Le Wanderer argentin « prête » pour une fois son espace à un éminent écrivain catholique, essayiste et compositeur de musique américain Peter Kwasniewski, déjà rencontré dans ces pages pour ses contributions au blog « traditionaliste » One Peter Five (si ma mémoire est bonne).
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En ce qui me concerne (si tant est que cela intéresse quelqu’un!) si Léon XIV ne pourra jamais dans mon coeur, « lutter » avec Benoît XVI, je ne cache pas la sympathie que Léon XIV m’inspire: en pariant sur l’avenir, on prend forcément des risques, j’espère ne pas me tromper. Et convaincre les hésitants (ou plutôt, j’espère que Peter K les convaincra), et même les récalcitrants.
Une réflexion pour les traditionalistes récalcitrants

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L’illustration d’époque, très belle, choisie par le Wanderer, a certainement sa place, et une signification dans l’esprit de l’auteur
Je vois beaucoup de panique et de pessimisme chez les traditionalistes à propos de Léon XIV, à cause de sa continuité de pensée avec François.
Je pense que cette réaction est une erreur, pour quelques raisons simples.
1) Il n’a jamais été vraiment probable que nous ayons un pape qui ne soit pas, à beaucoup d’égards, dans la continuité de François et de la mentalité du Concile Vatican II.
Oui, nous avons peut-être rêvé de Sarah, Erdö ou Pizzaballa, mais soyons réalistes, les progressistes sont depuis longtemps majoritaires ; et même un conservateur aurait au moins rendu un hommage verbal à son prédécesseur et au dernier Concile.
2) Il était également peu probable que nous échappions à l’arrivée d’un Pape issu du baby-boom.
Cependant, il y a une grande différence entre une personne née en 1936 et une personne née en 1955. Bergoglio a atteint sa majorité au milieu de l’extase délirante de Vatican II et a été marqué à jamais par cette expérience semblable à celle de Woodstock.
Prévost n’avait que 10 ans lorsque le Concile s’est achevé, et bien qu’il ait lui aussi grandi dans le désert qui a suivi, sa relation à l’événement a été très différente.
Nous pourrions l’exprimer ainsi : Bergoglio était émotionnellement co-dépendant de Vatican II, tandis que Prévost n’y est attaché que de manière conceptuelle.
C’est un pas vers l’avenir, vers le prochain Pape, qui sera moins engagé, même conceptuellement, jusqu’au jour où un Pape verra Vatican II comme un Concile parmi tant d’autres.
Oui, le processus est très lent, mais c’est ainsi que fonctionnent les générations humaines ; nous devons nous rappeler que les résultats instantanés sont donnés par les ordinateurs, pas par l’histoire.
3) Une différence de personnalité et de style de gouvernement peut avoir un impact énorme. De nombreux indices montrent que Prévost est une personnalité très différente de Bergoglio, dans tous les sens positifs du terme, et qu’il ne veut pas parcourir le monde en se faisant des ennemis et en réprimandant les gens.
Si seulement nous pouvions obtenir un peu d’oxygène pendant quelques années, ce serait déjà une victoire à ce stade.
En outre, il ne fait aucun doute que l’une des raisons pour lesquelles un Américain a été choisi était de nettoyer le gâchis financier du Vatican : « Un Américain peut certainement lever des fonds et résoudre des problèmes! »
Mais pour bien faire, il doit cesser de faire la guerre aux conservateurs, et aux traditionalistes, qui ont un certain poids dans la perception du public et influencent donc le flux des dons. Un homme qui tente de réparer une institution brisée a plus de chances d’être discret et d’amener différentes voix à la table.
4) Nous devons à tout homme dans une position de haute dignité de prier pour lui, de lui donner la possibilité d’exercer sa fonction, de lui permettre de se tromper (comme tout être humain) et de s’abstenir de toute condamnation prématurée. Ce n’est pas une question de naïveté ou un vœux pieux, c’est une question de justice et de charité, de ce que nous devons à nos pères à tous les niveaux : dans la famille, dans la paroisse, dans le diocèse et dans l’Église universelle.
Ne vous méprenez pas : je ne dis pas qu’il ne faut pas dénoncer le mal quand c’est nécessaire. Mais devons-nous le faire sans cesse, tout le temps ? Ne pourrions-nous pas faire preuve d’un peu de retenue? Et même envisager… d’ignorer le pape pendant de longues périodes, sous peine de tomber dans une forme subtile de papolâtrie qui fait de lui le tout et le rien du catholicisme ?
Certains, sans doute, en lisant cela, seront tentés de dire :
Ah ah ! Alors pourquoi n’avez-vous pas suivi votre propre conseil avec François – vous étiez toujours en train de le critiquer !
En fait, pendant les premières années, j’ai fait de mon mieux pour ne pas le critiquer, et j’ai même souligné les choses bonnes et orthodoxes qu’il a dites et faites. Ce n’est que lorsque les erreurs et les maux ont commencé à crier au ciel pour obtenir justice que j’ai été contraint de parler ; il était temps de confronter et de dénoncer.
Avec Léon XIV, nous sommes loin du compte : pourquoi ne pas commencer par la bienveillance et la générosité, plutôt que par l’antagonisme ?
Enfin, un rappel à tous :
Ne pas prier pour quelqu’un parce qu’il est considéré comme désespéré est une forme de péché de désespoir.
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La prière est réelle, et la grâce qu’elle demande est réelle : un mauvais pape peut devenir encore pire si nous cessons de prier pour lui, et un bon pape peut devenir meilleur grâce à nos prières. Je ne cesserai donc de demander au Seigneur de répandre sa grâce sur cet homme qui porte le poids du monde sur ses épaules.