Dans le magma des innombrables commentaires qui ruissellent en flot ininterrompu depuis hier, émanant le plus souvent de gens qui ne savent rien, ne comprennent rien, mais s’autoproclament en toute modestie « spécialiste du Vatican/de la papauté/de l’Eglise » et qui étalent généralement un sentimentalisme béat insupportable, il est difficile de trouver des informations (et d’autant moins des analyses) fiables, ou, au minimum, acceptables. Presque tous se recopient, puisant leur « science » du moment sur Wikipedia et auprès des grandes agences de presse, AP, Reuters, AFP. A fuir…
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Heureusement, je fréquente quelques « bons sites »!! Ils sont italiens – avec quelques exceptions, Nardi, The Wanderer – car « c’est là que ça se passe ».
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Comme celui d’Andrea Gagliarducci, qui suit la papauté au jour le jour depuis Benoît XVI, qui connaît à fond les arcanes du Vatican, et qui propose ici une très clairvoyante analyse en guise de premier bilan.
Témoin cet échantillon significatif (personne, à ma connaissance, n’en a parlé en France)
Jamais un pape n’a autant parlé de lui-même, y compris dans quatre livres autobiographiques au cours des deux dernières années et dans des dizaines d’interviews, données avec une générosité toujours plus extraordinaire et toujours en regardant en dehors du bercail catholique.
Et pourtant, nous ne savons rien ou presque de ce pape.
Nous ne voyons pas la période du « désert », lorsque les Jésuites l’ont envoyé à Cordoue et l’ont isolé.
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Nous ne savons pas en profondeur comment il s’est comporté pendant la dictature argentine.
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Nous ne connaissons même pas la profondeur de ses véritables études théologiques, même si diverses études ont tenté de lui attribuer l’influence de divers auteurs.
Pape François, cinq paradoxes de son pontificat
Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-five-paradoxes-of-his-pontificate
Paradoxal et incomplet. Le pontificat du pape François peut se résumer en ces deux mots. Le temps viendra pour toutes les excellentes analyses aptes à nous aider à clarifier si la révolution du pape François a donné une direction à l’Église, ou si elle n’a été qu’une tempête de douze ans dans une tasse de thé. Bref, de déterminer si la mentalité a changé avec le pape François, ou si le pape a été le seul révolutionnaire ; si les gens ont profité des changements qu’il a apportés, ou s’ils ont simplement attendu que tout passe autour de lui.
Le pontificat du pape François était-il un pontificat pour le peuple?
C’était plutôt un pontificat pour le pueblo, une catégorie quasi mystique typique du populisme latino-américain.
Lorsque le pape François est apparu pour la première fois depuis la loggia il y a douze ans, il portait le blanc papal. Seulement, il est apparu sans la mozzetta rouge et il a parlé la langue du peuple avec un simple « Buonasera ». Il s’est même fait bénir par le peuple, l’une des nombreuses tournures sud-américaines auxquelles il nous a habitués au fil du temps.
Mais le pontificat du pape François était-il un pontificat pour le peuple?
Il a été plutôt un pontificat pour le pueblo, une catégorie quasi mystique typique du populisme latino-américain. C’est au pueblo que le pape pensait lorsqu’il s’est joint aux mouvements populaires pour réclamer des terres, des abris et du travail ; lorsqu’il a souligné la présence d’un Dieu qui accueille todos, todos, todos ; lorsqu’il s’est plaint des élites et a souligné que, de la périphérie, on pouvait mieux voir le centre.
Mais en même temps, le pape François s’est comporté comme Juan Domingo Peron qui, en enlevant sa chemise avec les descamisados, a montré qu’il était l’un d’entre eux et en même temps qu’il ne l’était pas, parce qu’il s’était « abaissé » à leur niveau.
Le pape François n’est pas allé à la périphérie. Il a créé un nouveau centre.
C’est là que réside le premier grand paradoxe. Sa lutte contre la cour papale, contre ce qu’il considérait comme l’État profond du Vatican, l’a conduit à créer un système différent, parallèle et tout aussi profond, à la différence que le système autour du pape François, libéré des règles de la formalité et de l’institutionnalité, était moins transparent que le précédent.
Le pape François a été, d’une certaine manière, victime de sa réforme et victime des hommes qu’il a choisis pour la mener à bien.
