Très intéressante analyse du site « The Remnant », qui souligne que les milieux traditionalistes, ceux qui espèrent le retour de la « messe en latin » , ont accueilli l’élection de Léon XIV avec faveur – séduits par la forme, et par la belle personne du nouveau Pape -, mais aussi, souvent avec perplexité, et parfois même une inquiétude justifiée par des « nominations épiscopales problématiques » (en passant, l’auteur de l’article écarte l’idée que ces nominations pourraient n’être qu’un legs de François et que Léon XIV n’y serait pour rien: une hypothèse loin d’être inepte, même si l’on ne cherche qu’à expliquer les raisons du Pape).
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Pour ces milieux, les futures nominations, en particulier celles épiscopales seront cruciales pour l’Eglise de demain.
(…) les cardinaux qui recherchent aujourd’hui avec sincérité et cohérence un authentique renouveau catholique… devraient porter une attention renouvelée au Dicastère pour les évêques et, dans une certaine mesure, à la Secrétairerie d’État, car c’est souvent aux nonces qu’il revient de fournir les noms des candidats à l’épiscopat dans les diocèses du monde entier.
C’est là que se dessine concrètement le futur visage de l’Église.
C’est là que sont semées les graines de la hiérarchie de demain.
Léon XIV : le banc d’essai des évêques
Gaetano Masciullo
remnantnewspaper.com
1er juillet 2025

Burke, avec Dolan, a été l’un des principaux pope makers du dernier Conclave. L’aile traditionaliste et l’aile conservatrice de l’Église catholique américaine ont uni leurs forces et, en grand secret, ont sorti du chapeau le nom de Prevost – un nom qui, comme on le sait maintenant, a immédiatement attiré des convergences, y compris de la part des cardinaux les plus progressistes.
Homélies christocentriques, étole et mozzetta, documents signés (avec le nom complet), références à la loi naturelle, sûreté juridique, formation en droit canon, style sobre et méthodique, et attention à la liturgie (bien que le maître de cérémonie appartienne à une école liturgique qui est loin d’être exemplaire) : telles sont les caractéristiques du nouveau pontificat, depuis un peu plus d’un mois, qui ont suscité un enthousiasme prudent mais généralisé parmi les cercles les plus conservateurs et traditionalistes de l’échiquier catholique.
Gerhard Ludwig Müller, un cardinal ratzingerien non seulement par sa formation mais aussi par sa parenté nationale, a récemment déclaré que le Pape Léon ramènerait la « paix liturgique » dans l’Eglise et a suggéré que l’une des premières étapes du nouvel agenda du Vatican devrait être de « restaurer l’accès à la Messe traditionnelle ».
Raymond Leo Burke, sans doute le cardinal le plus représentatif de l’aile traditionaliste, – américain comme Prevost, mais ratzingerien comme Müller, et défenseur de toujours de la messe traditionnelle – a déclaré [dans un discours prononcé] le 14 juin qu’il avait explicitement demandé au pape Léon de lever les mesures liturgiques restrictives introduites par François par le motu proprio Traditionis custodes, qui a de fait abrogé le motu proprio de son prédécesseur, Summorum Pontificum.
Il est difficile de croire que le Pape puisse ignorer les demandes de son compatriote, et ce pour plusieurs raisons.
- Tout d’abord, l’un des objectifs déclarés du nouveau pape est précisément la cohésion interne de l’Église, à laquelle il fait référence en utilisant le mot « unité » (même si, théologiquement parlant, l’unité de l’Église est enracinée dans l’unité de la doctrine. Cela dit, je ne crois pas que la condamnation des idées hétérodoxes qui ont infiltré l’Église – une étape nécessaire pour restaurer l’unité doctrinale – figure parmi les priorités du pape Prévost, du moins pour l’instant).
- En second lieu, Burke, avec Dolan, a été l’un des principaux « pope makers » du dernier Conclave [ndt: est-ce bien le cas?]. L’aile traditionaliste et l’aile conservatrice de l’Église catholique américaine ont uni leurs forces et, en grand secret, ont sorti du chapeau le nom de Prevost – un nom qui, comme on le sait maintenant, a immédiatement attiré la convergence, même de la part des cardinaux les plus progressistes.
