On ne savait pas les médias si dévots. Ecoutant d’habitude fort peu les injonctions du Magistère (sauf quand il est question d’accueil des immigrés), ils sont unanimement tombés en extase devant le dernier tweet de @pontifex, affirmant que « se vacciner est un acte d’amour ». Extase partagée bien sûr par les habituels thuriféraires (les mêmes qui se réjouissent de l’état de santé du cardinal Burke). Mais Stefano Fontana, loin de partager leur enthousiasme, met en garde contre ce changement de plus en plus évident du Magistère lui-même, qui transite désormais par une plateforme peu propice aux développements argumentés, et qui, au lieu de donner les grandes orientations sur des sujets que le catholique peut légitimement contester, traite sans nuances et sans recul du contingent.

Ce passage d’un magistère des grandes orientations à un magistère du petit cabotage, ce passage des principes de réflexion aux directives d’action simplistes, ce passage du « je ne vous dirai pas ce que vous devez faire ici et maintenant, je vous dirai les principes qui doivent vous guider » au « faites ceci : vaccinez-vous ! » devrait être expliqué, tant il est désormais évident, si l’on considère que la tendance actuelle de l’Église est de voir le monde de l’intérieur du monde lui-même. Ce faisant, elle perd beaucoup de vision et navigue au plus près des faits et des situations, qu’elle ne parvient plus à voir d’en haut

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S. Fontana

@pontifex… pontifie: « se vacciner est un acte d’amour »

Et les médias applaudissent

Capture d’écran, Google actu, 19/8/2021

Le Magistère via twitter sombre dans le ridicule

Stefano Fontana
La NBQ
19 août 2021
Ma traduction

 » Se faire vacciner est un acte d’amour  » : le tweet du pape François d’hier n’est pas seulement banal et incohérent, mais il témoigne d’une tendance bien établie à intervenir et à donner des directives précises sur des questions techniques, discutables et qui ne sont de toute façon pas au cœur de la mission de l’Église.

« Se faire vacciner est un acte d’amour ». On n’avait vraiment pas besoin de ce genre de banalité de la part du Pontife régnant en personne. Il est vrai que Twitter ne permet pas d’écrire des traités argumentés, mais les gens ne choisissent-ils pas Twitter précisément pour dire des banalités sans approfondir le sujet ? Il est vrai que la phrase est la synthèse d’un message vidéo adressé aux populations d’Amérique latine, mais l’écoute de l’ensemble du contenu ne change grand-chose. Ne blâmons donc pas Twitter, même si son abandon serait une excellente chose pour le Vatican et le pape : cela les obligerait à tenir des discours plus raisonnés.

Nous assistons à des changements considérables dans le magistère. Une intervention comme celle du pape François sur les vaccins – immédiatement reprise par tous les médias du monde, complices d’un tweetage planétaire champion de la diffusion de messages pourvu qu’ils soient banals et vides – appartient en réalité au domaine de la Doctrine sociale de l’Église, étant donné que la vaccination est une question sanitaire, sociale et politique. Le tweet de François (et aussi le message vidéo) doit donc être attribué au domaine du Magistère social. Eh bien, c’est précisément le Magistère social qui a toujours dit qu’il n’avait pas de recettes pour les questions sociales individuelles, particulières, complexes, contingentes, celles qui doivent être soigneusement examinées dans tous leurs aspects et toutes leurs nuances et qui ont donc besoin d’écouter l’expertise et l’évaluation morale complexe des situations.

Le texte le plus célèbre sur cette incompétence du Magistère dans des situations individuelles est – à tort ou à raison – le paragraphe 4 de Octogesima adveniens de Paul VI (nous sommes en 1971 et l’on commémore Rerum novarum). Il y est dit :

« Face à des situations aussi diverses, il nous est difficile de prononcer un seul mot et de proposer une solution à valeur universelle. En tout cas, ce n’est ni notre ambition ni notre mission ».

Il appartiendra aux communautés chrétiennes et aux fidèles laïcs dûment formés d’examiner les situations individuelles contingentes, dont beaucoup – comme l’observe plus tard la Note de Ratzinger en 2002 [cf. https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20021124_politica_fr.html] – sont si complexes qu’elles ne permettent pas une indication univoque de comportement.

Or, la situation de la pandémie et du vaccin est précisément l’une de ces situations, face à laquelle le Magistère ne doit pas prononcer des prescriptions superficielles comme le tweet « se faire vacciner est un acte d’amour », mais doit fournir les grandes orientations religieuses et morales (toujours les deux ensemble) et les grands critères de la Doctrine Sociale de l’Eglise et ensuite laisser aux autres le soin de décider si se faire vacciner est vraiment un acte d’amour, étant donné que cela pourrait aussi être exactement le contraire. Le choix de la vaccination concerne des enjeux sanitaires, sociaux, économiques, politiques et religieux qui ne peuvent être enfermés dans un magistère procédant par slogans simplificateurs.

Le changement auquel nous assistons est à la fois intéressant et inquiétant. Le Magistère n’insiste plus sur les grands critères théologiques et moraux, mais intervient dans les petites choses qui, précisément à cause de leur contingence, sont petites et ont besoin d’être éclairées et ensuite connues en détail. Tout le contraire de ce que le Magistère a toujours dit qu’il fallait faire. Il n’est jamais intervenu dans des questions strictement techniques, mais il intervient maintenant précisément et de manière prédominante dans celles-ci : la vaccination, le réchauffement climatique, les énergies alternatives, le recyclage des déchets, le boycott du plastique, le renoncement au charbon d’ici 2050, la positivité du slow food, la santé publique (François, après sa récente opération, a même déclaré qu’il était absolument nécessaire de défendre les soins de santé publics « gratuits » : un jugement technique légitimement contestable qui dépasse la compétence du pape).

Alors que la morale catholique conteste la casuistique et la laisse (même trop!) à la conscience personnelle, le pape intervient sur une question qui, plus que toute autre, devrait être laissée à la conscience personnelle, après avoir éventuellement indiqué les valeurs en jeu. D’un côté, l’avortement et l’euthanasie, le suicide assisté et le gender sont laissés à la conscience personnelle, tandis que de l’autre, les vaccinations sont réglementées magistériellement. Les premiers à se plaindre des tweets pontificaux devraient être les théologiens catholiques progressistes, ceux pour qui il n’y a pas de loi morale qui ne passe par la conscience et selon qui l’Eglise ne doit pas donner des lois mais former les consciences. Mais aujourd’hui, la vaccination est même devenue une loi d’amour.

Ce passage d’un magistère des grandes orientations à un magistère du petit cabotage, ce passage des principes de réflexion aux directives d’action simplistes (même les « directives d’action » des documents sociaux de l’Église n’avaient rien de particulier, mais elles maintenaient une ampleur de vue appréciable), ce passage du « je ne vous dirai pas ce que vous devez faire ici et maintenant, je vous dirai les principes qui doivent vous guider » au « faites ceci : vaccinez-vous ! » devrait en tout cas être expliqué, tant il est désormais évident. Et en fait, il n’est pas seulement à expliquer, il est même à considérer comme évident si l’on considère que la tendance actuelle de l’Église est de voir le monde de l’intérieur du monde lui-même. Ce faisant, elle perd beaucoup de vision et navigue au plus près des faits et des situations, qu’elle ne parvient plus à voir d’en haut. Voir les situations d’en haut reviendrait à s’en abstraire, c’est pourquoi il faut en parler d’en bas, aplati sur la situation elle-même. Même si de cette manière on assume le même critère que ceux qui ont produit produit cette situation, et pas par hasard.

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