Voici un texte qui a été publié sur le site américain Crisis, avant le début du conclave mais qui peut éclairer l’avenir.
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Aucun fidèle n’est tenu d’obéir aveuglément au pape: un tel comportement, aussi appelé sacrificium intellectus – qui implique non seulement de renoncer à sa volonté propre, mais de remettre à son supérieur toute sa faculté de volonté et de jugement – est une perversion du devoir d’obéissance et une mauvaise compréhension du ministère papal.
Ce sentiment était pourtant largement répandu chez les fidèles de François.
(…) un [bon] pape devra mieux comprendre les limites de sa fonction et qu’il ne peut raisonnablement attendre une obéissance aveugle à des commandements qui contreviennent à la nature même de son autorité.
La papauté et le » sacrifice de l’intellect »
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Récemment, le cardinal Gerhard Müller a fait plusieurs déclarations au cours d’une interview au journal londonien The Times, qui ont attiré mon attention. Elles reflètent des sentiments qu’il a déjà exprimés, mais qui m’ont particulièrement frappé à l’approche du conclave pour l’élection d’un nouveau pape. Il a affirmé:
« Aucun catholique n’est obligé d’obéir à une doctrine erronée… Le catholicisme ne consiste pas à obéir aveuglément au pape sans respecter les Saintes Écritures, la tradition et la doctrine de l’Église ».
Je mentionne ces déclarations parce que je les trouve si douloureusement évidentes qu’il m’est difficile de concevoir comment quelqu’un pourrait être en désaccord.
Mais dans la pratique, beaucoup le sont.
Lors de l’annonce de la mort du pape François, j’ai publié sur ma page Facebook un message rappelant que l’Esprit Saint ne choisit pas directement les papes lors d’un conclave, citant Joseph Ratzinger. Je suis conscient que, d’une certaine manière, tout se passe sous la direction de l’Esprit Saint et que, dans une certaine mesure, il guide les cardinaux dans leur choix.
Mais ce n’est pas ce que les catholiques dévots et respectueux veulent dire lorsqu’ils disent des choses comme « nous devons prier pour que l’Esprit Saint choisisse un pape saint au cours du conclave ». Ce qu’ils veulent dire, c’est que l’Esprit Saint dit aux cardinaux quelle personne élire comme pape. Cela implique que chaque pape doit nécessairement être un pape saint, puisque l’Esprit Saint ne peut pas se tromper.
C’est précisément ce genre d’idée que j’ai voulu démystifier, et les réactions à mon post ont été majoritairement positives. Cependant, certaines personnes ont laissé des commentaires affirmant que Joseph Ratzinger avait changé d’avis à ce sujet lorsqu’il est devenu pape, ou insinuant que je remettais en question l’Esprit Saint en suggérant de telles choses. J’aimerais pouvoir dire que je me suis habitué à ce genre d’intervention de la part de personnes, dont certaines que je connais et auxquelles je suis attaché, mais ce ne serait pas vrai. Je dois admettre qu’elles me laissent tout simplement sans voix, tout comme pratiquement toutes les défenses de la figure de Jorge Bergoglio que j’ai rencontrées me laissent sans voix.
C’est particulièrement vrai pour les aventures doctrinales de François.
Lorsque je fais parfois remarquer que les papes peuvent commettre des erreurs, ce genre de personnes est d’accord ; mais ensuite, lorsque je souligne tel ou tel défaut chez François, elles nient que cela se soit jamais produit.
Amoris Laetitia ? Il s’agissait d’un document « nuancé » qui n’autorise pas les personnes ayant des relations adultères à recevoir la communion. C’est une interprétation erronée.
La déclaration d’Abou Dhabi ? Le pape n’a pas voulu suggérer que Dieu voulait directement toutes les religions, mais seulement qu’il les autorisait. Suggérer le contraire relève de la mauvaise foi de votre part.
Fiducia Supplicans ? Elle dit simplement que l’Église peut bénir des individus, pas des couples. Pourquoi détestez-vous le pape et/ou les homosexuels ?
Quel que soit le sujet, il y a toujours une excuse qui excuse le pape, et si vous vous y opposez, c’est que c’est vous le problème. Aucun fait ou comportement n’y change quoi que ce soit.
