(Mise à jour) Lorsqu’on évoque une production Netflix, on a tendance à faire la grimace. Pas toujours justifiée, d’ailleurs, car il y a parfois de bonnes surprises (comme par exemple le récit autobiographique de JD Vance, « Hillbilly Elegy »).
J’ai donc regardé la série « Adolescence », qui raconte en quatre épisodes d’une heure l’histoire d’un « ado », comme on dit (un anglais blanc comme la victime, précisons-le tout de suite), qui a tué à coups de couteaux, une fille de sa classe, et qui paraît-il explose tous les compteurs d’audience, et fait l’objet de recensions dithyrambiques.

Est-ce bien justifié? Je me le demande encore, car ce que j’ai vu est plutôt correct, mais ne mérite « ni cet excès d’honneur, ni cette indignité » (à vrai dire, il n’y a pas d’indignité): quatre épisodes d’une histoire désespérément grise et banale, à l’image de l’Angleterre pavillonnaire qui lui sert de cadre (mais ce pourrait être en France, en Allemagne, en Italie…), souvent « contemplative » – pour ne pas dire ennuyeuse, et qui abuse, par un maniérisme affecté du réalisateur, d’interminables « plans-séquence » qui lui confèrent sans doute une touche intello mais sont insupportables pour le spectateur lambda… comme moi.
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Le tout ne suscitant pas une once d’émotion, (au moins chez moi), pas la moindre empathie, les personnages sont dans l’ensemble négatifs et sans aucun intérêt humain, on ne parvient pas à les plaindre même la victime, qui apparaît finalement comme une petite peste, et les parents pleins de bonne volonté, sans doute, mais limités, dépassés, des ectoplasmes là où il aurait fallu des guides et des modèles. La vie, quoi!

On voit bien où on veut nous emmener, ou plutôt nous balader: la condamnation sans appel de cette « masculinité toxique », amplifiée par les réseaux sociaux, et la sociologie à deux balles qu’ils véhiculent (attention au jargon: Incels, Chad, Red Pill, etc… Non branchés s’abstenir) et que les gamins avalent sans piper, qui serait cause de tous les maux actuels. Au point que l’avenant premier ministre britannique, Keir Starmer qui s’était déjà dit favorable à la diffusion de la série dans les collèges du pays, a confirmé qu’elle sera bientôt mise à disposition des établissements secondaires. De quoi susciter notre méfiance. Et pour dire quoi aux jeunes?
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Et tout cela en occultant allégrement le désastre d’une société multiethnique aculturée, sans repères et sans racines (épisode 2); et surtout l’abandon dramatique de l’autorité, et donc une forme de démission des parents, et plus généralement des adultes, rampant littéralement devant les ados: à cet égard, le second épisode, tourné entièrement en décors naturels, avec les élèves comme acteurs, dans un collège d’une zone pas plus défavorisée qu’une autre, qui évoque davantage un zoo peuplé de bêtes féroces (les élèves portent pourtant un très chic uniforme – blazer armorié, jupe plissée pour les filles et élégant pantalon pour les garçons -, apportant ainsi un contre-témoignage saisissant aux irénistes qui pensent que le fait d’endosser cet accoutrement pourrait « civiliser » les élèves), ou une prison ouverte, qu’un lieu de culture et d’éducation, est un triste témoignage de l’époque que nous vivons.
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Bref, un divertissement… pas vraiment divertissant, et un fait de société, si l’on veut, mais pas celui qu’on nous indique. Intéressant, mais malheureusement, récupéré, ou instrumentalisé, comme d’habitude.

Pour aller plus en profondeur, voici un décryptage catholique et une fine analyse de Tommaso Scandroglio sur la NBQ.

Une société de pères sans Dieu, la série Adolescence

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La série britannique qui passe au crible les malaises et les violences du monde de l’adolescence et du rapport à la figure paternelle est en train de faire un tabac. Le diagnostic de l’adolescence est parfait, mais aucune thérapie n’est proposée. Les pères de notre société postmoderne n’ont pas de relation avec le Père éternel.

C’est un drame et ce n’est pas un polar.
66,3 millions de vues en 11 jours.
Il s’agit d’Adolescence, une série télévisée britannique diffusée sur la plateforme Netflix. Jamie Miller, 13 ans, est accusé du meurtre de l’adolescente Katie Leonard. Dix minutes avant la fin du premier épisode, on apprend que c’est vrai : oui, il l’a fait. C’est tout. À la banalité du mal s’ajoute la brièveté du mal, capable de se répercuter profondément et longtemps.

