C’est le cri d’alarme que lance, en substance, l’un des rédacteurs du blog Silere non possum – critique sans concession du pontificat de François, rappelons-le -, qui s’en prend apparemment à un lobby très actif derrière les murailles du Vatican, celui de la communication.
L’auteur de l’article compare le nouveau pape à Paul VI (qui lui donne son titre), une figure aujourd’hui très controversée dans certains milieux: mais il n’est pas nécessaire de remonter au dernier pape italien ayant effectivement régné pour trouver un autre exemple, peut-être encore plus criant, d’un martyr de la foi qui a été abandonné par les fidèles: il s’agit de Benoît XVI, évidemment, que l’article cite à juste titre.
Je renvoie mes lecteurs à une traduction que j’avais faite en 2013 d’une homélie « inédite » du jeune cardinal Ratzinger, le 10 août 1978, lors de la messe que l’archevêque de Munich d’alors avait célébrée en mémoire du pape tout juste disparu (voir extraits en annexe)
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Léon, comme Montini: la solitude des prophètes
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Silere non possum
Dimanche18 mai 2025 (jour de la messe d’inauguration)

Ce matin, dans la lumière claire d’une place Saint-Pierre qui semblait respirer avec le cœur de toute l’Église, Léon XIV a commencé son ministère pétrinien. Les gestes qui ont caractérisé cette liturgie ont ému le Pape et tous les catholiques du monde.
Une homélie simple, dense et évangélique a accompagné la liturgie solennelle. Le nouveau pontife a souhaité commencer en citant les premières lignes des Confessions de saint Augustin :
« Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur n’a pas de repos tant qu’il ne repose pas en toi ».
Une citation que nous avons publiée sur nos réseaux sociaux dès que le proto-diacre a prononcé le nom du nouvel élu. Un choix comme une clé pour comprendre la tâche du successeur de Pierre : rassembler les dispersés, garder le troupeau, le guider vers Dieu. C’est un mandat spirituel. Et il l’a dit avec des mots d’une humilité limpide :
« J’ai été choisi sans aucun mérite et, avec crainte et tremblement, je viens à vous comme un frère qui veut être le serviteur de votre foi et de votre joie ».
Depuis son élection, Léon XIV a rappelé à beaucoup la figure de saint Paul VI. Non seulement pour la ressemblance des formes extérieures, mais pour cet ensemble de gestes mesurés, de regards profonds, de modestie et de délicatesse qui transmettent la même intensité spirituelle que Giovanni Battista Montini. En Léon XIV, on retrouve également la bonté et la réserve qui caractérisent Benoît XVI : deux papes marqués par la même vocation au martyre pour la Vérité.
C’est précisément pour cette raison qu’une grave préoccupation se fait jour : que Léon XIV soit laissé seul, comme Paul VI a été laissé seul, comme Benoît XVI a été laissé seul. C’est une leçon de l’histoire que nous ne devons pas ignorer et que nous avons déjà analysée, en ce qui concerne les actions de ceux qui devraient travailler pour le Pape.
La solitude de Paul VI
Le pape Montini a été élu en 1963, en plein concile œcuménique Vatican II, et il en est devenu le timonier. Il fut l’homme du dialogue, de la médiation, de la souffrance pour l’unité. Et pour cela, il fut attaqué de toutes parts.
D’un côté, il fut combattu par les traditionalistes qui l’accusèrent d’avoir succombé à la modernité, d’avoir « bradé » la liturgie avec la réforme du Missel (1969), et d’avoir relâché la rigueur doctrinale. L’image stéréotypée d’un Montini trop faible, incertain, succombant à la théologie progressiste a longtemps circulé dans les milieux conservateurs. Le célèbre geste de déposer la tiare (1964), lu comme un acte d’humilité évangélique, fut pour certains un geste scandaleux, presque un abandon symbolique de la royauté pétrinienne
De l’autre côté, les modernistes l’attaquèrent avec la même intensité mais dans des directions opposées : ils l’accusèrent d’immobilisme, de ne pas avoir répondu aux attentes révolutionnaires du Concile, et surtout d’avoir trahi les ouvertures du Concile avec l’encyclique Humanae Vitae (1968), qui réaffirmait la condamnation de la contraception artificielle.
