L’absence du pape, si l’on met de côté la brève (et très théâtralisée) apparition d’hier au terme de la messe pour les malades, a mis en évidence, outre sa volonté tenace de garder la barre (c’est du moins ce que pense A. Gagliarducci) deux faits caractéristiques de ce pontificat: d’une part, la Secrétairerie d’État (et son chef, l’omniprésent cardinal Parolin) a retrouvé, au crépuscule du pontificat, la place centrale que le pape lui avait soustrait subrepticement mais efficacement pendant 12 ans (conservant le même secrétaire d’Etat, mais vidant littéralement sa fonction de toute substance). Et aussi, l’excessive centralisation du pouvoir dans les seules mains papales, mettant François face à une situation qui n’était probablement pas celle qu’il avait imaginée, simplement parce qu’il n’a pas pensé à fournir une structure gouvernementale réelle.
Le pontificat invisible nous montre une chose : l’Église ne peut pas être sans chef, même si celui-ci n’est présent qu’à travers la loi.
En fin de compte, quelqu’un prendra ce rôle parce que l’unité est nécessaire.
Que pèse l’absence de cadre juridique ?
Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
7 avril 2025
Voilà deux semaines que le pape François est de retour à la Domus Sanctae Marthae, après plus d’un mois à l’hôpital Gemelli de Rome. Hormis une brève apparition dimanche [hier, 6 avril], à la fin de la messe pour le jubilé des malades, le pape n’a pas été vu publiquement après la pause- surprise à Santa Maria Maggiore [30 mars]. Les informations sur son état de santé arrivent deux fois par semaine et font état d’améliorations et de la bonne humeur du Pape.
Toutefois, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que le Pape se montre systématiquement, et même sa brève participation à la liturgie d’hier a été en quelque une sorte une surprise.
Bref, nous aurons de plus en plus affaire à un pape invisible.
L’invisibilité du pape est un fait nouveau dans l’histoire récente de l’Église. Jean-Paul II, bien que malade et presque incapable de parler, n’a jamais renoncé à être vu par les gens. Sa maladie a été exposée publiquement et a fonctionné comme un grand témoignage chrétien de l’acceptation de la douleur et du chemin vers la vie éternelle.
Le pape François a une approche différente. Même l’utilisation du fauteuil roulant a été mûrement réfléchie. Le pape veut paraître fort, capable de résister à une intense fatigue et ne veut pas renoncer au contact avec les gens.
Le 9 janvier, alors qu’il souffrait déjà de détresse respiratoire, il a rencontré le corps diplomatique. Il n’a pas lu le discours mais a salué chacun individuellement sans se ménager. Il fait de même le 9 février, alors qu’il présidait la messe du jubilé des militaires. Il n’a pas lu l’homélie mais est resté, frigorifié, pendant deux heures avant de saluer tous ceux qu’il a pu.
Aujourd’hui, nous savons que cet effort a contribué à l’exacerbation des conditions qui ont conduit à la crise qui l’a conduit à l’hôpital pendant près d’un mois et demi. Nous savons également qu’à l’époque, le pape luttait contre une pneumonie polymicrobienne bilatérale.
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Mais l’état de santé du pape François doit aussi nous faire réfléchir sur le gouvernement de l’Église.
Aucune décision ne peut être prise sans le pape. En période de Sede vacante, les cardinaux se réunissent en congrégation générale et ne décident que de certaines questions pratiques et ordinaires. Mais tout le reste concerne le pape et lui seul.
Et pourtant, la vie de l’Église continue.
Alors que le pape François est en convalescence, le cardinal Pietro Parolin a fait savoir que seuls les dossiers les plus urgents seraient soumis au pape. Ironie du sort, la Secrétairerie d’État a retrouvé sa place centrale à ce qui semble être la fin de son pontificat.
En douze ans, le pape François n’a jamais changé la direction de la Secrétairerie d’État mais a de plus en plus érodé ses pouvoirs. La Secrétairerie d’État avait été identifiée comme une sorte de deep state au sein de l’appareil central de gouvernement de l’Église, et le pape François s’en est méfié dès le départ. François n’avait même pas inclus la Secrétairerie d’État dans le Conseil des cardinaux, à l’origine le C8. Parolin n’a participé à des réunions et rejoint le kitchen cabinet [1] qu’en juillet 2014, plus d’un an après sa création.
Par ailleurs, la Secrétairerie d’État a d’abord perdu la présidence de la Commission cardinalice de l’Institut pour les œuvres de religion [IOR] et a été totalement évincée de ladite Commission au cours du dernier mandat, mettant ainsi fin à une tradition de collaboration entre l’institution financière centrale du Saint-Siège et son organe institutionnel.
Même du point de vue de la communication, la Secrétairerie d’État a été mise à l’écart.
