Marcello Veneziani explorent les lignes de fracture qui lacèrent les sociétés occidentales aujourd’hui, et que le clivage traditionnel droite/gauche n’est plus en mesure de (ou ne suffit plus à) décrire: cancel culture, féminisme exacerbé, « droits » LGBT, écologisme radical, immigration sans frein, et tous leurs corollaires. Avec en toile de fond, cette haine que de nombreux européens nourrissent contre leur propre civilisation, une haine contre laquelle Benoît XVI n’a cessé de nous mettre en garde (alors que le pape actuel la partage, par opportunisme politique ou complexe d’infériorité de quelqu’un qui est, ou se croit, issu d’une autre culture)

Benoît XVI et les européens qui ne s’aiment plus

«Il y a en Occident une étrange haine de soi qui peut être considérée comme pathologique. De façon louable, l’Occident tente de s’ouvrir à plus de compréhension pour des valeurs extérieures mais il ne s’aime plus lui-même. Il ne voit plus désormais de sa propre histoire que ce qui est dépréciable ou destructeur, et il n’est plus en mesure d’y percevoir ce qui est grand et pur. L’Europe pour survivre a besoin d’une nouvelle acceptation d’elle-même, certes humble et critique. Le multiculturalisme, qui est encouragé passionnément, se réduit souvent à un abandon et un reniement par l’Europe de ce qui lui est propre.»

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(Conférence à Berlin, le 28 novembre 2000.)

Il y a là quelque chose d’étrange et que l’on ne peut considérer que comme une attitude pathologique: l’Occident semble se haïr lui-même; certes, il s’efforce de s’ouvrir – et c’est louable – avec beaucoup de compréhension aux valeurs étrangères, mais il ne s’aime plus lui-même; de sa propre histoire, il ne retient plus désormais que ce qui est déplorable et causa des ruines, n’étant plus en mesure de percevoir ce qui est grand et beau.
Si elle veut survivre, l’Europe a besoin de s’accepter à nouveau elle-même, non sans humilité ni critique.
Sans cesse se trouve passionnément encouragée la multiculturalité, mais parfois c’est là surtout abandon et rejet de ce qui est propre, fuite des réalités particulières à l’Europe.
La multiculturalité ne peut subsister si font défaut, à partir des valeurs propres, certaines constantes communes, certaines données permettant de s’orienter. Elle ne peut certainement pas subsister sans le respect de ce qui est sacré.
Cela implique que soient abordés avec respect les éléments sacrés de l’autre, et ce n’est possible que dans la mesure où le sacré, Dieu, ne nous est pas étranger à nous-mêmes.»

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Cardinal Ratzinger, « L’Europe, ses fondements, aujourd’hui et demain » (éd. Saint-Augustin, 2004, p.35 à 37) [benoit-et-moi.fr/2014]

Nous jouons la civilisation

Mais qu’est-ce qui est en jeu dans la loi sur l’homotransphobie [*], les portes ouvertes aux migrants, la défense des frontières, le principe de souveraineté, le politiquement correct, la cancel culture, les relations avec les musulmans, les noirs et les Chinois? Ce qui est en jeu, c’est la civilisation. Ou si vous préférez, c’est la partie entre les droits de l’homme et la civilisation qui se joue.

Autrefois, il y avait la gauche et la droite, les conservateurs et les progressistes, les nationalistes et les internationalistes. Ou si vous préférez, les fascistes et les anti-fascistes, les communistes et les anti-communistes. Aujourd’hui, à l’ère mondiale de la pandémie et du gouvernement d’union nationale dirigé par un technicien super partes [Mario Draghi], comment se répartissent les opinions politiques et les convictions civiles? Les catégories mentionnées plus haut, bien que toujours utilisées, sont usées par le temps et les abus; elles perdent de leur force dans les nombreuses variations, dans les contextes modifiés et dans les utilisations polémiques et résiduelles avec lesquelles elles sont employées. Elles ne sont plus en mesure de représenter la réalité et les divergences actuelles.

Sur quoi les Italiens, les Européens, les Occidentaux sont-ils vraiment divisés aujourd’hui, quelles sont les questions sensibles les plus significatives?

En premier lieu, les thèmes de la biopolitique, c’est-à-dire les domaines qui concernent la vie et la mort, la naissance et les sexes, le taux de natalité, les adoptions et les mères porteuses, les unions et les familles homosexuelles, le droit à la vie ou à l’avortement, les changements d’identité et le transhumanisme, les droits des animaux, les mœurs, les drogues. En second lieu, elles affectent directement les catégories « protégées » car considérées comme insuffisamment protégées par les lois et coutumes en vigueur: autrement dit les femmes, les migrants, les noirs, les homosexuels, les trans, les Roms, les minorités religieuses. En troisième lieu, elles concernent la mémoire historique collective, les identités, le patrimoine religieux des peuples, les traditions, les coutumes et leur rejet, les classiques et leur effacement, les arts et la censure, la toponymie, les monuments, les fêtes et les journées mondiales, le passé et sa négation. Ce sont les questions qui divisent le plus au niveau politique, civil ou idéal, au-delà des questions contingentes, sanitaires ou économiques. L’enjeu est la civilisation, menacée de l’intérieur et de l’extérieur. Toutes les questions qualifiées de « clivantes » pour le gouvernement actuel (la loi Zan [*], la question des migrants, le ius soli) remontent à ce dualisme.