Les choses sont encore pires lorsqu’il s’agit du pape François en tant que personne. Lorsque je suis entré dans l’Église, j’ai lu et on m’a dit que le pape est infaillible mais pas parfait. Les papes peuvent pécher et pèchent souvent. Encore une fois, vous pouvez obtenir l’approbation de certains de ses défenseurs, mais dès que vous entrez dans les détails de son pontificat, le refus d’accepter l’idée que François ait commis même le plus véniel des péchés se met en place. C’est comme si ces défenseurs avaient un syllogisme imprimé dans leur cerveau, qu’ils ne peuvent pas éteindre :
« l’Esprit Saint choisit le pape ; le pape ne peut pas commettre de péchés graves parce que le Saint-Esprit l’a choisi ; si le pape semble faire quelque chose de mal, il doit s’agir d’une erreur, d’une déformation médiatique ou d’un mensonge malveillant ».
Je suis tout simplement abasourdi chaque fois que je vois, même dans des périodiques catholiques « conservateurs », des articles avec des titres comme « Les conseils paternels du pape François sur les péchés véniels » ou « Le pape François sur la façon dont les commérages peuvent vous nuire ».
Quand je pense à tous les prédateurs sexuels que le pape François a encouragés et protégés (la liste est longue), je ne peux pas comprendre comment quelqu’un pourrait se tourner vers Jorge Bergoglio pour obtenir des conseils moraux de quelque nature que ce soit.
- Lorsqu’un tribunal argentin a condamné l’évêque Gustavo Zanchetta pour avoir abusé de ses séminaristes, le pape François l’a fait venir à Rome pour l’empêcher d’aller en prison.
- Le pape François a réintégré Mauro Inzoli dans l’état sacerdotal après que Benoît XVI l’eut laïcisé ; il ne l’a retiré de cet état qu’après qu’un tribunal italien l’eut reconnu coupable d’attouchements sur des enfants.
- Les accusations contre Marko Rupnik, dont l’excommunication a été levée par François, sont trop dégoûtantes pour être rapportées.
Mais c’est une mauvaise compréhension du ministère papal.
Critiquer le Saint-Père pour avoir défendu la foi de l’Église (en particulier d’une manière agressive et peu charitable) est évidemment une erreur ; mais critiquer (respectueusement, bien sûr) un pape pour ne pas avoir défendu la foi, en particulier sur des questions où l’enseignement de l’Église est ancien et clair comme de l’eau de roche – le péché des actes homosexuels, l’indissolubilité du mariage – est un devoir regrettable, mais nécessaire. Cela ne signifie pas que toute personne disposant d’un ordinateur devrait commencer à écrire sans fin sur les hérésies. Ce devoir incombe principalement aux évêques, mais rien n’empêche un laïc de signaler les manquements d’un pape s’ils deviennent si évidents qu’on ne peut raisonnablement les nier.
Exiger une obéissance totale à des déclarations papales, ou à des documents, qui sont contraires à l’enseignement constant de l’Église revient à exiger que l’on abandonne complètement sa raison. Cela revient à exiger ce que certains appellent le sacrificium intellectus, le « sacrifice de l’intellect », qui ne signifie pas simplement renoncer à sa volonté ou à une opinion particulière, mais remettre à son supérieur toute sa faculté de volonté et de jugement.
Cette idée trouve son origine chez saint Ignace de Loyola. Son écrit dans une lettre aux Jésuites du Portugal est célèbre, dans laquelle il déclare qu’il faut croire que « ce que le supérieur impose est le commandement de Dieu notre Seigneur et sa sainte volonté », pratiquement comme s’il était Dieu lui-même.
Dans les situations d’urgence, des mesures extrêmes peuvent être justifiées. Mais dans la vie quotidienne, une telle obéissance ne peut être qu’une invitation à l’abus et à la corruption de son véritable objectif : nous conduire à la vérité.
On aurait pu penser que la crise des abus sexuels aurait permis aux gens de s’en rendre compte. Mais apparemment, ils ne peuvent pas le comprendre.
Tout cela pour dire que le cardinal Müller a raison. Pastor Aeternus, la Constitution du Concile Vatican I qui définit l’autorité papale (y compris l’infaillibilité), proclame que l’autorité du pape doit être crue par tous les fidèles « secundum antiquam atque constantem universalis Ecclesiae fidem », conformément à la foi ancienne et immuable de l’Église tout entière.
L’autorité du pape fait partie de la Tradition de l’Église (à bien des égards extraordinaire et glorieuse), mais seulement une partie. Son enseignement doit être conforme à la Tradition, puisqu’elle est la source d’où découle son autorité.
Un bon pape est nécessaire pour nettoyer le gâchis dans lequel se trouve actuellement l’Église de Rome. Mais au-delà, un tel pape devra mieux comprendre les limites de sa fonction et qu’il ne peut raisonnablement attendre une obéissance aveugle à des commandements qui contreviennent à la nature même de son autorité.
Darrick Taylor