Par un « rescrit » du 17 décembre, le Pape décide de supprimer le secret pontifical dans les affaires de pédophilie: une mesure qui ne rajouterait en réalité rien à celles prises par Benoît XVI, déjà lorsqu’il était préfet de la CDF, même si les médias, peu avares de superlatifs élogieux, lorsqu’il est question de François crient au tournant « historique ». La mise au point de Nico Spuntoni. Et le commentaire inédit du Père Scalese (à suivre…).

Le 16 juillet 2010, au beau milieu de la terrible « annus horribilis » où chaque jour voyait sortir de nouvelles affaires sordides, honteusement exploitées par les médias pour discréditer le Pape (les temps ont décidément bien changé!!), le Père Scalese, commentant les nouvelles règles sur « les délits les plus graves » édictées par la CDF sous l’impulsion de Benoît XVI disait sa satisfaction dans un billet intitulé « Nouvelles normes? Ok », et écrivait en particulier:

Je vois avec plaisir que dans ces affaires, le secret pontifical a été confirmé, malgré tous les slogans sur la «transparence». La confidentialité est elle aussi un droit pour toutes les parties concernées.

http://benoit-et-moi.fr/ete2010

Y a-t-il quelque chose de changé aujourd’hui? J’ai écrit au Père Scalese pour lui demander de nous éclairer, et voici sa réponse:

Je ne sais pas si vous avez déjà lu l’article paru aujourd’hui dans la Bussola [traduction ci-dessous]. Comme vous pouvez le voir, quoi qu’en disent les « bergogliophiles », il ne s’agit pas d’un tournant historique, mais seulement de modifications apportées à une loi existante.

À mon avis, ce changement a été apporté en réponse aux demandes qui avaient été formulées par de nombreuses personnes lors de la réunion de février dernier. En fait, peu de choses devraient changer: comme le fait remarquer Mgr Arrieta, « le fait que la connaissance de ces actes criminels ne soit plus liée au ‘secret pontifical’ ne signifie pas que ceux qui en ont connaissance peuvent librement en faire la publicité ce qui, en plus d’être immoral, porterait atteinte au droit à la bonne réputation des personnes… les personnes informées de la situation ou impliquées d’une manière ou d’une autre dans l’enquête ou l’instruction de la cause sont tenues de ‘garantir la sécurité, l’intégrité et la confidentialité’, et de ne partager aucune information de quelque nature que ce soit avec des tiers étrangers avec la cause« .
Dans la pratique, le secret papal a été remplacé par le secret professionnel (d’ufficio). Alors, à quoi sert un tel changement ? Je n’exclus pas le désir de nourrir le mythe du Pape réformateur et de la tolérance zéro; mais je pense qu’il est plus probable qu’on a voulu épargner d’éventuels scrupules de conscience aux évêques contraints de dénoncer les cas d’abus à la justice civile (chose par ailleurs déjà possible aussi avec le secret pontifical).


L’article de la Bussola

Nouveaux règlements contre la pédophilie, des modifications, mais pas de « tournant historique ».

La NBQ
Nico Spuntoni
18 décembre 2019
Ma traduction

Un Rescrit du Pape François supprime le « secret pontifical » sur les plaintes et les procès concernant les cas d’abus sexuels et de pédopornographie perpétrés par des personnes consacrées. Salués par les médias comme un « tournant historique », il s’agit en réalité de changements apportés aux règles dans le sillage tracé à l’époque par le cardinal Ratzinger.


(…)
Le Rescrit signé par le Cardinal Parolin, annonce que François « le 4 décembre 2019, a décidé de publier l’Instruction sur la confidentialité des affaires », qui stipule que « ne sont pas couverts par le secret pontifical les plaintes, procès et décisions concernant les cas d’abus sexuels par menace ou abus d’autorité, les actes sexuels commis avec un enfant ou une personne vulnérable, la détention, l’exposition ou la distribution de pédopornographie, les omissions et les dissimulations d’un religieux dans le cadre d’enquêtes canoniques ».

