Leonardo Lugaresi, explorant minutieusement les premiers gestes, mais aussi et surtout les premiers discours du nouveau pape réfute les catégories continuité/rupture et répond aux critiques des deux bords, en particulier de ceux qui s’inquiètent de le voir se référer constamment à François et même à ses déclarations les plus scabreuses (au premier rang celle d’Abou Dhabi).
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A la fracture espérée par certains, il semble que le Pape, restituant au mot « tradition » son sens chrétien, inspiré par les Pères de l’Eglise, de processus vivant et non de simple héritage du passé (de sorte que, selon l’auteur, Vatican II et même le pontificat bergoglien appartiennent à la tradition de l’Eglise au même titre que la messe en latin), veuille substituer la pratique du « bon usage »: recueillir ce qu’il y a de bon dans chaque personne, dans chaque discours, dans chaque évènement, et filtrer ce qui est mauvais. En d’autres termes, suivre l’injonction de saint Paul examinez toutes choses; retenez ce qui est bon; abstenez-vous de toute espèce de mal (1 Th 5,21)
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C’est à ce prix, qu’il ramènera, dans la limite du possible, la paix dans l’Eglise.

Aujourd’hui, il serait erroné de prétendre qu’il revient au pape de mener à bien une sorte de « contre-réforme ».

Si je peux me risquer à une prédiction, je pense que cela n’arrivera pas de toute façon.

Au contraire, je pense que nous pouvons attendre de Léon XIV non pas tant des corrections explicites ou des rétractations formelles de certains aspects ambigus, confus et, dans certains cas, problématiques du pontificat précédent, qu’un « bon usage » de ces aspects qui les « remettra à leur place ».

Tradition et « bon usage ».

Note sur le style du pape Léon XIV.

Leonardo Lugaresi

Dans les analyses que de nombreux observateurs font des premiers pas du pontificat de Léon XIV, il me semble que jusqu’à présent prévaut l’usage de la catégorie de continuité/discontinuité, appliquée à la comparaison avec le pontificat précédent.

Si l’on peut employer une métaphore ludique, je dirais que, du point de vue des supporters des deux bords, les premiers pas du nouveau pape sont jugés en comparant son « style de jeu » avec celui de son prédécesseur et, par conséquent, en évaluant dans quelle mesure il se révèle “bergoglien” ou « non bergoglien », voire « anti-bergoglien ».

C’est une tendance compréhensible, à la fois parce que c’est la comparaison la plus facile et la plus immédiate – et souvent aussi la seule possible pour une culture sociale désormais complètement privée de mémoire historique et habituée au souffle court d’une actualité écrasée sur l’échelle étroite des nouvelles – et parce que la « discontinuité » a en fait été la marque distinctive, recherchée avec rigueur dès le premier instant et exhibée avec une efficacité communicative incontestable jusqu’à la fin, du pontificat de François ; ou du moins de sa représentation médiatique, qu’il a d’ailleurs lui-même voulue et promue et qui, en tout cas, est celle qui a atteint la grande majorité des personnes, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église.

Le message perçu par pratiquement tout le monde est que François a été un pape différent. Différent de tous ceux qui l’ont précédé, différent du reste de la hiérarchie catholique, différent des institutions de l’Église (y compris la papauté), et pour cette raison « extraordinairement » aimé ou détesté précisément parce qu’il était une « exception ».

Le « style » du pape Léon.

Ce critère, cependant, est à mon avis largement insuffisant pour comprendre le sens de ce qui se passe dans l’Église, et en particulier il n’aide pas à saisir un aspect du style de pensée et de gouvernement du Pape Léon XIV, qui me semble émerger clairement dans ses premiers discours; un trait qui mérite au contraire la plus grande attention pour sa valeur paradigmatique, non seulement en termes de contenu mais aussi, et je dirais surtout, en termes de méthode.

Il ne fait en effet aucun doute que, par rapport à l’exception bergoglienne, le pontificat de Léon XIV se présente clairement, au moins dans le style – et, dirais-je, moins par choix programmatique que par sa manière naturelle d’être – comme un retour à l’ordre, à la “normalité” et à la tradition catholique (si l’on entend cette expression dans son sens authentique, sur lequel nous allons revenir), mais il serait tout à fait erroné d’interpréter ce mouvement comme une réaction, c’est-à-dire comme une action de nature opposée mais égale aux nombreuses « nouveautés » du pontificat précédent, visant à rétablir la continuité en éliminant ce qui l’avait remise en cause dans un passé récent.