Beaucoup d’entre eux semblent déjà déçus – comme le président de la CEI, Matteo Zuppi, qui, le lendemain de l’élection, a dit à un journaliste italien :
« Par principe, tous les papes sont toujours bons, parce que ceux qui font les choix sont toujours quelque peu faillibles »
Et pourtant, après avoir rencontré le pape Léon lors d’une audience privée avec la Conférence épiscopale italienne le 17 juin, Zuppi est apparu comme invité au festival organisé par La Repubblica, peut-être le plus progressiste des journaux italiens, où le journaliste Francesco Merlo a dit :
« Je n’aime pas le pape Léon parce qu’il est trop froid – François me manque. »
Zuppi n’a pas répondu. Apparemment, la gauche a le droit de critiquer ! Peut-être Zuppi s’attendait-il à un traitement différent de la part du Pontife qu’il pense avoir contribué à faire élire – très probablement en canalisant vers lui des votes alignés sur Sant’Egidio pendant le Conclave. Mais est-ce bien sûr?
Un pape lion et des évêques caméléons ?
[« Lion » est un jeu de mots sur le nom du Pape, « lion » et « Léon » se traduisant tous deux par leone]
On a beaucoup parlé de Burke et Dolan. Les cardinaux américains ont eu relativement de facilité à dominer [???] la scène du conclave, en partie grâce au déficit économique alarmant laissé par l’administration précédente.
Cependant, alors que le pape Léon semble restaurer certains symboles pontificaux plus conservateurs et un ton plus doctrinal, il y a un aspect de son gouvernement qui, du moins jusqu’à présent, s’aligne parfaitement sur l’approche de François : les nominations épiscopales.
A ce jour, le pape Léon a nommé plusieurs évêques à travers le monde, dont certains sont très controversés.
Commençons par la nomination de Shane Mackinlay comme archevêque de Brisbane, en Australie. Partisan du diaconat féminin, sa nomination a suscité le scandale de Mgr Strickland.
« Avec une profonde inquiétude pour les fidèles de l’Église, je me sens obligé d’aborder la récente nomination […]. Bien que nous devions un respect filial et l’obéissance au Saint-Père dans les domaines qui relèvent de son autorité, cette nomination soulève de sérieuses questions pastorales et doctrinales.
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L’évêque Mackinlay a publiquement exprimé son soutien à la possibilité d’ordonner des femmes au diaconat – une position qui non seulement introduit une grave confusion mais remet directement en cause l’enseignement et la tradition de l’Église catholique. […]
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La volonté de redéfinir le diaconat pour y inclure les femmes n’est pas une question de discipline mineure ou d’adaptation pastorale – c’est une rupture avec la tradition ininterrompue de l’Église et un pas vers l’ébranlement de la nature même de la prêtrise sacramentelle ».
Pour être juste, Mackinlay n’est pas la première nomination très controversée du Pape Léon.
Dès le 23 mai, le Pape Léon avait approuvé (mais pas directement nommé) Mgr Beat Grögli en tant qu’évêque de Saint-Gall, en Suisse – un autre fervent défenseur du diaconat féminin.
En fait, la situation suisse est totalement sui generis: les évêques sont élus par le chapitre de la cathédrale, qui présente ensuite le nom du candidat au gouvernement cantonal.
Si le canton approuve, le nom est transmis à Rome, qui est alors confrontée à un choix : accepter ou rejeter. Dans ce dernier cas, cela déclencherait un conflit prolongé avec l’Église locale et le canton, ce qui provoquerait des tensions diplomatiques gênantes que le Saint-Siège cherche à éviter, en particulier sous le règne de Léon.
La seule possibilité qui reste à Rome, c’est de fixer des limites doctrinales, ce qui pourrait permettre d’empêcher l’évêque hétérodoxe de faire des déclarations malvenues pour la hiérarchie (une stratégie qui ne fonctionne pas toujours).
Cette situation découle du juridictionnalisme suisse, cette doctrine politique issue du protestantisme qui prône non seulement la séparation de l’Église et de l’État (comme dans l’américanisme), mais aussi le contrôle de l’État sur l’Église, notamment dans les nominations épiscopales.
Il n’en reste pas moins que le nouvel évêque de Saint-Gall est à la fois problématique et hétérodoxe.
Enfin, le 27 juin, José Antonio Satué Huerto a été nommé évêque de Malaga (Espagne). Il est un partisan notoire et controversé du document Fiducia supplicans sur la bénédiction des couples de même sexe. Malaga est l’un des plus grands diocèses d’Espagne et, de l’avis général, il comporte une forte composante traditionaliste.
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Certains observateurs proches du Vatican notent que ces nominations pourraient remonter à des décisions déjà approuvées sous le pontificat du pape François, bien qu’elles n’aient pas encore été mises en œuvre jusqu’à présent. Ils cherchent ainsi à exclure toute responsabilité directe du pape Léon.
Cependant, avec le respect dû et en pleine conscience de nos limites devant l’autorité suprême du Pontife romain, nous suggérons humblement que cette interprétation risque d’être plus problématique que la question elle-même.
