Premier volet d’une enquête sur le thème « La Chrétienté et l’Occident » menée par The American Mind, une publication de The Claremont Institute (que Le Monde qualifie de « centre de réflexion très à droite de la Côte ouest américaine »).
Le sous-titre fait référence à « 4 papes ». Pour le moment, il n’y en a que 3. Le volet suivant, annoncé, sera consacré à Jean Paul II.
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L’article salue l’arrivée d’un compatriote à la tête de l’Eglise, mais constate que « sans être un idéologue, le pape Léon considère néanmoins comme allant de soi le semi-humanitarisme de l’enseignement social catholique récent ».
Et Léon XIV, au moins pour le moment, se réfère constamment à François (et ne cite jamais Benoît XVI). L’auteur rappelle quelques grands discours du Saint-Père (Benoît!!) qui pourraient servir de fil rouge à Léon XIV, notamment au moment où il s’apprête à enrichir le Magistère d’une réflexion sur l’omniprésente IA
Léon XIV cite le pape François dans presque tous ses sermons et discours, comme si l’Église avait en quelque sorte pris un nouveau départ, ou du moins subi un changement de paradigme, pendant le pontificat de François, qui exige qu’il soit la base de toute la pensée et de toute l’action catholiques à l’avenir.
C’est pour le moins inconsidéré.
Quatre papes:
Perspectives de rétablissement de la raison et des fondements moraux de la démocratie.

The American Mind
17 juin 2025
Le pontificat tumultueux et exténuant de l’Argentin Jorge Bergoglio, plus connu au monde sous le nom de pape François, a pris fin en avril.
François fut un pape paradoxal, s’il en fut jamais un.
Il a encouragé ouvertement la discorde au sein de l’Église catholique, qu’il n’hésitait pas à appeler à semer le « bazar », comme si le flou doctrinal et moral de l’Église pouvait servir à quelque chose de constructif.
Il a parlé sans cesse de miséricorde et de l’Église comme d’un immense « hôpital de campagne », qui n’émettait aucun jugement, ouvert à tous ceux qui étaient perdus et brisés. Mais le pape François a rarement appelé au repentir, condition préalable indispensable à la guérison de l’âme.
Il a parfois critiqué l’avortement et l’idéologie du genre, et ce en termes non équivoques, tout en tolérant et en encourageant ceux qui, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église, se livraient à ce grave péché.
François appelait constamment à l’écoute patiente et à une « Église synodale » mal définie, alors même qu’il était beaucoup plus autocratique que tous ses prédécesseurs immédiats.
Il a semblé éprouver plus que de la sympathie pour les régimes et les idéologies de gauche (pensons aux régimes marxistes de Cuba, du Nicaragua et de Chine) qui persécutent ouvertement ses coreligionnaires.
Il a manifesté un mépris profond pour les catholiques les plus traditionnels, en particulier les adeptes de la messe traditionnelle en latin, les plus fidèles parmi les fidèles, tout en tolérant l’hérésie flagrante d’une Église allemande en rébellion ouverte contre Rome, l’orthodoxie chrétienne et la loi morale immuable.
Il a parrainé l’art religieux, kitsch et vulgaire, du père Marko Rupnik, un serial-violeur spécialisé dans la séduction et l’abus de religieuses, d’une manière grossière et véritablement sacrilège, et l’a protégé de manière inexcusable contre toute poursuite judiciaire jusqu’au bout (ce qui semble heureusement toucher à sa fin sous le pape Léon XIV).
Sa mise en garde contre la réduction de l’Église chrétienne au statut d’ONG était prometteuse. Mais il a ensuite donné sans cesse son avis comme s’il était le PDG d’une prévisible ONG progressiste inspirée par des clichés idéologiques tout aussi prévisibles.
Le pape avait tendance à se livrer à des effusions utopiques sur les affaires mondiales et agissait comme si le soutien à l’ouverture des frontières et à la paix à tout prix étaient des conditions préalables à la foi chrétienne. Parmi les gens d’Eglise, bizarrement, certains de ses partisans ont même déclaré, que François avait son propre « magistère », distinct de celui de l’Église historique.
Il n’avait aucune affection évidente pour la civilisation occidentale et n’a jamais parlé de la « dictature du relativisme » qui la menace de l’intérieur. Il ne montrait que peu ou pas de réalisme face aux menaces extérieures qui pesaient sur elle, telles que celles provenant de l’islam militant.
À l’instar d’un universitaire ou d’un intellectuel proche du mouvement woke, François considérait l’islam comme une « religion de paix », en toutes circonstances (pour un exemple paradigmatique, voir l’exhortation apostolique de 2013, Evangelii Gaudium). Son engagement chrétien était axé sur l’humanitaire, et il était extrêmement réticent à remettre en question les dogmes progressistes de notre époque.
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De nombreux catholiques orthodoxes sont soulagés, et dans une certaine mesure même ravis, par ce qu’ils ont vu jusqu’à présent du nouveau pontificat du pape Léon XIV, l’Américain Robert Prevost.
Le pape Léon parle de manière convaincante de la centralité du Christ crucifié et ressuscité. Ses appels à l’unité dans l’Église suggèrent un désir de rassembler les catholiques, et non de se ranger unilatéralement du côté des progressistes contre les traditionalistes. Ses manières et son attitude sont modestes et loin d’être autocratiques et diviseuses. Quand il parle d’« écouter », il semble le penser vraiment. Il est peu probable qu’il vacille sur des questions qui touchent directement à l’intégrité de la loi morale, ou à ce que d’éminents penseurs catholiques ont appelé « la vérité sur l’homme ».
