Riccardo Cascioli retrace le parcours ambigu, jonché d’échecs de toutes sortes qui, curieusement, ne lui ont pas porté préjudice, de l’inquiétant personnage, qualifié de « messie de l’avortement » et devenu un hôte assidu du Vatican et un conseiller écouté du Pape; avec Sachs, c’est le loup qui est entré dans la bergerie, et même pas par effraction, le berger lui a laissé les clés. Et dire que certains, dans l’Eglise, croient naïvement (ou plus vraisemblablement affirment cyniquement) qu’il est là pour convaincre les différentes agences de l’ONU de s’aligner sur les positions catholiques.

Le Vatican joue du Sachs (*)

(*) jeu de mot avec « joue du saxo »

La nomination de l’économiste Jeffrey Sachs comme membre ordinaire de l’Académie pontificale des sciences sociales est certainement scandaleuse. Mais le pire est le sens évident qu’elle revêt : ce n’est pas le monde qui est contaminé par l’Évangile, mais l’Église qui assume les catégories du monde.

Riccardo Cascioli
La NBQ
27 octobre 2021
Ma traduction

Jeffrey Sachs membre de l’Académie pontificale des sciences sociales APSS), c’est sans aucun doute un scandale, comme certains l’ont déjà dit. La nomination pontificale, qui a eu lieu le lundi 25 octobre, est une décision qui crée encore plus de désorientation et de confusion, comme s’il n’y en avait pas déjà assez dans l’Église. Ou peut-être y a-t-il eu tellement de confusion ces dernières années qu’une de plus ou de moins ne fait pas trop de différence pour la majorité des fidèles. C’est probablement le cas : peu de gens sont indignés par la nomination dans l’une des académies du pape d’un fanatique néo-malthusien, pro-avortement convaincu et théoricien du contrôle de la population.

Pourtant, la nomination de Jeffrey Sachs a une signification qui va au-delà de la participation à une prestigieuse académie pontificale qui est censée élaborer des études et des recherches utiles à l’Église dans le développement de la Doctrine sociale. Sachs est un économiste à la renommée ambiguë : d’un côté, il est l’un des spécialistes les plus influents au monde, ainsi que le conseiller de pas moins de trois secrétaires généraux de l’ONU, et un gourou du développement durable (il est actuellement directeur du Centre pour le développement durable de l’Université de Columbia) ; de l’autre, sur le terrain, il n’a collectionné que des échecs : Il est connu comme le « père » de la très controversée « thérapie de choc » appliquée en Pologne pour accélérer la transition d’une économie communiste à un système capitaliste ; beaucoup moins connu est le grand projet, au début des années 2000, pour combattre la pauvreté en Afrique – The Millennium Villages Project – avec lequel il a choisi 12 villages en Afrique subsaharienne qui, grâce à l’application de ses théories économiques (avec des investissements s’élevant à 120 millions de dollars), devaient devenir en cinq ans des modèles à reproduire dans toute l’Afrique pour vaincre définitivement la pauvreté. Ce fut un échec retentissant, raconté dans un livre (Nina Munk, The Idealist, 2013) par ceux qui avaient suivi le projet pas à pas depuis sa conception. La morale est simple : les brillantes théories économiques ne fonctionnent pas lorsqu’elles sont placées dans le domaine de la réalité humaine.

Malgré cela, la carrière de Sachs n’en a pas souffert, il est même devenu le « guide économique » du Vatican, et peu importe que ses livres et ses discours publics montrent une obsession certaine pour le supposé problème de la surpopulation, qu’il voudrait résoudre de manière drastique. C’est aussi pour cette raison qu’il est un grand admirateur de la Chine, dont la « politique de l’enfant unique » a fait disparaître quelque 400 millions d’êtres humains en 40 ans.
Tout cela ne compte visiblement pas, et c’est ainsi qu’il a joué un grand rôle dans la rédaction de l’encyclique écologique Laudato Si’ (2015), qu’il est l’un des maîtres d’œuvre de The Economy of Francesco, et qu’il est depuis des années un protagoniste de chaque grande conférence internationale sur les questions sociales qui se tient au Vatican. En fin de compte, la nomination en tant que membre ordinaire de l’Académie pontificale des sciences sociales ne peut être une surprise, c’est la conséquence logique de ce qui s’est passé ces dernières années.

Si le scandale est grand, l’affaire Sachs révèle un scénario encore plus inquiétant. Le chancelier de l’APSS, l’Argentin monsignor Marcelo Sanchez Sorondo, s’est exprimé à plusieurs reprises devant les journalistes au sujet de la présence encombrante de Sachs au Vatican, affirmant que Sachs a changé d’avis et que l’objectif est que l’ONU et ses hommes les plus influents écoutent les priorités fixées par le Saint-Siège, ce qui – selon Sorondo – est en train de se produire. En d’autres termes, le pauvre homme semble convaincu que c’est l’ONU qui a changé de priorité dans ses décisions pour s’adapter à ce que l’Église, et surtout le pape François, voudrait. Il ne se rend pas compte qu’au contraire, c’est précisément l’Église qui s’est ralliée aux positions des agences de l’ONU et des groupes écologiques. Il n’y a pas que le Saint-Siège, nous avons vu ce qui s’est passé lors des Semaines sociales de l’Église italienne qui se sont tenues le week-end dernier : la première proposition approuvée engage les paroisses dans des projets de transition énergétique.

En pratique, ce n’est pas le monde qui a été contaminé par la pensée de l’Église, mais l’Église qui est à la merci des pouvoirs de ce monde. L’exemple le plus évident est l’intégration du concept de développement durable dans le magistère de l’Église, qui a eu lieu officiellement avec l’encyclique Laudato si’, mais qui est maintenant devenu un refrain constant. En quoi consiste réellement le développement durable ? Si l’on prend le rapport de la Commission Brundtland (Our Common Future, 1987), on constate que le concept de développement durable découle de la conviction que la pression démographique est un boulet pour le développement et un facteur de dégradation de l’environnement. En d’autres termes, il y a derrière cela une conception négative de l’homme et de sa présence. Rien à voir avec le Magistère traditionnel de l’Église catholique. Si l’Église commence à adopter les concepts du monde, alors il est clair que c’est le monde qui gagne et non l’Église qui évangélise, et le Vatican devient une terre de conquête. Nous en sommes exactement là.

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