Le pape François a décidé de déplacer le centre d’influence loin de la Curie. Il l’a démontré en choisissant de nouveaux cardinaux (en dix consistoires, au rythme de presque un par an). Il n’a récompensé les hommes de la Curie que lorsqu’ils étaient ses hommes – à quelques exceptions près dans la première phase de son pontificat – et il a eu tendance à favoriser les sièges résidentiels secondaires, à moins qu’il n’y ait des hommes en qui il avait confiance dans les sièges importants. Il l’a démontré lorsque, après des années de discussion sur la réforme de la Curie, il a mis en œuvre tous les changements en dehors des réunions du Conseil des cardinaux qu’il avait créé pour l’aider à élaborer la réforme curiale.
À bien y réfléchir, le mot « victime » n’est probablement pas le plus approprié.
Le pape François l’a démontré avec les importants procès du Vatican : Visibles et presque humiliants dans les cas impliquant des personnes qui n’avaient plus sa confiance, comme celui sur la gestion des fonds au Vatican, qui impliquait le cardinal Becciu, ou celui impliquant le cardinal Cipriani Thorne, archevêque émérite de Lima; invisibles et pas du tout transparents dans ceux impliquant des personnes qui avaient sa confiance, ou au moins son estime – les derniers cas, les plus sensationnels, impliquaient le père Marko Rupnik et l’archevêque Zanchetta, tous deux protégés et même graciés, alors que tout démontrait le contraire.
Sous le pontificat du pape François, tout était asymétrique parce que tout était en quelque sorte décidé au pied levé. Le modèle d’une réforme en cours était le suivant: d’abord, il y avait l’ère des commissions, puis l’ère du motu proprio, et enfin l’ère des ajustements du motu proprio. Le plan était presque subversif et les moyens de le réaliser changeaient en fonction de la situation. On dit que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, et c’est vrai. Dans le cas des réformes, cependant, on constate un manque de planification à long terme ou, en tout cas, de la compétence juridique nécessaire pour créer un système qui ne s’effondre pas.
Mais s’agit-il d’une véritable révolution ?
Le second paradoxe
La réponse à cette question entraîne le deuxième grand paradoxe. Le pape François veut changer les mentalités en partant des périphéries, mais ce faisant, il ne crée pas seulement un nouveau centre. Au contraire, il adopte le point de vue des élites qu’il combat. Il pénètre la pensée occidentale par les thèmes les plus courants, comme la question écologique, la traite des êtres humains du côté séculier, la question des divorcés-remariés, le rôle des femmes, l’acceptation des homosexuels du côté doctrinal.
Tous ces thèmes proviennent du Premier Monde. Le Tiers Monde – comme nous l’appelions – désire vivre la foi. Les populations des périphéries désirent vivre la foi. Les Européens et les Occidentaux veulent sauver la planète. Les habitants des pays en voie de développement sont préoccupés par leur survie, mais la foi chrétienne les aide à survivre.
Ce thème a explosé de façon spectaculaire lorsque le Dicastère pour la doctrine de la foi a publié la déclaration Fiducia Supplicans sur la bénédiction des couples irréguliers, presque entièrement rejetée par les régions chrétiennes auxquelles le pape semble s’adresser le plus souvent.
Le troisième paradoxe
Dans ces situations, le troisième paradoxe du pontificat apparaît : rendre universels les thèmes de l’Église (très) particulière d’Amérique latine.
Fiducia Supplicans a été publié alors que le cardinal Victor Manuel Fernandez, le ghost-writer du pape, arrivait à la tête du Dicastère pour la Doctrine de la Foi. Le pape a attendu neuf ans pour appeler Fernandez à Rome, mais depuis sa nomination, il a défini un changement de narratif.
Le désir de changer le récit était déjà évident dans la lettre inhabituelle que le pape François a envoyée à Fernandez lorsqu’il l’a nommé préfet de l’ancien Saint Office. Dans cette lettre, le pape a même fait référence à de mauvaises pratiques du passé. Il s’agit d’une déformation de l’histoire et d’une salissure d’une institution qui a connu les limites de la nature humaine, mais qui a aussi porté en elle la grandeur de la foi.
Fernandez a mis en évidence des thèmes typiquement latino-américains, avec la publication continue de documents, de responsa ad dubium qui restaient auparavant confinés à la relation entre le Dicastère et l’évêque local. On y parle même des fidèles qui ne s’approchent pas de la communion parce qu’ils ont honte de la manière dont ils sont jugés par les pasteurs – un thème qui se transformera ensuite en demande de pardon pour la « doctrine utilisée comme une pierre » au début du dernier Synode des évêques.