Ce qui frappe dans tous les premiers discours du nouveau pape, c’est l’heureux naturel avec lequel il fait continuellement appel à la tradition de l’Église à travers les grands auteurs qui en sont les témoins : dans l’homélie de la messe célébrée avec les cardinaux le lendemain de son élection, il a cité Ignace d’Antioche ; dans son discours aux journalistes le 12 mai, Augustin ; le 14 mai, dans son discours aux participants au Jubilé des Églises orientales, c’est au tour d’Éphrem le Syrien, d’Isaac de Ninive, de Siméon le Nouveau Théologien et encore de « son » Augustin, qui revient (..) [à de multiples reprises]

Des références brèves (comme le sont d’ailleurs ses discours, et c’est là aussi un trait significatif), toutes en accord avec les thèmes abordés par le pape. Ces références patristiques s’accompagnent de la référence constante au magistère des papes modernes, en particulier Léon XIII, mentionné au moins cinq ou six fois dans les premiers discours, et surtout François, qui est pour ainsi dire omniprésent : je crois que le nouveau pape n’a jamais manqué de le mentionner, chaque fois qu’il s’est exprimé.

Un pape traditionnel, pas traditionaliste.

C’est précisément sur ce dernier point que je voudrais attirer l’attention.

Dans la perspective herméneutique de la comparaison entre Léon et François mentionnée ci-dessus, on pourrait facilement l’interpréter soit comme une preuve de la « continuité » substantielle du nouveau pape avec son prédécesseur, dont il ne différerait qu’en apparence, en raison de différences de tempérament évidentes et manifestes ; soit, au contraire, comme un simple dispositif tactique et instrumental, visant à prévenir et à apaiser d’éventuelles réactions hostiles à l’égard d’une papauté qui opère discrètement une rupture substantielle (et salutaire, du point de vue de ceux qui soutiennent cette thèse) avec ce qu’il est convenu d’appeler l’« église de François ».

Je pense que ces deux approches sont erronées. Ce que le pape Léon a exprimé, dans chacun de ses actes et de ses paroles au cours de ces deux premières semaines de pontificat, n’est rien d’autre que la conception authentiquement catholique de la tradition.

En ce qui concerne la manière dont ce concept est compris, il me semble qu’il existe aujourd’hui un malentendu très répandu parmi les catholiques, qui paradoxalement unit dans une large mesure les fronts opposés des « traditionalistes » et des « progressistes » : celui de lier la tradition au passé, peu importe que ce soit avec l’intention de préserver et de reproposer ce passé, ou au contraire de le rejeter et de le dépasser définitivement.

Dans les deux cas, en effet, on s’appuie sur une idée de la tradition comme depositum, une sorte de patrimoine hérité, un entrepôt ou un coffret dans lequel se trouve tout ce que nos ancêtres ont pensé et vécu, cristallisé dans la doctrine et les coutumes. On peut l’apprécier ou la mépriser, mais elle reste de toute façon un objet, un legs qui appartient au passé et qu’il revient aux héritiers, c’est-à-dire aux sujets vivants d’aujourd’hui, de décider d’utiliser ou non et de quelle manière.

Les traditionalistes et les innovateurs, tout en se combattant, pensent de manière très similaire à ce sujet : si l’on y réfléchit bien, les uns et les autres pourraient être accusés de « passéisme » ou d’« indiétrisme » (comme le dirait le pape Bergoglio).

Si nous prenons, par exemple, le sujet délicat et douloureux du conflit sur la liturgie, nous voyons que, paradoxalement, tant les partisans du vetus ordo que les défenseurs exclusifs du novus ordo peuvent être considérés comme des traditionis custodes (pour reprendre ironiquement le titre du malheureux Motu proprio de juillet 2021) dans le sens réducteur et inadéquat dont je suis en train de parler.

