Dans la belle homélie prononcée à l’occasion du Jubilé des famille (cf. Léon XIV et la famille) le Pape a clairement renié l’interprétation donnée par son prédécesseur dans son exhortation apostolique Amoris Laetitia, qui parlait explicitement de la fidélité dans le mariage comme d’ « idéal objectif » vers lequel on tendait sans pouvoir forcément l’atteindre.
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Cela donne donc une idée du modus operandi de Léon XIV, brillamment résumé par Leonardo Lugaresi à travers la notion de « bon usage » ( je pense que nous pouvons attendre de Léon XIV non pas tant des corrections explicites ou des rétractations formelles de certains aspects problématiques du pontificat précédent, qu’un « bon usage » de ces aspects qui les « remettra à leur place »).

Le mariage n’est pas un idéal

Comment Léon XIV « corrige » François

Stefano Fontana
La NBQ
3 juin 2025

Dans son homélie prononcée à l’occasion du Jubilé des familles, le pape réfute les présupposés de tous les équivoques provoqués par Amoris laetitia (AL), revenant à la conception classique de la morale que Jean-Paul II avait exposée dans Veritatis splendor.

Le discours de Léon XIV aux pèlerins pour le Jubilé des familles, des grands-parents et des personnes âgées est riche en contenu et un article ne suffirait pas à les signaler. Tout en renvoyant à une lecture personnelle du texte, il peut être utile de souligner un passage, bref en nombre de mots mais dense et efficace sur le plan doctrinal, qui corrige en substance les présupposés théologiques et pastoraux d’Amoris laetitia.

Sur le plan formel, un discours ne peut pas annuler une exhortation apostolique, mais sur le plan substantiel et strictement théologique, il l’a fait, et cela donne l’espoir de quelques étapes magistérielles plus authentiques.

Voilà le bref discours:

« C’est pourquoi, le cœur plein de gratitude et d’espérance, je vous dis à vous, les époux : le mariage n’est pas un idéal, mais le canon du véritable amour entre un homme et une femme : un amour total, fidèle et fécond (cf. St. Paul VI, Lettre encyclique Humanae Vitae, 9) ».

« Le mariage n’est pas un idéal », mais quand dans Amoris laetitia on parle des situations dites « irrégulières », comme les cohabitations sans mariage ou après un divorce, elles sont considérées comme une situation d’inadéquation par rapport à la plénitude de ce que le Christ nous a proposé. Non pas comme quelque chose de contraire et d’incompatible, mais comme quelque chose d’inadéquat, à cause de la fragilité humaine ou des circonstances de la vie. Quelque chose d’inadéquat n’est pas un mal qu’il faut condamner ou éviter, mais quelque chose de positif, même de manière incomplète, qu’il faut faire grandir et améliorer. Nous sommes tous déjà sur le bon chemin, sauf que certains sont plus avancés et d’autres plus en retard.

Par exemple, au début de l’Exhortation, François dit : 

(…) je m’arrêterai sur une invitation à la miséricorde et au discernement pastoral face à des situations qui ne répondent pas pleinement à ce que le Seigneur nous propose, et enfin je tracerai de brèves lignes de spiritualité familiale (§6).

Le péché, selon Amoris laetitia n’est pas une mauvaise réponse mais une réponse qui ne correspond pas pleinement. En ce qui concerne l’épisode évangélique de la Samaritaine, le texte d’AL dit : « …et ensuite seule avec Jésus qui ne la condamne pas et l’invite à une vie plus digne » (§27) ce qui suggère que même l’adultère a déjà un certain aspect de dignité.

L’un des aspects les plus dérangeants de l’Exhortation est ce qui est exprimé au §303, selon lequel

[la conscience peut] reconnaître sincèrement et honnêtement que c’est, pour le moment, la réponse généreuse qu’on peut donner à Dieu, et découvrir avec une certaine assurance morale que cette réponse est le don de soi que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations, même si elle n’atteint pas encore pleinement l’idéal objectif

Voilà le mot « idéal », repris maintenant par Léon XIV pour être nié, un terme clé d’Amoris laetitia alors fortement combattu par la vieille garde de l’Institut Jean-Paul II. Le cardinal Caffarra avait fait remarquer, entre larmes et ironie :

L’indissolubilité, plus généralement le mariage compris de manière chrétienne, n’est pas un idéal, une sorte de but à atteindre et vers lequel il faut tendre. J’aimerais voir la réaction d’une mariée à qui son mari dirait: ‘Ecoute, la fidélité à ton égard est pour moi un idéal vers lequel j’essaie de tendre, mais que je ne possède pas encore’

Quand les situations irrégulières sont présentées comme des étapes positives vers le mariage, cela affirme qu’il est possible de vivre comme mari et femme sans l’être. Le cardinal Velasio de Paolis avait écrit lors de la douloureuse confrontation d’il y a dix ans :

Ce qui n’est pas admissible pour la loi morale et divine, c’est précisément que deux personnes qui ne sont pas des époux vivent comme tels… Ce serait la destruction totale de la relation matrimoniale et de la famille, et c’est toute la loi morale sur la sexualité qui tomberait.

Le court passage du discours de Léon XIV rétablit donc la vérité sur un point très important, sa mention entraîne la révision de toute l’Exhortation apostolique qui s’en inspirait, et il représente aussi, implicitement, une réponse concise aux fameuse Dubia des cardinaux. 

En même temps, c’est aussi un retour à Veritatis splendor de Jean Paul II. Si la morale divine ne présente qu’un « idéal » et n’est pas une « prescription », alors on ne peut pas donner de lois divines qui soient valables toujours et pour tous. Veritatis splendor, pourtant, condamne

[les positions morales qui] soutiennent qu’il n’est jamais possible de formuler une interdiction absolue de certains comportements qui seraient contraires, en toutes circonstances et dans toutes les cultures, à ces valeurs » (§ 75).

Il n’est pas possible d’évaluer certains comportements comme injustes ou mauvais et en même temps d’évaluer la volonté de la personne qui les choisit comme juste et bonne. La finalité de la volonté de la personne qui agit est certes importante, mais elle est réalisée lorsque le contenu bon de l’action humaine est réalisé.

Si le principe de la loi morale divine en tant qu’ « idéal » s’effondre et que nous revenons à  Veritatis splendor, la doctrine des actions intrinsèquement mauvaises (intrinsece mala et, au niveau politique, les principes non négociables) pourra également être ravivée et, espérons-le, nous pourrons parler à nouveau « nature » et de loi morale naturelle, des expressions dont toute trace avait été perdue.

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