Les scénaristes Jack Thorne et Stephen Graham, qui joue aussi de manière convaincante le père de Jamie, ont utilisé une histoire hyperbolique – un garçon qui tue une fille – comme une loupe pour scruter le monde de l’adolescence et la relation avec la figure paternelle.

Le cœur de cette série est de comprendre pourquoi les jeunes sont fermés, violents, incompréhensibles, absents, distants et rebelles, bref, pourquoi ils sont adolescents. Thorne explique au journal The Guardian que Jamie « est le produit de parents qui n’ont pas vu, d’une école qui ne s’est pas souciée de lui et d’un cerveau qui ne l’a pas arrêté », ainsi que du conditionnement social, en particulier d’Internet.

Commençons par les parents. L’idée des créateurs d’Adolescence n’est pas de leur jeter la pierre. Le père et la mère de Jamie sont des personnes équilibrées, sans vices, aimantes avec leurs enfants, présentes, solides dans leur caractère. Il en va de même pour la sœur aînée de Jamie. Cette dernière n’a pas été abusée ou traumatisée. Une famille, comme on dit, normale. Mais, comme le mentionne Thorne, ils n’ont pas réalisé que la plante maléfique de la haine poussait en Jamie, une négligence qui n’est cependant pas entièrement de leur faute : ces adolescents sont aussi indéchiffrables que les codes qu’ils utilisent sur les réseaux sociaux pour communiquer. C’est un autre langage, révélateur d’une autre culture, d’un autre monde.

Adolescence est une série sur les adolescents et les pères. Pas sur les mères.

Pourquoi ?

Parce que Jamie est un homme, en fait un petit homme manqué. Dans les quatre épisodes – tous tournés en un seul plan-séquence étourdissant et vertigineux – il y a deux figures paternelles, toutes deux positives, toutes deux dans la cinquantaine : Eddie, le père de Jamie, et Luke Bascombe, le policier chargé de l’affaire et père d’Adam, qui fréquente la même école que Jamie.

Eddie et Luke sont virils, musclés, forts dans leur apparence et dans leurs choix, décidés et résolus.

À quoi ressemblent au contraire Jamie et Adam ? Chétif (Jamie semble avoir 10 ans), faible (lorsque Jamie est arrêté, il urine dans son pantalon), exclu par ses camarades de classe, victime de brimades.

Jamie, en parlant à la psychologue, révèle que son père s’est détourné de lui alors qu’il prouvait, en jouant au football, qu’il n’était pas à la hauteur avec le ballon. Et inadéquation est le mot clé. Jamie sait qu’il n’est qu’une vilaine copie de son père.

Le souci du détail : Eddie a rencontré la mère de Jamie à l’âge de 13 ans, le même âge que Jamie lorsqu’il a tué sa camarade. Jamie recherche l’approbation de son père, son affection, son estime, et celui-ci ne le déçoit pas. Pourtant, lors de la confrontation passionnée et vibrante avec la psychologue, Jamie, désemparé, admet : « Je suis moche, le plus moche », même s’il ne l’est pas. Voilà la clé la plus profonde de l’interprétation de ce film : dans ce « moche » réside la distance qui le sépare du modèle paternel, et donc ce « moche » certifie le manque d’acceptation de soi, le rejet de soi, non pas tant de sa propre identité, mais de la perception de celle-ci. D’où la haine, profonde, radicale, absolue, aveuglante et dévastatrice pour lui-même et pour les autres, les compagnons et les filles « qui ont réussi ».

L’aveu de la non-acceptation de soi nous conduit à l’analyse d’un autre facteur qui a armé la très jeune main de Jamie d’un couteau : le contexte social. En particulier Internet.

Adam explique à son père policier le mobile du meurtre. Jamie est considéré par ses pairs comme un « incel », un terme qui signifie « involontairement célibataire » : des hommes qui n’ont pas de relations romantiques ou sexuelles et qui sont incapables d’en avoir. Les incels se rencontrent en ligne et sont adeptes d’une idéologie appelée « Red Pill » (pilule rouge). La référence est la fameuse pilule rouge du film Matrix, qui symbolise l’éveil, la prise de conscience de la réalité et de sa propre condition. La Red Pill des Incels enseigne qu’il existe des facteurs génétiques, évolutifs et environnementaux qui font que – comme l’explique Adam à son père – 80 % des femmes sont attirées par 20 % des hommes Chad c’est-à-dire des hommes beaux, brillants, sûrs d’eux, virils et performants (un principe qui rappelle un peu le principe de Pareto selon lequel 80 % des effets proviennent de 20 % des causes).