  • Les premiers, en effet, refusent de reconnaître que même ce qui s’est passé après 1962 fait aussi partie de la tradition, mais ne se rendent pas compte que, ce faisant, ils la déclarent finie, c’est-à-dire morte.
  • Les seconds n’acceptent pas que même ce qu’ils appellent novus appartienne en réalité à la tradition d’une époque de l’Église qui, à certains égards, est déjà lointaine (aussi parce que, dans sa prétention à l’innovation, elle a vieilli prématurément).

Les premiers font de l’antiquariat, les seconds du modernisme ; tous deux, cependant, passent à côté de l’essentiel, qui est la vie actuelle de l’Église en tant que tradition vivante.

La « tradition vivante

La tradition, au sens authentiquement catholique du terme, n’est pas un objet, mais un processus, (…) qui renvoie à une relation de transmission, ou plutôt de donation, qui implique essentiellement des acteurs vivants (donateur et donataire) et des interactions réciproques qui dépassent le temps.

En ce sens, la tradition est toujours vivante: elle appartient au présent, et non au passé, parce qu’elle se produit maintenant; et c’est précisément parce qu’elle est vivante qu’elle a l’autorité et le pouvoir d’exiger l’obéissance dans le présent. Elle est au cœur de la foi, lui apportant un aspect essentiel sans lequel il n’y a tout simplement pas de christianisme.

La foi chrétienne, en effet, par sa nature même, est toujours et uniquement une réponse. Elle n’est jamais une « parole première » émanant d’un sujet humain, mais toujours et dans tous les cas une « parole seconde », en réponse à un appel qui n’appartient qu’à Dieu qui se révèle le premier à nous.

Telle est la foi d’Abraham, de Moïse, des prophètes et des apôtres, sur laquelle se fonde la nôtre.

Il s’ensuit qu’en ce sens, la parole de l’Église est toujours et uniquement une parole reçue, et donc intrinsèquement « traditionnelle ». Dans la mesure où elle a été reçue, cette parole doit être fidèlement conservée et transmise à d’autres, selon ce que Paul a déclaré avec limpidité dès le début de l’histoire chrétienne (alors qu’il n’y avait guère de passé derrière elle) :

« Je vous ai transmis avant tout ce que j’avais moi-même reçu » (1 Co 15, 3).

Définir la parole ecclésiale comme une parole reçue, c’est aussi affirmer que l’Église – à tous ses niveaux, y compris le pape ! – n’a aucun pouvoir sur elle : elle la sert, elle ne l’utilise pas. Elle ne peut donc pas en disposer à sa guise, par exemple pour la rendre plus adaptée à la mentalité et aux attentes de la société contemporaine, telles que nous les concevons.

Un autre aspect doit cependant être souligné pour bien saisir le caractère catholique de cette conception : la Parole de Dieu, à laquelle chacun de nous répond personnellement, ne nous parvient pas par une révélation directe et personnelle (comme dans l’illumination intérieure, sola Scriptura, de la conception protestante), mais elle nous est transmise par une chaîne « martyriale » ininterrompue de témoins faisant autorité, et elle nous parvient donc enrichie, voire « vécue », par toutes les réponses qu’elle a reçues au cours de l’histoire chrétienne.

Comme l’a magnifiquement écrit Joseph Ratzinger, évoquant le rôle des Pères dans la théologie contemporaine, « ce n’est que parce que la parole a reçu une réponse qu’elle est restée telle ». La nature de la parole est une réalité de relation […] elle cesse d’exister non seulement quand personne ne la prononce, mais aussi quand personne ne l’entend ». C’est pourquoi « nous ne pouvons pas lire et écouter la parole en dehors de la réponse qui l’a d’abord reçue et qui est devenue constitutive de sa permanence ».

C’est pourquoi l’Église ne peut en aucun cas rompre avec la tradition ou la négliger : c’est toujours « sur la base des Pères » (c’est-à-dire ici au sens large tous ceux qui nous ont précédés dans la foi et nous l’ont transmise) qu’elle lit l’Écriture et qu’elle comprend la Révélation.

