Beaucoup d’observateurs pensaient que ce conclave allait durer longtemps, ou au moins plus longtemps que les précédents. Outre les fortes polarisations créés par un pontificat aussi « diviseur » que celui de François, prémisses d’âpres confrontations, ce dernier avait nommé, au fil de 12 longues années et en dix consistoires, des cardinaux venus des périphéries les plus reculées qu’il avait pris soin de ne pratiquement jamais réunir, de sorte qu’ils ne se connaissaient en général pas.
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L’élection du cardinal Prévost, un quasi-inconnu et en seulement 4 tours de scrutin a donc été une vraie surprise.
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L’une des raisons est probablement le fait nouveau qu’un invité inattendu s’est imposé sous les fresques grandioses de la Chapelle Sixtine: la pression de l’opinion publique, amplifiée par les réseaux sociaux. En réalité, les cardinaux redoutaient plus que tout qu’un conclave tirant en longueur soit un indice de division au sein de l’Eglise.
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Mais il y a aussi la facilité des déplacements dans le monde actuel, alimentant le soupçon que la décision avait déjà été prise lors des réunions de pré-conclave, et même avant, lors de rencontres informelles, ce qui impliquerait un rôle prépondérant (excessif?) des king makers.
Est-ce conforme aux règles établies par les pontifes précédents?
C’est la question que pose un prêtre canadien, le père De Souza.
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En ces premières semaines de pontificat, avec un Pape robuste et relativement jeune, le moment serait idéal pour que le nouveau Pape décide, sans précipitation ni sentiment d’urgence, d’apporter des modifications aux modalités d’élection.
Un Conclave hâtif?
Père Raymond de Souza
Selon les normes historiques, le Conclave 2025 n’a pas été exceptionnellement court. Mais il a été court. C’est la troisième fois consécutive que le Conclave se termine le premier jour complet. Faut-il s’en inquiéter ?
Personne ne sait vraiment, sauf ceux qui étaient dans la chapelle Sixtine. Ils ont juré de garder le secret. Seul le Pape Léon XIV est totalement libre de les interroger sur leur expérience, et seul le Saint-Père peut apporter les modifications nécessaires à la pratique des Conclaves futurs. Il est trop tôt pour penser au prochain Conclave, mais il serait souhaitable que Léon XIV fasse des sondages informels maintenant, pendant que les souvenirs sont encore frais, même s’il n’y a pas d’urgence à agir.
Il n’y a pas beaucoup de cardinaux qui ont une grande expérience des Conclaves. Seuls cinq ont participé à trois Conclaves (2005, 2013 et 2025), et vingt autres ont participé à deux Conclaves (2013, 2025). Ce sont eux qui pourraient comparer leurs expériences.
Le strict isolement et le secret du Conclave visent à préserver la liberté des cardinaux d’agir sans influence extérieure, à les protéger des pressions extérieures. Ils ne peuvent pas suivre ce qui se passe à l’extérieur et personne ne saura jamais comment un électeur individuel a voté. Cela permet, par exemple, au cardinal Stephen Chow de Hong Kong – s’il le souhaite – de voter pour un candidat qui défierait le parti communiste chinois. Ou de voter pour un candidat qui capitulerait. Il est libre de voter selon sa conscience.
Cependant, l’ère numérique peut créer un autre type de pression. J’ai demandé à plusieurs cardinaux après le conclave de 2013 s’il y avait une pression pour arriver à une conclusion rapide, pour produire un résultat pour un monde impatient de communication instantanée. Ils m’ont répondu que oui, qu’il y avait le sentiment qu’un Conclave « dans l’impasse » – même se prolongeant jusqu’au troisième jour – pourrait être le signe de la division et de la désunion.
Autrefois, la pression était réelle ; en effet, les souverains catholiques envoyaient un cardinal de leur territoire pour porter leur « veto » au conclave. La dernière fois que cela s’est produit, c’était en 1903, lorsque le cardinal de Cracovie a exercé le droit de veto de l’empereur Habsbourg. Saint Pie X a mis fin à cette pratique presque immédiatement.
La pression potentielle aujourd’hui ne vient pas d’un régime contre un papabile particulier. Elle ne vient pas vraiment de quelqu’un mais de tout le monde, d’un monde numérique inimaginable lorsque saint Jean Paul II a rédigé les règles actuelles du conclave en 1996. La pression pour une résolution rapide pourrait bien empiéter sur la liberté des électeurs.
