Oyez, oyez, bonnes gens… et tremblez. L’arrivée de Trump marque l’émergence d’ « une sorte de monde souterrain et parallèle (brrr…), à l’empreinte fortement conservatrice, qui était jusqu’à présent resté niché dans le ventre de l’Amérique et du monde catholique occidental. C’est un univers financièrement puissant, influent dans les universités, les centres d’études, les réseaux de télévision« … dont les représentants sont forcément marqués à l‘ultra-droite. et dont le cardinal Müller est la figure emblématique.
Cet article du Corriere della Sera, pure émanation de l’ex-Nouvel ordre mondial version UE, est une véritable « synthèse » (© Audiard), qui illustre bien l’inquiétude (s’étendant jusqu’à l’issue du prochain conclave) d’un monde qui voit son pouvoir jusqu’ici sans partage lui échapper.

Le parti de Trump grandit dans l’église.

Le cardinal Muller : « Mieux vaut un bon protestant qu’un mauvais catholique ».

Quei «trumpiani» in Vaticano
L’illustration choisie (pas au hasard) par Il Corriere. Tout un programme

Massimo Franco
www.corriere.it

Les caractères gras sont les miens

Le cardinal Gerhard Muller, le hargneux ex-gardien de la doctrine catholique, a officialisé la première sortie du « parti trumpien » au Vatican.

« Je préfère personnellement Donald Trump à Joe Biden » . Même si le premier est protestant et son prédécesseur catholique ? « Mieux vaut un bon protestant qu’un mauvais catholique… ».

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Le cardinal Gerhard Muller, le hargneux ex-gardien de la doctrine catholique, officialise la première sortie du « parti trumpien » dans l’église du pape François. À entendre ce théologien allemand, critique constant mais loyal de la papauté, « beaucoup de cardinaux et d’évêques pensent comme moi, même s’ils ont peur de le dire. Et aux États-Unis, le pourcentage est encore plus élevé ». Lors des dernières élections présidentielles, 56 % des votes catholiques sont allés au milliardaire, inversant de 15 points la tendance observée quatre ans plus tôt.

Mais l’impression est que les résultats du 6 novembre ont fait émerger une sorte de monde souterrain et parallèle, à l’empreinte fortement conservatrice, qui était jusqu’à présent resté niché dans le ventre de l’Amérique et du monde catholique occidental. C’est un univers financièrement puissant, influent dans les universités, les centres d’études, les réseaux de télévision comme Ewtn, le réseau de la « parole éternelle », dont Trump et son adjoint, le catholique d’ultra-droite James David Vance, sont les champions. Maintenant que Trump a été élu, il émerge comme une réalité qui peut enfin parler haut et fort contre l’avortement, l’immigration, et contre ce « politiquement correct » perçu comme une source de confusion et de relativisme : à reléguer dans le passé avec les démocrates.

Muller montre une photo de lui avec le nouveau président en 2022 au Trump National Golf Club à Bedminster, à quarante minutes de route de Manhattan. Et il raconte sa conversation avec lui, ne s’interrompant que lorsqu’on lui demande si et comment François lui a parlé.

Il a également rencontré l’actuel vice-président Vance chez le cardinal new-yorkais Timothy Dolan, homme de l’ombre du front catholique conservateur. Et il y a quelques années, il a croisé à Rome le futur ambassadeur des États-Unis auprès du Saint-Siège, Brian Burch, président de Catholic Vote, le lobby électoral qui a apporté des millions de voix à Trump dans les États clés : un personnage présenté comme un partisan des adversaires les plus carrés du pontife argentin.

Il est vrai que dès le premier mandat de Trump, les relations entre la Maison Blanche et la Rome papale étaient tendues. François avait alors qualifié de « non-chrétiens » ceux qui construisent des murs pour arrêter les immigrés : une critique qui n’avait pas suffi à éviter l’élection du milliardaire. Et cette fois, alors qu’en plus des murs, Trump a commencé de véritables déportations d’« immigrés illégaux » d’Amérique latine, les évêques américains ont fait part de leur inquiétude. C’est au tour de Timothy Broglio, président de la conférence épiscopale et ordinaire militaire, d’exprimer le 23 janvier la crainte de « conséquences négatives sur les plus vulnérables » : également à cause de la décision d’arrêter les immigrés près des églises. Mais Vance a répondu vertement que parce qu’ils « reçoivent 100 millions de dollars pour aider les immigrants illégaux », les évêques américains « s’en mettraient plein les poches ». Cet avertissement sévère n’efface pas les penchants de nombreux prélats américains et d’autres personnes qui voient en lui [Broglio] un rempart contre les lois sur l’avortement.

EWTN TV a montré une photo de Trump signant l’un de ses « ordres exécutifs ». Mais pas celui contre les déportations d’immigrés. Il s’agissait de l’interdiction de donner des fonds publics à ceux qui promeuvent l’avortement. Et la « marche pour la vie » du 25 janvier à Washington a appelé à rendre l’avortement « impensable ». Aussi contradictoire et imprévisible soit-il, le nouveau président est parvenu à se présenter comme ce « moindre mal » par rapport à Kamala Harris que François avait désigné à l’approche du vote américain, sans préciser de qui il s’agissait.

Mais la relation avec le Vatican promet d’être plus affirmée. Après tout, en 2016, Trump avait atterri à la Maison Blanche par surprise. Aujourd’hui, il a le vote populaire et une équipe idéologique féroce derrière lui. Et il peut faire preuve d’instincts plus agressifs qu’un pape affaibli. En 2023, Burch a accusé François d’avoir «semé la confusion» en autorisant les prêtres à légitimer les unions homosexuelles. Il a ajouté que son successeur devrait « faire preuve de clarté ».

Muller énumère:

« On m’a dit que Burch était un bon catholique. Et Trump aidera l’Église parce qu’il représente les valeurs du droit naturel : l’inviolabilité de la vie, l’importance du mariage, la liberté religieuse. Et il poursuit l’idée d’un État qui ne s’immisce pas dans tous les domaines de la vie. Même en ce qui concerne les immigrés, il faut faire la distinction. S’il renvoie les criminels, c’est bien. S’il les expulse en tant qu’étrangers, non ».

Dans ses propos troublants, on devine la plate-forme culturelle d’une sorte d’« Internationale chrétienne » aux Etats-Unis et en Europe, en défense de la tradition ; hostile aux « super-milliardaires opportunistes, genre Musk » ; ennemie déclarée de « la Chine communiste qui fait souffrir les bons catholiques », accuse Muller. Et surtout déterminé à peser de l’extérieur sur les épiscopats et peut-être sur le prochain Conclave, quand il aura lieu.

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