La Tradition a donc une autorité à laquelle personne dans l’Église ne peut se soustraire, et surtout pas le pape. D’un point de vue catholique, la théorie, qui a circulé ces dernières années, selon laquelle il existe deux pôles distincts dans la dynamique ecclésiale, est donc aberrante :

  • D’une part le traditionnel depositum fidei, acquis, certes, comme patrimoine inaliénable de l’Église, mais en soi « mort » et nécessitant d’être activé et « réanimé » afin d’acquérir une signification pastorale et une vitalité communicative,
  • et d’autre part, un charisme pétrinien (qui serait toutefois, plus qu’institutionnel, étroitement lié à la personnalité individuelle du pape pro tempore), dont la tâche prééminente, sinon exclusive, serait de vitaliser, d’interpréter (et pourquoi pas, si nécessaire, de corriger) ce depositum, afin de tracer le chemin que l’Église doit suivre.

On risque ainsi de donner corps à une forme de « papisme non catholique » qui, partant du principe erroné que « le pape peut faire ce qu’il veut », attribue au successeur de Pierre non pas la tâche de confirmer dans l’unité de la foi ses frères, selon le mandat du Christ, mais celle de façonner une Église à son image. Hier l’« église de François », aujourd’hui celle de Léon, et ainsi de suite.

Ce n’est pas le cas : la seule Église que nous connaissons est « [l’Eglise] du Christ », et la seule qualification qui lui revient, en référence à une fonction humaine de garde et de gouvernement, est d’être « apostolique », c’est-à-dire articulée sur le fondement même de la tradition, qui doit être acceptée et comprise dans son intégralité.

De par sa nature de transmission ininterrompue de la parole divine, continuellement revécue à travers les réponses de la foi qui l’ont reçue et redonnée, la tradition ne peut être disséquée, en prenant certaines parties et en en rejetant d’autres. Cela signifie que – que les traditionalistes le veuillent ou non – le Concile Vatican II et les pontificats qui l’ont suivi, y compris celui qui s’est achevé il y a un peu plus d’un mois, en font également partie aujourd’hui. C’est pourquoi, quelles que soient les critiques formulées, il ne serait pas catholique d’invoquer une damnatio memoriae de la part du successeur.

Discernement (krisis) et « bon usage » (chrêsis) y compris de l’histoire de l’Église .

Cela signifie-t-il que tout ce qui a eu lieu au cours de l’histoire bimillénaire de l’Église, par le simple fait d’avoir été, doit être approuvé, sanctifié et chargé d’une « valeur normative » pour le présent, dans une sorte de version catholique du principe hégélien selon lequel « tout ce qui est réel est rationnel » ?

Absolument pas, bien sûr ! L’histoire de l’Eglise, qui est une réalité théandrique, est, dans sa partie humaine, pleine d’erreurs et même de méfaits, et à cet égard il faut exercer un discernement sans concession.

C’est ici qu’un autre aspect qui m’a frappé dans les premiers actes du nouveau pape prend de l’importance, à savoir la pratique du « bon usage », la chrêsis dont parlent les Pères de l’Église. (…)

La chrêsis est une attitude qui échappe à la dichotomie, aujourd’hui dominante, de l’inclusion et de l’exclusion, parce qu’elle se tient à distance de l’acceptation aveugle (qui dégénère alors en soumission) et du rejet préjudiciable (dont le sectarisme est le fils), mais elle est encline à rencontrer l’autre chaque fois que l’occasion se présente, « en triant tout et en retenant ce qui a de la valeur », selon la formule paulinienne (1 Th 5,21), c’est-à-dire en opérant une krisis, le jugement qui « fait entrer et sépare » : elle s’intéresse à tout, elle s’engage avec chacun, mais dans tout ce qu’elle rencontre, elle distingue ce qui est bon, beau et vrai de ce qui ne l’est pas. Selon quel critère ? Le seul possible pour le chrétien : celui que Paul, dans une expression frappante, appelle le noûs (c’est-à-dire la pensée, l’esprit) du Christ (cf. 1 Co 2,16).

Face à toute valeur humaine qu’il rencontre, accueille et fait sienne , le chrétien ne peut donc manquer de la critiquer et de la redéfinir à la lumière du Christ. Il ne s’agit pas d’appropriation culturelle, comme on le dirait peut-être aujourd’hui pour la stigmatiser, mais de tout ramener à sa vérité première.

Remettre les choses à leur place : c’est le « bon usage », la chrêsis dont parlent les Pères de l’Eglise, qui se résume le mieux dans la déclaration du Paul des Actes aux Athéniens : «

Ce que vous adorez sans le connaître, je vous l’annonce » (Ac 17,23).