Les vieilles étiquettes mentionnées plus haut ne suffisent plus, et l’on ne peut pas non plus rejeter de manière manichéenne et dénigrante ceux qui s’opposent aux préceptes du néoconformisme, comme si le défi était entre les droits de l’homme et le racisme (plus diverses phobies). A la place, il y a d’un côté le sentiment commun du peuple, formé au fil du temps et des générations; de l’autre, il y a le nouveau canon de la bienséance imposé par les classes dirigeantes. En d’autres termes, les anciens préjugés du peuple contre les nouveaux préjugés idéologiques.

Classons les deux lignes opposées de manière à ce qu’elles se respectent mutuellement: d’un côté, c’est le souci des droits de l’homme qui prévaut; de l’autre, c’est la défense de la civilisation en péril. C’est-à-dire que, d’un côté, ce sont les pierres angulaires de la civilisation – la famille, le sens religieux, les liens communautaires, la tradition, les symboles, le patriotisme – qui sont en jeu; de l’autre côté, c’est l’acquisition de nouveaux droits civils, globaux, de genre, des minorités qui est en jeu. Y compris le droit de changer de visage, de sexe et de citoyenneté.

Les conflits les plus âpres portent en fait sur le racisme, le sexisme, le colonialisme, le suprémacisme, l’islamophobie, la xénophobie, l’homophobie, le négationnisme, mais ce sont des variations sur le même thème: la civilisation ou les droits humains globaux.

Défendre la civilisation signifie protéger les identités, la souveraineté nationale, la chrétienté, les cultures traditionnelles. Promouvoir les droits de l’homme, en revanche, c’est soutenir l’émancipation globale des individus et des peuples contre leurs cultures, leur histoire et leurs traditions, mais aussi contre leur nature et leurs différences.

Celui qui défend la civilisation aime la communauté, à commencer par le plus proche. Celui qui défend les droits de l’homme aime le monde à commencer par le plus éloigné. Celui qui défend la civilisation reconnaît les droits par rapport aux devoirs et à commencer par les droits naturels; il respecte le passé, le présent et l’avenir et considère certains fondements comme intemporels. Celui qui défend les droits de l’homme se place dans la perspective du présent global et soutient les mutations. Celui qui défend la civilisation veut protéger les différences contre l’uniformisation globale et le réductionnisme radical. Celui qui défend la société globale veut annuler les différences et protéger de manière particulière certaines diversités.

Défendre la civilisation ne signifie pas revenir en arrière et exalter la guerre, la suprématie masculine, l’esclavage, la haine de classe ou de race. Cela signifie assumer l’héritage de la civilisation, des traditions, des symboles, sans les reproposer mécaniquement sous des formes archaïques; cela signifie ne pas juger le passé avec les lentilles du présent, ne pas juger ou effacer l’histoire parce qu’elle diffère de la sensibilité d’aujourd’hui, mais reconnaître l’histoire telle qu’elle est et ensuite distinguer ce qui est vivant et ce qui est mort, ce qui est toujours valable et ce qui est passé, avec réalisme; sans confondre le niveau historique avec le niveau judiciaire et le niveau judiciaire avec le niveau moral et idéologique.

La bataille politique et sociale tourne autour de ces oppositions. On alimente un gigantesque sentiment de culpabilité de la civilisation euro-occidentale pour l’homme blanc, hétéro, chrétien, fils et parent. Tout est jeté dans la marmite de la nouvelle conformité: de l’histoire aux sexes, de la culture à la bande dessinée. Il est curieux de constater que de nombreux pro-européens convaincus souffrent en réalité d’europhobie: ils détestent leur propre civilisation et lui font un procès dans tous les domaines.

(*) Ndt

L’Italie vient de faire un grand pas en avant dans la lutte contre les LGBTphobies et le sexisme. Le projet de loi régionale « Zan » entend, en effet, punir les discriminations et les discours de haine envers les personnes LGBT+ et les femmes. Il renforce ainsi la loi anti-discrimination qui prévoit déjà 4 ans de prison pour toute atteinte à la couleur de peau ou à la religion.
Cette loi porte le nom de son porte-parole, Alessandro Zan, un député ouvertement gay du parti démocrate.
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(source)

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