Cette décision a provoqué un schisme silencieux, avec la prise de distance d’épiscopats et de théologiens entiers, et une vague de désobéissance ecclésiale qui l’a touché de plein fouet.
Ce climat, exacerbé par les années et par les décisions polarisantes adoptées aussi ces derniers temps, est celui dont hérite aujourd’hui Léon XIV, qui a immédiatement répondu à l’invitation pressante des congrégations générales :
« Voici, frères et sœurs, ce que je voudrais faire de notre premier grand désir : une Église unie, signe d’unité et de communion, qui devienne le levain d’un monde réconcilié ».
Au milieu de ces deux polarités, Paul VI est resté seul. Et cette solitude, spirituelle et institutionnelle, transparaît clairement dans son visage creusé, dans ses derniers discours, dans son testament humain et spirituel. Sa phrase « par quelque fissure, la fumée de Satan semble avoir pénétré dans le temple de Dieu » est restée célèbre.
Ce n’était pas de la rhétorique : c’était un cri de douleur.
Une leçon pour aujourd’hui
En regardant Léon XIV, on prie spontanément pour que cette solitude du pasteur ne l’affecte pas lui aussi. Son style doux et sobre, son attention à l’humanité de ceux qui se présentent devant lui, ce regard doux, son choix de ne pas crier pour s’imposer mais de rester ferme dans la vérité, pourraient être la cible de ce lobby médiatique qui a travaillé pendant des années à détruire Benoît XVI [je crois comprendre que ce lobby réside derrière les murs du Vatican – ndt].
Nous ne pouvons pas permettre que cela se reproduise. Nous ne pouvons pas laisser le Pape seul au moment où le troupeau a plus que jamais besoin d’un guide capable d’allier vérité et charité, doctrine et miséricorde, tradition et discernement.
L’élection de Léon XIV a donné un nouveau souffle à de nombreux cœurs dans l’Église : après des années de souffrance, beaucoup regardent à nouveau le Pape avec espoir. Pourtant – comme cela a déjà été souligné à plusieurs reprises dans ces pages – quiconque ose dire la vérité dans le monde obscur du para-Vatican devient immédiatement gênant. Même s’il s’agit du pape.
Il y a en effet, des personnages – introduits sous le pontificat de François, selon le schéma habituel du népotisme amoral – liés au lobby diplomatique qui a tant œuvré pour l’élection de Bergoglio, qui ont déjà entamé une lutte souterraine contre le nouveau pontife.
Il ne s’agit plus seulement de s’opposer à ceux qui, pendant des années, ont eu le courage de dénoncer les abus de pouvoir. Désormais, le seul objectif est de garder le contrôle, de rester à tout prix dans le train en marche. Et lorsqu’ils s’aperçoivent que ce pouvoir vacille, ils recourent à la boue : ils extrapolent des phrases, ils diffusent des pamphlets, ils construisent savamment des ambiguïtés pour frapper le Pape et saper son autorité [ndt: et comme par hasard, ces vilaines rumeurs se retrouvent sur le NYT puis sont reprises comme vérité révélée par les réseaux sociaux et les blogs les plus hostiles, je ne cite personne, mais c’est facilement vérifiable].
Avec Pierre, toujours
Léon XIV marche aujourd’hui dans le sillage des grands témoins de la foi du XXe siècle. Mais pour que son pontificat porte ses fruits, il a besoin d’être accueilli, accompagné, soutenu. Non pas idolâtré, ni contesté a priori. Mais suivi, comme on suit un bon pasteur. Car, comme le rappelait Paul VI en 1975, « le monde a plus besoin de témoins que de maîtres ».
Et Léon XIV, en ce début de ministère, semble bien être cela : un témoin doux, décisif, lumineux. Qui ne doit pas rester seul.
p.L.S.
