Intéressante analyse d’Andrea Gagliarducci à propos de la nomination d’une religieuse à la tête du Gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican: une fois de plus, le pape se distancie de l’approche traditionnelle, qui relie les postes de pouvoir dans l’Eglise à l’ordination. Il croit ainsi satisfaire ses sponsors, ici en accroissant la présence des femmes dans des rôles de gouvernement. Mais pour cela, il faudrait modifier la législation, ce qu’il néglige, suivant une méthode désormais bien rodée, celle du « brouillon », i.e. promouvoir des réformes « expérimentales » qui avancent en cahotant sans plan précis et nécessitent en général des retours en arrière, voire des rétro-pédalages spectaculaires « en catastrophe ».
Au final, malgré tous les changements promis (et claironnés depuis 2013 comme l’une des causes de son élection), les fondations d’un nouveau monde au sein de l’Église restent à construire.

Qu’y aura-t-il à reconstruire?

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com
Lundi 27 janvier 2025

En annonçant la nomination de Sœur Raffaella Petrini à la présidence du Gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican à partir du mois de mars, le Pape François a précisé son intention première. Face à une attitude qu’il a qualifié sommairement « On a toujours fait comme ça », le Pape François applique plutôt une approche personnelle, d’où découlent des changements à la fois dans la loi et dans la coutume.

Le pape François a exposé précisément ce principe au début de son pontificat.

Le secrétaire de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique de l’époque, José Rodríguez Carballo, OFM, ancien ministre général des Frères mineurs et actuel archevêque de Mérida-Badajoz en Espagne, a déclaré lors d’une réunion à l’Université pontificale Antonianum en 2013 qu’il discutait avec le pape de la nécessité d’élargir les critères pour les noviciats. Il a expliqué qu’à un moment donné, il avait fait remarquer que certaines idées pouvaient ne pas être prévues par le droit canonique, ce à quoi le pape François avait répondu : « Nous pouvons changer le droit canonique ».

À cela s’ajoute un autre principe du pape : les réformes se font au fur et à mesure. Il n’est pas nécessaire d’avoir un plan précis, car le plan consiste simplement à réformer. C’est pourquoi les réformes du pape François ont tendance à faire un pas en avant et un pas en arrière, avec des ajustements ultérieurs à la suite d’erreurs ou de dysfonctionnements.

Comment la nomination annoncée de Sœur Raffaella Petrini s’inscrit-elle dans cette logique ? Il y a une question préalable : pourquoi le pape François a-t-il décidé de nommer une religieuse à un poste de cardinal ?

La présidence du gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican n’est pas la prérogative exclusive des clercs. Il s’agit d’un poste administratif et il convient de rappeler que, dans le passé, le gouverneur de l’État a toujours été un laïc.

Le pape Jean-Paul II a lié le pouvoir du pape et son exercice sur l’État de la Cité du Vatican à une commission de cardinaux. Le président de la Commission des cardinaux, qui doit être un cardinal, est également président du gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican. Ainsi, le pouvoir du pape est exercé par une commission de cardinaux dont le président exerce également des fonctions administratives. Le pape François ne semble pas avoir considéré tout cela.

Il a pensé à la valeur de sœur Petrini, au fait que le poste pouvait, du moins en théorie, ne pas être occupé par un ministre ordonné, et au fait qu’il pouvait ainsi tenir sa promesse d’augmenter le nombre de femmes occupant des postes de gouvernement dans l’Église.

Cette démarche nécessite certes une modification de la législation. Soit le rôle du président du gouvernorat est séparé de celui du président de la Commission des cardinaux, soit la Commission des cardinaux devient tout simplement une commission à laquelle n’importe qui peut être nommé.