Tout d’abord, le Souverain Pontife est entièrement libre d’abroger, d’amender ou de suspendre toute décision antérieure sans avoir à en rendre compte à qui que ce soit, puisque le Pape n’est soumis à aucun jugement humain.
Deuxièmement, l’argument selon lequel ces nominations ont été faites dans un souci de continuité diplomatique interne à la Curie romaine ne tient pas. Un tel raisonnement impliquerait que le nouveau pape ait cherché à maintenir un équilibre avec le précédent préfet du dicastère pour les évêques – alors que le pape Léon lui-même, alors cardinal Prevost, occupait ce même poste. Il est difficile d’imaginer qu’il aurait été contraint par des considérations de commodité à l’égard de ses propres actions antérieures.
Si, au contraire, ces nominations avaient été promues par d’autres membres influents du Dicastère, comme le Secrétaire ou d’autres, il faudrait en conclure que, pendant son propre mandat, le pouvoir de décision de personnalités plus progressistes l’a emporté sur celui du Préfet en place – une interprétation que, pour l’instant, nous sommes réticents à accepter en raison de ses implications.
Enfin – et de manière décisive – il faut rappeler que les nominations épiscopales qui n’ont pas été formellement promulguées ou rendues publiques avant la mort du Pape qui les a promulguées, deviennent caduques de par la loi avec le début de la Sede Vacante. Ceci est clairement établi dans la Constitution Apostolique Universi Dominici Gregis (1996), promulguée par Jean-Paul II et toujours en vigueur. Le chapitre IV de ce document stipule que, pendant la Sede Vacante, les dicastères de la Curie romaine perdent toute autorité pour traiter des questions nécessitant l’intervention directe ou spécifique du Pape. Les nominations épiscopales, étant des actes ex audientia Sanctissimi, n’ont aucun effet juridique sans la volonté explicite du Souverain Pontife régnant et doivent, si cela est jugé approprié, être renouvelées ou ratifiées par le nouveau Pape.
À la lumière de tout cela, il est légitime de conclure – toujours avec le plus grand respect et la plus grande obéissance filiale au Successeur de Pierre – que la responsabilité ultime et formelle de toute nomination rendue publique pendant le nouveau pontificat repose nécessairement sur le Pape Léon, dans l’autorité pleine et incontestée qui lui a été conférée par le munus petrinum.
La stratégie des traditionalistes : La liturgie d’abord ?
On ne peut donc ignorer qu’à côté des signes encourageants qui se font jour sur le front liturgique et doctrinal, une certaine opacité persiste dans le domaine très délicat des nominations épiscopales. Et c’est précisément cette question qui pourrait s’avérer être le véritable test décisif du pontificat de Léon XIV.
Il ne suffit pas de restaurer la liberté de la Messe traditionnelle si, dans le même temps, on permet au corps épiscopal de continuer à être façonné par des critères ambigus – ou pire, hétérodoxes. Il y a un risque très réel que la Messe traditionnelle, bien que réadmise avec bienveillance, ne soit tolérée que comme une zone franche, une sorte d’enclave protégée pour des fidèles jugés nostalgiques d’une époque révolue, tranquillement laissée à l’abandon au fil des générations.
Si l’on se réfère à l’histoire récente, en particulier à partir du règne de Paul VI, les néo-modernistes ont d’abord obtenu des chaires universitaires et des nominations épiscopales, et ce n’est qu‘ensuite qu’ils ont changé les livres liturgiques.
C’est pourquoi les cardinaux qui recherchent aujourd’hui avec sincérité et cohérence un authentique renouveau catholique – et pas seulement un renouveau esthétique ou dévotionnel – devraient porter une attention renouvelée au Dicastère pour les évêques et, dans une certaine mesure, à la Secrétairerie d’État, car c’est souvent aux nonces qu’il revient de fournir les noms des candidats à l’épiscopat dans les diocèses du monde entier. C’est là que se dessine concrètement le futur visage de l’Église. C’est là que sont semées les graines de la hiérarchie de demain.
Les cardinaux dont la fidélité à la Tradition et au Magistère pérenne est avérée, tels que Burke et Müller, qui jouissent de l’estime et de la gratitude de nombreux fidèles, ont aujourd’hui une occasion historique d’appeler non seulement à la sauvegarde de la liturgie, mais aussi à une plus grande vigilance quant à la transmission de la foi par les pasteurs de l’avenir, soutenus par la force sereine de la vérité.
La tradition n’est pas préservée simplement en célébrant bien, elle est transmise en choisissant bien. Et Rome, une fois de plus, est l’endroit où cela peut se produire – ou être empêché.