Cette affirmation chrétienne, dans laquelle se concrétise la tâche d’être « sel de la terre et lumière du monde » assignée par le Christ aux siens, s’applique cependant non seulement au monde, mais aussi, dans un certain sens, à l’Église elle-même dans sa composante humaine. Toute chose humaine, en effet, a besoin d’être continuellement purifiée, corrigée et redressée : en un mot, restaurée dans la vérité du plan divin. C’est là que se trouve l’origine du principe ecclesia semper reformanda, et non dans un souci de mise à jour par rapport aux événements du monde.

Le pape gardien de l’unité catholique.

Dans l’histoire de l’Église catholique, il n’y a ni révolutions ni restaurations. Dans la mesure où des ruptures se produisent, si elles ne sont pas recomposées – et non pas « politiquement », par voie de compromis ou de dissimulation, mais dans la vérité de la foi – elles donnent lieu à des schismes et à des excommunications, c’est-à-dire à la résection des parties qui « font scandale » afin que le corps dans son unité organique puisse continuer à vivre uni.

La tâche de Pierre est essentiellement de préserver la vérité de la foi et l’unité du peuple de Dieu.

Un malentendu qui, ces dernières années, me semble avoir assombri la conscience ecclésiale, a été de penser au contraire qu’il appartenait au pape d’« initier les processus » d’un changement dans la manière d’être de l’Église, d’ailleurs sans que l’on sache clairement dans quelle direction aller (pensons par exemple à tous les discours confus sur la « synodalité » comme s’il s’agissait d’un nouveau caractère essentiel de l’Église).

Aujourd’hui, il serait tout aussi erroné de prétendre qu’il revient au pape de mener à bien une sorte de « contre-réforme ». Si je peux me risquer à une prédiction, je pense que cela n’arrivera pas de toute façon. Au contraire, je pense que nous pouvons attendre de Léon XIV non pas tant des corrections explicites ou des rétractations formelles de certains aspects ambigus, confus et, dans certains cas, problématiques du pontificat précédent, qu’un « bon usage » de ces aspects qui, si je puis m’exprimer ainsi, les « remettra à leur place ».

Pour ne citer qu’un exemple, certains n’ont pas apprécié que, dans son discours du 19 mai aux représentants des autres Églises et religions, le pape Léon ait cité la déclaration controversée d’Abou Dhabi. Il est vrai que ce document contient peut-être le passage le plus « problématique » du pontificat de François, car il contient une affirmation sur la volonté divine que les hommes adhèrent à des religions autres que la foi chrétienne qui est presque impossible à interpréter d’une manière compatible avec la doctrine catholique ; néanmoins, de la part de quelqu’un qui est fermement enraciné dans la certitude (scripturaire et traditionnelle !) que tous les hommes sont appelés à se convertir au Christ, parce qu’« il n’y a de salut en personne d’autre, car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné aux hommes, dans lequel il nous soit donné d’être sauvés » (Ac 4,12), on peut très bien citer un autre passage, tout à fait anodin, de ce même document, précisément dans la logique que j’ai essayé de décrire. C’est aussi de cette manière, je l’espère, que se produira une sorte de « réabsorption de l’exception bergoglienne » dans le corps vivant de la tradition.

Un facteur fondamental de sécurité, dans le nouveau pontificat, semble en tout cas déjà acquis, sur la base de l’expérience de ces premières semaines. Contrairement à son prédécesseur, Léon ne nous laissera pas craindre qu’il fera le pape « tout seul », et c’est décisif. Il l’a fait savoir dès le début lorsque, se référant à une phrase d’Ignace d’Antioche (mais faisant écho à des réflexions que Benoît XVI avait également faites à l’époque), il a défini

« un engagement inaliénable pour quiconque dans l’Église exerce un ministère d’autorité [celui de] disparaître pour que le Christ demeure, se faire petit pour qu’Il soit connu et glorifié, se dépenser sans compter pour que personne ne manque l’occasion de Le connaître et de L’aimer ».

C’est en ce sens que j’ose espérer que le style de son pontificat sera « ratzingerien » et « patristique ».

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