Plus qu’une réforme, c’est une révolution. Au moins parce que, surtout depuis le Concile Vatican II, on a toujours cherché à lier le ministère de gouvernement à l’ordination. Le pape Jean XXIII a stipulé que les cardinaux devaient au moins être archevêques, à quelques exceptions près. Le droit canonique a établi que les clercs ne pouvaient être jugés que par des clercs. La réforme de la Curie par le pape Paul VI, puis par le pape Jean-Paul II, a toujours stipulé qu’au moins un archevêque devait diriger les dicastères du Vatican, car il devait exercer la collégialité avec le pape, évêque de Rome. Le pape François est revenu à l’idée que l’investiture personnelle du pape est suffisante pour avoir une mission canonique. Le pape est au centre de tout, alors que ce qui relève du gouvernement peut être confié à n’importe qui. L’ordination ne concerne que les questions spirituelles, tandis que l’ordination n’est pas cruciale lorsqu’il s’agit de gouverner. La potestas gubernandi, ou pouvoir de gouverner, devient ainsi une simple fonction, et non un sacrement.

Le pape n’est cependant pas arrivé à cette idée par une réflexion théologique précise et systématique. Il y est arrivé par tâtonnements, par des choix de gouvernement qui relèvent plus du rééquilibrage que de la volonté de faire avancer une vision. Il y a une vision, mais c’est en fait, sinon intentionnellement, une vision presque laïque du gouvernement.

La seule chose sur laquelle tout le monde était d’accord en 2013 était que beaucoup de choses dans la Curie romaine et dans l’Église en général devaient être réformées. Mais la manière dont les réformes sont mises en œuvre n’est pas une question anodine. Les choix d’un réformateur, les choix de tout réformateur, ont un impact sur la vie de l’Église. On peut alors se demander dans quelle mesure cela était nécessaire.

Lors de l’élection du pape François, il a été dit que quatre années de Bergoglio suffiraient. Cette rumeur, rapportée par des journalistes proches du pape et certes pas par des ennemis, témoignait de la nécessité de rompre l’équilibre et, en même temps, de revenir à un point où l’on pourrait reconstruire selon l’ancien équilibre. Bergoglio était considéré comme le choc salutaire, qui permettrait ensuite une croissance plus organique.

Après onze ans de pontificat, il est nécessaire de reconstruire. Une grande partie de l’ancien monde a été détruite, mais le nouveau monde n’a non seulement pas été construit, mais les fondations de ce nouveau monde n’ont même pas été posées. Les réformes du pape François semblent incomplètes parce qu’elles n’ont pas prétendu être complètes.

Il y a un gouvernement asymétrique, avec des bureaux épiscopaux et des cardinaux assignés sur la base de la confiance personnelle, mais qui n’ont pas de poids réel dans les bureaux. Et il y a une centralisation de tout dans la figure du pape. En outre, il y a un fort désir d’esquisser un nouveau « récit » [le fameux « story-telling », ndt]. Ces dernières années, on a beaucoup parlé de la nécessité pour la théologie latino-américaine de devenir une source de théologie, du désir de remettre les mouvements populaires au centre, et du fait que le centre peut être mieux vu depuis la périphérie.

Pour ce faire, il faut créer un nouveau récit et imposer un nouveau point de vue.

Il reste à voir quelle direction prendront les quatre documents suivants du Dicastère pour la doctrine de la foi (intelligence artificielle, esclavage, monogamie et mariologie). En effet, le fait que le Dicastère publie autant indique un effort sans précédent. Auparavant, le Dicastère était considéré, parfois avec crainte, comme le lieu où l’on corrigeait les erreurs. Aujourd’hui, il risque de devenir le lieu où l’on impose de nouveaux points de vue.

En fin de compte, le pape François a changé beaucoup de choses. Malgré tous ses discours sur la marche en avant, François nous a ramenés à bien des égards à des notions plus anciennes, comme s’il voulait réinitialiser l’histoire et recommencer à partir d’un point antérieur, voire de zéro, comme si l’histoire n’avait jamais eu lieu. L’œuvre ainsi découpée et commencée ne peut rester purement esthétique. Un jour ou l’autre, quelqu’un touchera aux fondations.

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