté peu compatible avec son magistère suprême (inutile de comparer avec Benoît XVI, son élégance raffinée, son immense culture, son langage châtié, sa bienveillance, ses manières douces et aristocratiques). Mais après tout, c’est un trait qu’on pourrait (à l’extrême limite!) admettre, comme une caractéristique pittoresque d’un personnage truculent à la Dickens, s’il ne s’accompagnait pas d’une vraie méchanceté, avec la volonté d’humilier ses collaborateurs en les livrant en pâture au public (question subsidiaire: pourquoi les médias ne dénoncent-ils jamais la grossièreté du pape, et relèvent-ils systématiquement les excès verbaux présumés de Donald Trump?)

Précision (et avertissement!): il va de soi que le billet de Mastro Titta relève du genre de la caricature, le Pape est un personnage public, et étant un fervent supporter de la liberté d’expression, il ne se formalisera pas si quelques esprits facétieux se moquent de lui, même en exagérant un peu. La rançon de la gloire, en somme.

Petit conte pour tristes figures (*)

Ce que Bergoglio fait vraiment, et pourquoi.

(*) Le titre en italien, Favola Breve per Musi Lunghi, littéralement « Conte bref (fable) pour museaux longs » joue sur le contraste entre « bref » (le conte) et « longs » (les museaux). Musi lunghi pourrait se traduire par « tristes figures » ou « têtes d’enterrement », ou « grincheux ». Est-ce une allusion directe à la tête que fait habituellement le Pape?

www.marcotosatti.com/2025/01/27/favola-breve-per-musi-lunghi

Maître Titta.

L’intermède [en italien: siparietto, petite scène de levée de rideau] où un Bergoglio aussi rond qu’Obélix range son discours de neuf pages parce que son estomac gargouille, humilie publiquement Paolo Ruffini et s’esclaffe devant un parterre de pleureuses ricanantes, suggère quelques digressions sur le thème de la « communication » si cher à Son Énormité.

La triste saynète comique suit – ou précède légèrement – le tweet sur les communicateurs qui doivent communiquer l’espoir, et peut-être promouvoir l’auto-hagiographie du pape du même titre.

En attendant de recevoir en cadeau son livre, accompagné d’une demie-livre de sanglier salé à la Coop, essayons d’observer l’épisode avec le détachement qui s’impose en le replaçant dans un cadre plus large.

La pauvreté des moyens intellectuels et spirituels de la baudruche porteño a fait que, dès le premier jour, il a tout misé non pas sur la communication mais sur la narration, le tristement célèbre storytelling (dans le tweet, Bergoglio parle de hopetelling), autrement dit un comptage précis des mensonges. Le passage de la communication au storytelling est un fait relativement récent qui mérite d’être résumé pour les plus distraits : alors que dans la communication le thème sous-jacent est de décrire l’objet existant, la narration fabrique le sujet inexistant.

En termes plus imagés: la communication consistait à faire savoir aux ignorants à quel point les fettuccine aux abats de poulet de ma grand-mère étaient bonnes. Le storytelling ignore complètement les fettuccine – aussi bon soit-il, il s’agit d’un plat de pâtes – et se concentre sur ce trésor qu’est ma grand-mère. La vieille dame a succombé à une attaque cérébrale en 1993 et je ne pense pas qu’elle ait jamais cuisiné un plat de fettuccine de sa vie, mais qui se donnerait la peine d’enquêter ? L’important est de béatifier la grand-mère, pas les fettuccine. Cela dit, que les pâtes de la grand-mère soient comestibles ou non n’a aucune importance : le peuple bovin avale tout sans broncher, prêt à tout pour satisfaire la vanité du narrateur.

Quelques points centraux du siparietto, et en même temps marginaux, qui encadrent encore mieux le thème : Bergoglio ignore-t-il complètement la longueur de ses tirades avant de monter sur la scène de l’Aula Nervi [la Salle Paul; VI, où se tiennent les audiences, ndt], ou ignore-t-il le contenu même des tirades parce qu’elles ne sont pas de son fait ? Avons-nous un pape, ou un prétendu pape, qui lit le téléprompteur comme une demoiselle « buona sera » [une speakerine… je ne sais pas si on a encore le droit d’employer ce mot, ndt]?

Mais Bergoglio ou qui que ce soit d’autre pour lui, est précisément le centre du cosmos et de l’histoire. Il y a quelque temps, j’ai croisé par hasard plusieurs mannequins dans le métro pour la fashion week à Milan. Ce qui m’a frappé, c’est l’absence absolue de grâceet de beauté : des visages et des corps si neutres qu’ils justifient pleinement le terme français de mannequin. Voilà ce qu’est Bergoglio : une colossale tabula rasa, un syndrome de la feuille blanche, un vide qui revient. Il est l’archétype de l’ego transhumain cher au pape du mondialisme Klaus Schwab : le néant à décorer de tel ou tel physique. Il ne s’agit pas de communiquer le pape, ce qu’il dit, ce qu’il fait, mais de raconter Bergoglio.

Le pape a-t-il un petit creux ? Samson peut bien mourir avec tous les Philistins, le protocole, le Jubilé, tout. C’est le deuxième aspect trivial du siparietto : neuf pages, c’est beaucoup, surtout si elles sont aussi denses d’air chaud que les encycliques et les exhortations apostoliques auxquelles il nous a habitués. C’est, ou devrait être, son affaire. Mais Bergoglio est plus intéressé par les beignets, à en juger par son tour de taille (et sa míse) de chauffe-eau.

Bergoglio ne s’intéresse que très peu à l’Église, au catholicisme, à la papauté elle-même, qu’il a réduite à un amplificateur de son ego déformé et malléable. Il exploite même le Jubilé de la communication pour humilier ses propres serviteurs comme le pauvre Ruffini. Et c’est là que le bât blesse : Bergoglio ne s’intéresse pas du tout à la communication – au point de trébucher et de divaguer – parce qu’il a tout misé sur le storytelling. De lui-même.

Ce que le papa ridens a toujours fait avec une rigueur exemplaire. La cerise sur le gâteau, c’est l’auto-hagiographie et ces diatribes intempestives contre la communication vaticane. La manière onctueuse, mielleuse et claudicante dont il aborde les questions sérieuses se heurte au langage qu’il utilise envers lui-même: d’une terrifiante clarté. Il faut lui reconnaître, je pense, la capacité particulière de provoquer chez les autres le reflet de lui-même qu’il veut admirer : détesté par les vrais catholiques, suivi par les catholiques moutonniers, aimé par tous les autres. Dans l’ensemble, ignoré comme un tapis de voiture.

Bergoglio est le nouveau Prométhée qui, au lieu du feu, apporte aux hommes des oursons en gomme. Il est Ulysse devant Polyphème qui lui demande qui il est, et le trompe en répondant : « Je suis le pape ». C’est-à-dire personne.

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