Le pape François a créé le dicastère de la communication, qui comprend une direction du Bureau de Presse, qui avait dépendu directement du Palais apostolique pendant des années. Nous nous retrouvons donc avec une structure qui reçoit les bulletins de la Secrétairerie d’État, par laquelle passent toutes les nominations, mais qui ne dépend plus uniquement de la Secrétairerie d’État en termes de communication.
Bref, le pape François a toujours gouverné sans secrétariat d’État, utilisant ses canaux personnels pour les questions diplomatiques et ses relations pour les décisions clés.
Aujourd’hui, la Secrétairerie d’État est redevenue l’organe auquel tout le monde se réfère. C’est normal. Dans la confusion des pouvoirs et des décisions, on se tourne vers l’institution. Le fait est que le gouvernement reste faible si l’institution est affaiblie.
Dans ces circonstances, nous voyons exploser dans toute sa force le caractère dramatique du pontificat du Pape François.
Depuis des années, le pape travaille à une réforme de la Curie, qui devait être un changement de mentalité. Mais cette réforme, étudiée avec l’aide de coûteux consultants extérieurs, ne s’est pas tellement préoccupée de la mentalité des structures. L’idée, très fonctionnaliste, est qu’en restructurant les choses, on susciterait une nouvelle mentalité. Qu’une division radicale des pouvoirs éradiquerait la corruption. L’ouverture à de nouvelles formes de gouvernement, comme la synodalité ou les rôles de responsabilité pour les femmes, devait conduire à un monde nouveau.
Mais les réformes sont faites par les personnes, pas par les structures. Des structures épouvantables peuvent accomplir un excellent travail grâce à la qualité des personnes qui y travaillent. Il arrive également que d’excellentes structures améliorent le travail de personnes médiocres. Les mauvais éléments trouveront toujours un moyen de gâcher le travail des bonnes et même des excellentes personnes, si le monde le permet et si le temps le permet.
Pour le pape François, c’est l’élan missionnaire de l’Église qui devait être revigoré, et c’est ce qu’il a cherché à faire [???] plus qu’à réformer les structures, dont beaucoup ont été purement et simplement détruites et d’autres ont été contournées ou fondamentalement désactivées. S’il devait y avoir une question juridique, elle concernait le pape lui-même, son rôle, son pouvoir, les délégations qu’il pouvait donner personnellement.
La démission de Benoît XVI n’a pas seulement créé la figure du pape émérite, sur laquelle le pape François n’est jamais intervenu en neuf ans de cohabitation. Elle a également mis en lumière la possibilité d’une démission du pape et, par conséquent, la nécessité de comprendre dans quelles conditions le pape devrait démissionner ou qui devrait gouverner dans le cas d’un pape malade depuis longtemps.
Aujourd’hui, on peut tomber malade et rester en vie pendant longtemps. Pie VI a continué à être pape même en exil. Mais que se passe-t-il lorsque le pape est là, qu’il est lucide, mais qu’il ne peut pas, pour des raisons objectives, tout vérifier ?
C’est la question du siège empêché et du gouvernement de l’Église dans le cas d’un pape qui peut être invisible pour toutes sortes de raisons.
La question de la légitimité du gouvernement de substitution demeurera tant que l’absence d’une loi claire (ou d’une expression claire de la volonté du pape) persistera.
Rien de nouveau sous le soleil.
Cela s’est également produit avec Jean-Paul II. C’est vrai. Et Benoît XVI a voulu éviter une telle situation, alors il a renoncé. Mais justement parce que c’est déjà arrivé, il aurait été bon de commencer à donner un cadre juridique à toute cette affaire.
Au lieu de cela, le pape François a tout centré sur lui-même, agissant sur les institutions et non sur les tâches, mettant l’accent sur son leadership au détriment du gouvernement. Aujourd’hui, il se retrouve à gérer une situation qui n’était probablement pas celle qu’il avait imaginée, simplement parce qu’il n’a pas pensé à fournir une structure gouvernementale réelle.
Ainsi, le pontificat invisible nous montre une chose : l’Église ne peut pas être sans chef, même si celui-ci n’est présent qu’à travers la loi.
En fin de compte, quelqu’un prendra le rôle parce que l’unité est nécessaire. Cette phase du pontificat marque peut-être la fin de la parenthèse de l’Église « hôpital de campagne ».
Car en continuant à vivre dans l’urgence, on ne prépare pas l’avenir.
L’un des grands paradoxes de ce pontificat est que l’Église sortante risque à présent de se recroqueviller sur elle-même, et que le pape peut seulement assister à la scène.
[*] Ndt
Kitchen cabinet: dans le jargon politique anglo-saxon, terme péjoratif désignant la réunion officieuse de conseillers proches d’un chef de gouvernement ou d’un président, en parallèle d’un cabinet gouvernemental officiel.