Je n’ai pas fait de rapport sur ce Conclave, mais beaucoup de ceux qui l’ont fait ont écrit à l’avance que, compte tenu du grand nombre de cardinaux, dont beaucoup étaient plutôt inconnus les uns des autres, le vote pourrait prendre plus de temps. Au contraire, il semble que le résultat ait été clair avant pranzo [le repas] le premier jour complet. Il est possible qu’une nouvelle forme de pression externe soit ressentie ; pour paraphraser Jésus lors de la dernière Cène : ce qui doit être fait doit être fait rapidement.
Là encore, on ne sait pas. Il se pourrait bien que la vitesse actuelle des déplacements implique que les conclaves « commencent » en réalité beaucoup plus tôt, lors des réunions quotidiennes officielles (« congrégations générales ») et des nombreuses réunions informelles qui précèdent le conclave proprement dit. Il est plausible que ce qui était auparavant réglé lors de la première série de scrutins soit maintenant déjà fait avant que les cardinaux ne commencent à voter. Les récents conclaves de 24 heures n’ont peut-être pas été menés dans une précipitation excessive.
Cependant, l’élection du cardinal Robert Prevost, qui n’a passé que deux ans à Rome après près d’une décennie à Chiclayo, soulève la question de savoir comment un consensus aussi remarquable a pu être atteint aussi rapidement. La réponse pieuse – qui peut aussi être vraie, s’il plaît à Dieu ! – est que ce qui « paraissait bon à l’Esprit Saint et à nous » (Actes 15:28) s’est rapidement imposé.
Il est important de savoir si c’est ce qui s’est réellement passé ou si un grand nombre de cardinaux ont suivi les « faiseurs de roi » pour obtenir un résultat rapide. Cela ne peut pas et ne doit pas faire l’objet d’une enquête publique. Mais le nouveau Saint-Père peut demander, discrètement, et ensuite charger ses canonistes d’examiner si des réformes des procédures du conclave peuvent être recommandées.
La pression de l’ère numérique est réelle. Les dirigeants d’autres domaines – politique, commerce, culture – savent bien comment le besoin d’une réponse instantanée conditionne cette réponse. Les cardinaux en font l’expérience au milieu de la chaleur brûlante d’une controverse locale, avec des heures, et non des jours, pour décider comment réagir.
Il se peut que tout aille bien. Il n’est cependant pas déraisonnable de s’inquiéter de l’émergence d’une norme selon laquelle l’élection du vicaire du Christ devrait prendre moins de temps qu’une petite entreprise n’en consacre à ses réunions annuelles du conseil d’administration.
Une question liée à la manière dont le conclave mène ses travaux est de savoir qui fait partie du collège lui-même. J’ai écrit à la veille du conclave qu’il était troublant de penser que les électeurs incluaient le cardinal Timothy Radcliffe mais excluaient le patriarche Sviatoslav Shevchuk.
Le pape Léon XIV créera ses propres cardinaux en temps voulu. Son homonyme, le pape Léon XIII, a donné un signal fort en créant John Henry Newman comme cardinal lors de son premier consistoire. Ian Ker, le biographe le plus éminent de Newman aujourd’hui, suggère que Léon XIV pourrait revenir à cette histoire en déclarant Saint John Henry Newman docteur de l’Église. Bien que cela soit souhaitable, un début plus modeste serait d’inclure Shevchuk parmi ses premiers cardinaux.
Si Léon XIV souhaite maintenir la tradition de son prédécesseur de créer des cardinaux dans des lieux inhabituels, il ne peut faire mieux que l’évêque Erik Varden de Trondheim, en Norvège, qui a tiré sa devise épiscopale (Coram Fratribus Intellexi de Grégoire le Grand) de la prédication patristique, comme l’a fait Prévost-Leo (In Illo uno unum d’Augustin).
Feu le cardinal George Pell disait souvent qu’un devoir essentiel du successeur de saint Pierre était de veiller à la qualité du Collège des cardinaux, précisément parce qu’ils veillent à la succession. Le conclave 2025 a produit un résultat qui a suscité une réelle satisfaction – plus que cela, en fait – dans toute l’Église. Une période de paix et de calme est propice à l’examen des leçons que l’on peut tirer aujourd’hui du collège des cardinaux et de la manière dont il mène son travail le plus important.