Cette représentation déformée de la réalité conduit à la misogynie et à la misandrie : les Incels détestent les femmes et les hommes Chad. Le manque d’estime de soi de Jamie a intercepté cette communauté d’incels sur le web, appelée la manosphère : des sites, des blogs, des forums, des chats où plus les incels s’apitoient sur leur sort, plus ils s’enflamment, faisant l’apologie de la violence.

Une réaction déraisonnable à la culture woke qui voit le mâle comme un être toxique et à la culture féministe qui a réduit le mâle à un rôle de soutien, parce qu’il est faible et sentimental. L’allumette tombe sur l’essence quand Kate se moque publiquement, sur Instagram, de Jamie en lui disant qu’il est un incel. Peu après, le garçon la harcèle et la poignarde à sept reprises.

Le scénariste Thorne commente : « Il vient d’un bon milieu, comme moi ; c’est un enfant intelligent, comme je l’étais. La différence fondamentale entre nous ? Il avait Internet ».

L’autre scénariste, Stephen Graham, va jusqu’à dire que la série « traite d’un problème universel plus vaste, à savoir l’aliénation ». Jamie vit dans un monde virtuel, dissocié de la réalité, éloigné de la vérité des choses, des relations, des affections. Le monde artefactuel d’Internet a remplacé le monde réel et le garçon croit donc vraiment aux théories de la Red Pill et croit vraiment qu’il est un raté. Un raté qui, pourtant, trouvera sa rédemption lorsque, dans le dernier épisode, il plaidera coupable : c’est enfin l’acceptation de la réalité, de sa responsabilité et donc de lui-même. L’aveu de culpabilité marque le passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Thorne indique à juste titre la liberté comme l’une des raisons pour lesquelles Jamie a tué. Il s’agit là d’un contre-argument car, comme on le prône, si un adolescent tue, c’est généralement la société ou les parents qui sont à blâmer. La série, en revanche, ne cherche pas d’alibi : Jamie voulait chercher certains contenus sur internet, il voulait ne pas résister à certaines suggestions, il voulait fréquenter certains amis (l’un de ses amis lui fournira le couteau), il ne voulait pas parler de ses problèmes à ses parents et, enfin, il a planifié et voulu la mort de Kate. Vous pouvez être les meilleurs parents du monde, mais il y aura toujours la variable « liberté » qui pourra saper tous vos efforts. Adam et Eve avaient un Père parfait, et pourtant….

Mais dans cette série, l’épine la plus vive est l’absence de solution à ce drame, de résolution du problème. Le diagnostic est parfait, il manque la thérapie.

Une étude de 2013 du Pew Research Center nous apprend que les pères d’il y a une douzaine d’années passaient trois fois plus de temps avec leurs enfants que les pères d’il y a soixante ans. Mais quelle est la qualité de ce temps ? En d’autres termes, que transmettent-ils à leurs enfants pendant tout ce temps ?

Eddie, nous l’avons dit et Jamie l’a confirmé à la psychologue, est un père attentif et présent. Mais par quoi se caractérise cette présence ? Eddie est probablement l’un des meilleurs des pires. Nous voulons dire qu’il a donné ce qu’il pouvait donner, ce qu’il a reçu dans cette époque de désert et de misère culturelle. Cet homme de 50 ans lui a donné la culture de la postmodernité, qui est absolutiste, c’est-à-dire détachée de l’histoire (pas de racines dans le passé), détachée de la nature humaine (pas de loi morale), détachée de la transcendance (pas de Dieu). Il n’avait rien d’autre à lui donner et d’ailleurs la série se termine sur ces derniers mots amers du père adressés à l’animal en peluche de Jamie : « Je suis désolé gamin. J’aurais pu faire mieux ». Mais il ne sait même pas – et avec lui les scénaristes – ce qu’est ce mieux, parce qu’il lui est inconnu. Et si vous ne le savez pas, vous aurez beau être le père le plus aimant et le plus présent au monde, cela ne servira pas à grand-chose.

La thérapie, qui n’est pas facile, consiste donc à renouer avec la tradition personnelle, familiale et culturelle, avec la réalité des choses qui se réfère à une moralité objective, et surtout avec Dieu.

Car sans Père, on n’est pas père.

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