Encore un signe, diront certains, sceptiques. Un signe de plus diront pareillement d’autres, pleins d’espoir.
En tout cas, si l’abandon d’une pratique, qui a connu un très grand succès médiatique sous le pape argentin envoie bien un message, c’est un message positif, celui de nous inviter à « redécouvrir le mystère, le silence, la vénération – des dimensions qui gardent le sacré et protègent la rencontre avec Dieu du risque de banalisation ».

Joseph Ratzinger lui-même, dans l’Introduction au christianisme, a mis en garde contre la tentation de réduire le sacré à la portée du profane. « Là où Dieu devient trop accessible, il cesse d’être Dieu », écrivait-il avec sa profondeur habituelle.

Silere non possum

Contre le culte de l’image : le geste silencieux et courtois de Léon XIV

silerenonpossum.com

En ces premiers jours intenses du pontificat de Léon XIV, un geste simple mais éloquent a suscité l’attention du clergé et des fidèles : Le nouveau pape a décliné, avec la politesse et la délicatesse qu’on lui connaît, une demande de prendre des selfies. Cela s’est produit avec des journalistes, mais aussi avec des représentants des Églises orientales, et à une époque où tout semble se réduire à l’image, à l’immédiateté et à la visibilité, ce refus sonne comme une puissante invitation à la réflexion. À certaines occasions, le pontife a simplement fait remarquer que les caméras déjà présentes suffisaient amplement ; à d’autres, il a préféré qu’une tierce personne prenne la photo, évitant ainsi la dynamique du selfie.

Il ne s’agit pas du selfie lui-même, mais d’une invitation à réaffirmer le sens du sacré. Le pape, dans la tradition catholique, n’est pas un simple personnage public. Il est le Vicaire du Christ sur terre, comme l’enseigne le Concile Vatican I (1870) qui, dans le Pastor Aeternus, affirme l’autorité spirituelle unique du pape en tant que successeur de saint Pierre. Il ne se représente pas lui-même, mais une réalité transcendante et divine.

Au cours des dernières décennies, une désacralisation progressive de la papauté a souvent été dénoncée. Le geste, en soi extraordinaire, de la démission de Benoît XVI avait déjà marqué un changement de paradigme, ouvrant la voie à une vision plus fonctionnelle et moins sacrée du ministère pétrinien [c’est du moins ainsi que son geste a été interprété, ndt].

Mais c’est surtout le pontificat de François qui a marqué un changement radical : la papauté s’est transformée en une sorte de bien d’exportation, y compris du point de vue de l’image publique. On pense, par exemple, aux profits générés par le Dicastère pour la communication ou à la prolifération de personnages ambigus – véritables entrepreneurs de la foi – qui déambulaient autour de la Casa Santa Marta en promettant des apparitions papales [à la télévision – cf. Fabio Fazio], des vidéos, des messages « à partager », jusqu’à atteindre la scène du Sanremo.

Ces dernières années, l’image du pontife a été progressivement assimilée à celle d’une figure médiatique : souriant dans les talk-shows, disponible pour toutes les photos, protagoniste involontaire de mèmes et de contenus viraux. Les situations embarrassantes n’ont pas manqué : le pape a été filmé avec sa soutane tachée, les cheveux en bataille ou dans des poses de souffrance évidente, souvent totalement inappropriées.

Une autre pratique que le Pape n’apprécie pas est celle qui a été inaugurée par Stanisław Jan Dziwisz, c’est-à-dire l’ « échange du zucchetto« . Plus d’une fois, il a déjà expliqué qu’il préférait ne pas le faire, tout au plus il bénit ceux qui lui sont présentés. Il y a derrière ce geste un concept qui est effectivement inquiétant (..)

Le risque de cette dérive ? C’est celui de diluer l’autorité spirituelle dans une sorte d’exposition permanente, où la familiarité se confond avec la banalisation et où le charisme s’aplatit dans la logique du spectacle.

Joseph Ratzinger lui-même, plus tard Benoît XVI, dans l’Introduction au christianisme, a mis en garde contre la tentation de réduire le sacré à la portée du profane. « Là où Dieu devient trop accessible, il cesse d’être Dieu », écrivait-il avec sa profondeur habituelle.

C’est à cette lumière que l’on peut comprendre le sens du choix, aussi simple qu’éloquent, fait par le Pape Léon XIV de ne pas se livrer aux selfies : un geste prophétique, qui s’inscrit dans la continuité de ces paroles et de ces signes qui, dès les premiers jours de son pontificat, nous font respirer un air nouveau. C’est une invitation à redécouvrir le mystère, le silence, la vénération – des dimensions qui gardent le sacré et protègent la rencontre avec Dieu du risque de banalisation.

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