Il s’agit des crimes mentionnés à l’article 1 de « Vos estis lux mundi« , le motu proprio promulgué le 9 mai 2019 à la suite du sommet sur la protection des mineurs tenu au Vatican en février dernier. La décision du Souverain Pontife s’inscrit dans la ligne de tolérance zéro adoptée par son prédécesseur: le crime canonique d’achat, de détention ou de divulgation de matériel pédopornographique a en effet été sanctionné dans les modifications de 2010 à « Sacramentorum sanctitatis tutela » apportées par Benoît XVI. La retouche, il y a neuf ans, des normes sur les « gravioribus delictis » prévoyait en outre déjà la participation de laïcs dans le personnel des tribunaux, accélérait les procédures avec la possibilité de procéder par décret extrajudiciaire et permettait la réduction à l’état laïque sans procès décidé par le Pontife dans des cas particuliers.

La lettre circulaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, datée du 15 juillet 2010, faisait suite au « Guide pour la compréhension des procédures de base de la CDF en matière d’accusations d’abus sexuels » par lequel le Saint-Siège avait voulu donner un signal précis de clarté et de transparence dans l’annus horribilis caractérisé par des scandales continuels. Les Rescrits de François sont en pleine continuité avec ce document – qu’à l’époque, on avait accusé d’être « antidaté » – également en ce qui concerne la collaboration avec les autorités civiles: en effet, le Guide évacuait tout soupçon d’omission et de couverture, précisant que « les dispositions du droit civil concernant le renvoi des crimes aux autorités compétentes doivent toujours être suivies ».

La lutte contre « la saleté dans l’Église » est une lutte dont Ratzinger, déjà du temps de sa charge à la tête de l’ex-Saint-Office, était le chef de fil et qu’il a mené aussi en tant que Pape: Mgr Juan Ignacio Arrieta, secrétaire du Conseil pontifical pour les Textes législatifs, a écrit, justement en 2010, dans « La Civiltà Cattolica » un article qui rend hommage à « l’influence du cardinal Ratzinger dans la révision du système pénal canonique ». La reconstruction historique du prélat espagnol, soulignait l’importance de la requête faite par le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de l’époque afin que cette dernière ait compétence pénale exclusive pour les crimes les plus graves commis contre la morale.

Les nouveautés rendues publiques hier doivent être replacées dans le contexte de ce parcours non acquis d’avance inauguré à la fin des années 80 par l’actuel pape émérite: ce n’est pas un hasard si dans son article pour la revue jésuite, Arrieta écrit que l’action décisive du Cardinal Ratzinger dans le « processus de plus de vingt ans de renouvellement de la discipline pénale » était « une des constantes qui caractérisent ses années romaines ».

Hier, le Secrétaire du Conseil Pontifical pour les Textes Législatifs a écrit un commentaire aux innovations introduites par le Pape François, dans lequel il clarifie également l’aspect de l’abolition du « secret pontifical » dans les cas d’abus commis par des religieux contre des mineurs et des personnes vulnérables: (…) c’est un détail important – précise le prélat -, le fait que la connaissance de ces actes criminels ne soit plus liée au « secret pontifical » ne signifie pas que ceux qui en ont connaissance peuvent librement en faire la publicité ce qui, en plus d’être immoral, porterait atteinte au droit à la bonne réputation des personnes ». Cela signifie – poursuit Arrieta dans son commentaire – que « les personnes informées de la situation ou impliquées d’une manière ou d’une autre dans l’enquête ou l’instruction de la cause sont tenues de « garantir la sécurité, l’intégrité et la confidentialité », et de ne partager aucune information de quelque nature que ce soit avec des tiers étrangers avec la cause.

La lettre du 15 juillet 2010 signée par le Cardinal Levada stipulait à l’article 30 que « les affaires de cette nature sont soumises au secret pontifical » et que « quiconque viole le secret ou, par intention ou négligence grave, cause d’autres dommages à l’accusé ou aux témoins, à la demande de la partie lésée ou même d’office, sera puni par le tribunal supérieur de sanctions appropriées ». Selon les explications d’Arrieta, l’abolition disposée par François n’ouvrira pas la voie à la diffusion d’informations relatives à ces cas particuliers à des tiers et n’affectera pas la confidentialité des procédures qui justifiait la présence de ce passage, y compris dans les règles les plus strictes voulues par Benoît XVI il y a neuf ans, sans que cela porte préjudice à l’attitude requise de pleine collaboration avec les autorités civiles.

Ainsi, les changements introduits par François dans la lutte contre le fléau des abus envers les mineurs commis par les membres du clergé, communiqués le jour de son 83e anniversaire, semblent s’inscrire dans la droite ligne de la transparence et de la responsabilité inaugurées avec détermination par son prédécesseur, avant même son élection en 2005.


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