Ainsi, le pape François, qui souhaitait une « vision plus claire du centre » depuis les périphéries, a fini par porter tout le poids de son héritage et de sa déception dans la phase finale de son pontificat. La décision finale de dissoudre Sodalitium Christiane Vitae, une société laïque dont le fondateur s’est rendu coupable d’abus, en est un exemple. Cette décision est en dehors de la tradition de l’Église, qui cherche toujours à récupérer le bien des entités de la foi. Elle s’inscrit cependant dans le renversement de la « guerre » vécue en Amérique latine après le Concile Vatican II.
Le quatrième paradoxe réside précisément dans le style de gouvernement.
C’est un pape qui veut marcher comme un « évêque avec le peuple », mais en fin de compte, il prend seul toutes les décisions. Durant le pontificat du pape François, cinq synodes ont été célébrés (le dernier divisé en trois parties), et l’Église a été placée dans un état de synode permanent.
Mais au final, cette synodalité est plus montrée que pratiquée. Le Pape a bien accueilli le document final du Synode, approuvant sa publication comme s’il s’agissait d’un document magistériel.
Au cours de ces douze années, cependant, le pape François n’a pas pris une seule décision d’une manière identifiable comme synodale. Il a longuement parlé du Synode, mais il a donné très peu au Synode, au contraire. Lors du dernier Synode, le pape François a nommé dix groupes d’étude qui continuent à se réunir sur les questions les plus controversées. Il a retiré ces dernières au Synode.
Le cinquième paradoxe concerne la transparence.
Jamais un pape n’a autant parlé de lui-même, y compris dans quatre livres autobiographiques au cours des deux dernières années et dans des dizaines d’interviews, données avec une générosité toujours plus extraordinaire et toujours en regardant en dehors du bercail catholique. Et pourtant, nous ne savons rien ou presque de ce pape. Nous ne voyons pas la période du « désert », lorsque les Jésuites l’ont envoyé à Cordoue et l’ont isolé. Nous ne savons pas en profondeur comment il s’est comporté pendant la dictature argentine. Nous ne connaissons même pas la profondeur de ses véritables études théologiques, même si diverses études ont tenté de lui attribuer l’influence de divers auteurs.
Enfin, il y a le grand paradoxe du pontificat lui-même : Il a été à la fois aimé et détesté.
Il a d’abord été apprécié, y compris dans ses efforts diplomatiques couronnés de succès. Mais il a été détesté à la fin, et la raison en est peut-être que le bien du début était encore un résidu du travail accompli dans le passé, tandis que la dernière partie était entièrement attribuable aux hommes de François. Un pontificat populaire au début, quand les coups de génie communicatifs du pape laissaient des accroches destinées à l’histoire. Un pontificat en sourdine et presque invisible à la fin, quand le pape François a continué à répéter les mêmes concepts sans éclairs de nouveauté.
Quel est donc l’héritage du pape François ?
Au niveau gouvernemental, l ‘institution et la confiance en elle doivent être reconstruites. Au niveau doctrinal, les incertitudes théologiques doivent être surmontées et certains aspects doivent être clarifiés.
Mais il y a aussi la partie belle, celle des grands gestes, du pape François qui s’agenouille dramatiquement pour écouter la confession, ou du pape qui se consacre sans cesse aux foules.
Il s’agit d’un héritage complexe et, en fin de compte, inachevé.
Pourquoi inachevé ? Parce que la dernière grande révolution du pape François a été de nommer une femme, Sœur Raffaella Petrini, à la tête du gouvernorat. Mais le mandat de Sœur Petrini ne fait que commencer, et un prochain pape pourrait prendre une décision différente – à la mort du pape, tous les postes de la Curie deviennent caducs.
La dernière grande décision a été de dissoudre le Sodalitium Christianae Vitae, cette dissolution vient d’être « lancée » auprès de la congrégation, et un Pape ultérieur pourrait décider de ne pas la poursuivre.
Le Dicastère pour la doctrine de la foi travaillait sur des documents traitant de l’esclavage, de la monogamie et des questions mariologiques. Si ces documents sont un jour publiés, ce sera probablement d’une manière très différente de celle que les hommes du pape François avaient commencé à leur donner.
Tout est désormais entre les mains du successeur, mais la transition sera plus complexe que jamais.
Mots Clés : Mort de François