Mais il ne faut pas attendre trop, et trop vite, du nouveau pape.
Ce prêtre et évêque augustinien ne semble pas avoir assimilé le « réalisme chrétien » qui imprègne la réflexion politique de saint Augustin dans La Cité de Dieu. Sans être un idéologue, le pape Léon considère néanmoins comme allant de soi le semi-humanitarisme de l’enseignement social catholique récent. Ses discours et ses homélies condamnent « l’inégalité » et les « causes structurelles » de la pauvreté sans reconnaître la distinction cruciale entre les pauvres en tant que catégorie sociologique (parfois envieux, cruels et rapaces) et les « pauvres en esprit », qui sont en effet plus ouverts que les autres à l’ancrage suprême du cœur et de l’âme humains qu’est l’espérance enracinée dans la foi en Dieu vivant (voir « Message du pape Léon XIV pour la 9e Journée mondiale des pauvres »).
Le nouveau pape semble enclin à accepter l’orientation étatiste de la pensée catholique récente. Mais, et c’est un point crucial, il ne considère jamais la charité comme une distraction qui détourne des efforts de transformation sociale, et note avec une clarté significative que « la forme la plus grave de pauvreté est de ne pas connaître Dieu ».
Léon XIV cite le pape François dans presque tous ses sermons et discours, comme si l’Église avait en quelque sorte pris un nouveau départ, ou du moins subi un changement de paradigme, pendant le pontificat de François, qui exige qu’il soit la base de toute la pensée et de toute l’action catholiques à l’avenir. C’est pour le moins inconsidéré.
On espère que, à mesure que le pape Léon avancera, il commencera à s’inspirer plus explicitement de la sagesse de ses grands prédécesseurs, notamment le pape polonais Jean-Paul II et le pape allemand Benoît XVI.
Ils ont ouvertement défié l’esprit du temps plutôt que de succomber à celui-ci, tout en défendant vigoureusement les fondements moraux de la démocratie contre ce que C. S. Lewis appelait «le poison du subjectivisme».
En 2005, le pape Benoît XVI a donné un nom à la religion séculière qui se présente comme l’aboutissement ou la perfection de la modernité démocratique, la qualifiant de manière frappante de « dictature du relativisme qui ne reconnaît rien de définitif et dont le but ultime consiste uniquement à satisfaire l’ego et les désirs de chacun ». Ni la religion chrétienne ni ce qui reste de la civilisation occidentale ne survivront, a-t-il averti, si l’homme moderne perd la capacité « de distinguer le vrai du faux, et le désir de la vérité » [ndt: homélie de la messe Pro Eligendo Pontifice].
Benoît XVI a également mis en garde les chrétiens, et plus largement les hommes et les femmes de bonne volonté, contre le risque d’être égarés par les vents idéologiques dangereux qui ont précipité l’homme moderne « d’un extrême à l’autre : du marxisme au libéralisme, voire au libertinage ; du collectivisme à l’individualisme radical ; de l’agnosticisme au syncrétisme, etc. ».
Dans son fameux discours de Ratisbonne en 2006, Benoît XVI a défendu le caractère « providentiel » de la rencontre de la religion chrétienne avec l’Europe, et par là même avec l’Occident au sens large, en invoquant la vision qu’avait eue saint Paul d’un Macédonien lui faisant signe de venir aider son peuple (Actes 16, 9-10). Benoît XVI a défendu la rationalité de la foi chrétienne et son enracinement dans le Logos créateur de Dieu lui-même, mettant en garde contre la « déhellénisation » d’une religion inextricablement enracinée dans la foi et la raison. Il a mis en garde contre la violence dans la religion, telle qu’elle se manifeste dans de nombreux courants de l’islam, et a refusé toute identification de la foi religieuse avec le nominalisme, le fidéisme ou le rejet subjectiviste ou fondamentaliste de la raison.
Benoît XVI s’est également opposé sans détour à la réduction du christianisme à un humanitarisme laïc et a refusé l’identification de la raison avec un positivisme et un scientisme qui ignorent la « limitation » propre à la raison elle-même.
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Le pape Léon XIV devra s’inspirer de ces éléments lorsqu’il poursuivra sa réflexion promise sur les dangers que l’intelligence artificielle fait peser sur l’intégrité de la personne humaine créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Un tel texte ne peut pas traiter en premier lieu des conséquences sociales ou économiques de l’IA. Celles-ci sont certes aussi importantes que les questions sociales abordées par le pape Léon XIII dans son encyclique classique de 1891, Rerum Novarum. L’âme et sa relation à Dieu doivent être au cœur de tout engagement authentiquement chrétien face aux promesses et aux dangers de la modernité tardive. On espère et on attend certainement que le pape Léon se montrera à la hauteur de la situation. Le fait qu’il ait discerné le caractère central de cette question, plutôt que de se contenter de répéter les platitudes écologiques très chargées de son prédécesseur immédiat, donne de bonnes raisons d’espérer.
Alors qu’il se prépare à affronter les défis les plus importants de notre temps, le pape Léon devrait méditer sur le fait que le christianisme et le concept de liberté ordonnée qui ont donné naissance à la civilisation occidentale – et à la fondation américaine dans sa formulation la plus aboutie et la plus complète – dépendent de la restauration de la raison droite et de la loi morale telles qu’elles sont comprises par la Grande Tradition.
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