Le livre-enquête de Julia Meloni vient d’être traduit en italien (*). Après la recension de Stefano Fontana, voici celle de Marco Tosatti. A le lire, on vraiment envie d’en apprendre plus sur le fameux groupe qui a saboté le pontificat de Benoît XVI tout en préparant sournoisement l’élection de François. Marco Tosatti regrette seulement que l’auteur ne s’intéresse pas davantage à l’entourage proche de Benoît XVI – il cite deux noms -, et espère que ce sera le sujet d’un prochain livre (à ce propos, je me permets une suggestion: pourquoi ne s’en chargerait-il pas lui-même? Il est un journaliste connu et très bien informé des choses du Vatican où il dispose de contacts de haut niveau, auteur de plusieurs ouvrages et donc ayant un accès facile au monde de l’édition).

(*) Je signale que le livre est disponible en anglais (vo), sous le titre « The St.Gallen mafia » et en italien, « La mafia di San Gallo« , sur le site français d’un géant du web pas vraiment en odeur de sainteté dans certains milieux, certainement discutable mais redoutablement efficace et que j’avoue utiliser (de toute façon, j’ai renoncé à refaire le monde): le site propose même d’en feuilleter quelques pages.
Ceci n’est pas de la pub, bien sûr!

Ça ressemble à (et ça se lit comme) un polar, mais tout est vrai

Marco Tosatti
www.stilumcuriae.com/meloni-la-mafia-di-san-gallo-sembra-si-legge-come-un-giallo-ma-e-tutto-vero

Ça se lit comme un roman policier, un thriller passionnant, dans lequel l’auteur, se souvenant de la leçon de ce maître incomparable qu’était Agatha Christie Mallowan, propose, avant d’arriver à l’éclaircissement final du mystère, une analyse précise de tous les personnages.

Nous parlons de « La Mafia di San Gallo. Un groupe réformiste secret au sein de l’Église », par Julia Meloni, récemment publié en Italie par les éditions Fede e Cultura.

Le terme de « mafia » pour ce groupe d’évêques et de cardinaux qui se réunissait au crépuscule du pontificat de saint Jean-Paul II dans la petite ville de Saint-Gall, en Suisse, n’a pas été inventé par un ennemi ; c’est la définition que l’un de ses principaux membres, le très controversé – pour des questions de dissimulation de pédophilie, enregistrée par une victime – cardinal Danneels a donnée dans une interview télévisée, avec beaucoup de sérieux.

Julia Meloni, avec un impressionnant appareil de notes, qui témoigne à lui seul de la profondeur et de la perspicacité avec lesquelles elle a mené son travail, décrit dans un parcours parallèle les thèmes fondamentaux que la mafia considérait comme importants, ainsi que la vie et le développement des personnages. En particulier le cardinal Martini, qui était en quelque sorte l’idéologue du groupe, et puis tous les autres : le cardinal Kasper, le cardinal Silvestrini, le cardinal Murphy O’Connor, et ainsi de suite.

Le thème central, la thèse de l’ouvrage sont clairs dès le départ : démontrer comment ce groupe, hostile à Jean-Paul II d’abord, à Benoît XVI ensuite, a soutenu la candidature au trône pontifical de l’archevêque de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio, ouvertement lors du conclave de 2005, et plus efficacement, mais de manière occulte, puisqu’officiellement le groupe aurait cessé d’opérer (du moins c’est ce qu’on voudrait nous faire croire) vers 2006. Réussissant finalement à le faire élire au trône de Pierre en 2013, et ainsi à obtenir du pontife qu’il poursuive sa stratégie de « renouveau » (ou, selon certains, d’autodestruction) de l’Église catholique. Julia Meloni identifie avec une extrême précision la genèse idéologique et/ou théologique de la plupart des gestes posés par François, les attribuant tantôt à l’un tantôt à l’autre de ses co-inspirateurs, et conspirateurs. En particulier, comme nous l’avons signalé, Martini et Kasper.

Le livre n’est pas long, 172 pages de texte ; mais il offre une fresque dramatique et inquiétante de la période allant de la mort de saint Jean-Paul II à la démission de Benoît XVI. Qui reste, une fois de plus, un grand point d’interrogation. Pour tout le monde, et d’une manière très personnelle, pour l’auteur de ces lignes. En ce sens, l’ouvrage de Meloni offre quelques pistes – le rôle du cardinal Martini, la relation par certains aspects mystérieuse qui le liait à Ratzinger [à voir… cf. La mafia de Saint-Gall, un plan de subversion de l’Eglise], une allusion aux difficultés peut-être plus psychologiques que physiques de Ratzinger/Benoît XVI quand il s’est rendu compte qu’il ne gouvernait plus l’Église. Et à cet égard, nous aurions aimé – mais ce sera peut-être le thème d’un prochain livre? – que l’auteur braque les projecteurs sur certaines des personnes les plus proches de Benoît XVI : en particulier son secrétaire, Mgr Gänswein, et surtout son secrétaire d’État le cardinal Tarcisio Bertone, que Benoît XVI a, hélas, défendu plus d’une fois, même lorsque des personnes qui l’aimaient lui ont conseillé, à juste titre, de s’en débarrasser, et qui l’a remercié au conclave en demandant à ses hommes de faire de la propagande pour Bergoglio. Eh oui, car d’après le livre, on devine que Benoît XVI espérait qu’à sa place, c’est le cardinal Scola qui serait élu pour mener à bien le travail de réforme de la Curie et de l’Église. Si c’était vrai, ce serait un signe de grande naïveté, et de mauvaise intuition de la part du pape émérite [SI c’était vrai, en effet!]; Scola était apprécié, mais surtout redouté par ses confrères.

Mais la grande énigme de la démission donnée pour cause de fatigue et d’âge par un homme qui – Dieu merci – neuf ans plus tard est toujours parmi nous, et avec une tête d’une lucidité enviable, reste non résolue.

Cela dit, nous ne pouvons que recommander la lecture d’un livre qui restera certainement un point de référence pour ceux qui voudront étudier dans le futur l’histoire de ces années troublées.

Share This