Silere non possum
Annexe
Homélie du cardinal Ratzinger en la cathédrale de Munich
Messe de suffrage pour Paul VI
10 août 1978
(Ma traduction, extraits)
Paul VI a accepté son service pontifical de plus en plus comme la métamorphose de la foi dans la souffrance. Les dernières paroles du Seigneur ressuscité à Pierre, après l’avoir fait le pasteur de son troupeau, étaient: «Quand tu seras vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas» (Jean, 21, 18) .
C’était une allusion à la croix qui attendait Pierre à la fin de son voyage. C’était, en général, une référence à la nature de ce service. Paul VI s’est laissé porter de plus en plus là où, humainement, de lui-même, il ne voulait pas aller. De plus en plus, le pontificat a signifié pour lui se laisser ceindre par un autre, et être cloué sur la croix.
Nous savons qu’avant son soixante-quinzième anniversaire, et encore avant le quatre-vingtième, il a lutté intensément avec l’idée de se retirer. Et nous pouvons imaginer combien lourde devait être la pensée de ne plus pouvoir s’appartenir. Ne plus avoir un moment privé. Être enchaîné jusqu’à la fin, avec le corps qui cède, à une tâche qui exige, jour après jour, l’usage plein et vivant de toutes les forces d’un homme.
«Aucun de nous, en effet, ne vit pour lui-même, et aucun ne meurt pour lui-même, car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur»(Romains 14: 7-8).
Ces paroles de la lecture d’aujourd’hui ont littéralement marqué sa vie. Il a donné une nouvelle valeur à l’autorité en tant que service, la portant comme une souffrance. Il n’éprouvait aucun plaisir dans le pouvoir, dans la position, dans la carrière réussie; et pour cette raison, l’autorité étant une charge supportée – «Je te mènerai là où tu ne veux pas» – est devenue grande et crédible.
Le Pape Paul VI a accompli son service par foi. De cela dérivent à la fois sa fermeté et sa disponibilité au compromis. Pour les deux, il a dû accepter la critique, et même dans certains commentaires après sa mort, le mauvais goût n’était pas absent.
Mais un pape qui, aujourd’hui, ne subirait pas la critique manquerait à son devoir devant l’époque. Paul VI a résisté à la télécratie et à la démoscopie les deux pouvoirs dictatoriaux d’aujourd’hui. Il a pu le faire parce qu’il ne prenait pas comme paramètre le succès et l’approbation, mais la conscience, qui se mesure sur la vérité, sur la foi.
Et c’est pourquoi dans de nombreuses occasions, il a cherché le compromis: la foi laisse beaucoup d’ouverture, elle offre un large spectre de décisions, elle impose comme paramètre l’amour qui se sent obligé envers le tout, et impose donc beaucoup de respect. C’est pourquoi il a pu être inflexible et décidé quand l’enjeu était la tradition essentielle de l’Eglise. En lui, cette dureté ne dérivait pas de l’insensibilité de celui dont le chemin est dicté par le plaisir de pouvoir et le mépris des gens, mais de la profondeur de la foi, qui l’a rendu capable de supporter les oppositions.
Le Pape Paul VI était, au fond, un Pape spirituel, un homme de foi. Un journal l’a décrit, non sans raison, comme un diplomate qui a laissé la diplomatie derrière lui. Au cours de sa carrière curiale, il avait appris à maîtriser en virtuose les outils de la diplomatie. Mais ceux-ci sont passés de plus en plus au second plan, dans la métamorphose de la foi à laquelle il s’est soumis.
Au fond de lui, il a de plus en plus trouvé son chemin simplement dans l’appel de la foi, dans la prière, dans la rencontre avec Jésus-Christ. Ce faisant, il est devenu de plus en plus un homme de bonté profonde, pure et mature. Ceux qui ont l’ont rencontré ces dernières années ont pu expérimenter directement l’extraordinaire métamorphose de la foi, sa force transfigurante.
On pouvait voir combien l’homme qui, par sa nature, était un intellectuel, se livrait jour après jour au Christ, comme il se laissait changer, transformer, purifier par lui, et comment cela le rendait de plus en plus libre, de plus en plus profond, de plus en plus bon, perspicace et simple.