La chronique hebdomadaire d’Andrea Gagliarducci. En plus de la centralisation du pouvoir dans ses mains – au mépris de la synodalité tellement brandie mais qui n’est qu’un simulacre destiné à cacher que les décisions sont déjà prises – ces dix ans de pontificat sont essentiellement marqués par des gestes, un style paupériste de rupture avec le passé: « François a travaillé à changer l’image, sans considérer qu’un changement d’apparence, lorsqu’il s’agit d’histoire, de symboles et de doctrine, devient aussi un changement de substance ».

Le pape François, dix ans après

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-ten-years-later

Il y a dix ans, le pape François sortait pour la première fois, revêtu de son habit de pape, de la Loge des Bénédictions du Palais apostolique du Vatican. Il avait refusé la mozzetta rouge, avait demandé au peuple de le bénir et avait immédiatement commencé à construire son pontificat, qui était en réalité une œuvre de rupture visible avec le passé.

Le pape François n’a pas changé le fond des choses. Mais il a travaillé à changer l’image, sans considérer qu’un changement d’apparence, lorsqu’il s’agit d’histoire, de symboles et de doctrine, devient aussi un changement de substance – ou peut-être, le sachant au point de vouloir faire une rupture nette avec le passé.

Ainsi, après avoir refusé la mozzetta rouge probablement parce qu’elle était considérée comme un héritage du passé, le pape François a commencé un travail de présence constante :

  • La visite à Sainte-Marie Majeure.
  • L’occasion pour un photographe de le suivre jusqu’à la résidence où il s’était rendu avant le conclave pour se montrer en train de payer sa note.
  • La messe dans la paroisse Sainte Anne [la paroisse de l’Etat de la Cité du Vatican] pour son premier dimanche en tant que pape (une circonstance qui, en fait, ne s’est pas répétée au cours du pontificat).

Et puis, le choix de la croix d’argent, le désir de ne plus vivre dans le palais apostolique du Vatican, et un style paupériste qui voulait rompre avec le passé.

Dans ces choix, beaucoup de symboles et d’histoires ont été mis de côté, mais sans autre raison que la volonté de regarder vers l’avant, de ne pas rester prisonniers du passé. Le pape François s’est présenté aux Congrégations générales du 9 mars avec un texte entièrement centré sur le besoin missionnaire de l’Église, dont il a ensuite autorisé la publication. Dès le début, il a dit suivre le mandat de gouvernement des cardinaux, à commencer par la réforme de la Curie.

Rétrospectivement, les premiers jours mouvementés de ce pontificat, pleins de nouveautés, laissaient déjà entrevoir ce que serait le pape François. Le risque initial était de lire trop dans des choix qui relevaient plus du simple sentiment personnel du Pape que d’une véritable volonté de rupture. Le danger aujourd’hui est au contraire de ne pas regarder les signes de discontinuité voulus par le Pape François et comment ces signes de discontinuité peuvent impacter le prochain pontificat.

Il y a d’abord des signes de discontinuité formelle. Le renoncement à la mozzetta rouge est le premier d’une série de gestes du langage cérémoniel du Vatican progressivement abandonnés par le pape François.

Ces gestes semblent anodins, mais ils ne le sont pas. Le cérémonial dit qui est l’Église et ce qu’elle est. Si, par exemple, on renonce à la mozzetta, on sacrifie aussi ce symbolisme que l’Église avait pris à l’empire mais qu’elle avait ensuite réinterprété pour faire du pape un serviteur des serviteurs de Dieu. Le pape prend les insignes du royaume, mais l’empire du Christ est au service de l’homme. Et s’il n’y a pas d’insignes, quelle sera l’autorité à la place ? Et comment la définir ?

Le pape François a également modifié le cérémonial des visites de chefs d’État divorcés et remariés, permettant aux conjoints d’être présents dès le début de l’échange de cadeaux et non plus seulement au moment de la photo – un choix adapté à l’époque, mais qui perd le sens de la catéchèse et de l’évangélisation.

Ensuite, il y a les discontinuités gouvernementales. Le pape François aime paraître synodal, mais il prend toutes les décisions lui-même. Il y a des consultations formelles et informelles, mais ces dernières comptent de plus en plus pour le pape François. Par exemple, le pape a voulu mettre en place un Conseil des cardinaux récemment renouvelé, qui était censé l’aider à réformer la Curie. En réalité, la plupart des modifications de la Curie, qui ont ensuite été intégrées dans la nouvelle constitution, sont intervenues avant les décisions du Conseil et parfois même avant leurs réunions.

D’un autre côté, le pape François a promu l’idée d’une Église en état de synode permanent. Mais les deux synodes sur la famille de 2014 et 2015 se sont conclus par Amoris Laetitia, une exhortation apostolique qui a ouvert le débat plutôt que de le clore.

Par ailleurs, le synode extraordinaire pour la région panamazonienne de 2019 s’est terminé par Ecclesia in Amazonia, une exhortation post-synodale qui, dans la pratique, demandait la poursuite des discussions, alors qu’au niveau local, la pression était exercée pour des innovations substantielles, également sur le thème du sacerdoce.

Si toutes les discussions restent ouvertes, il n’y a pas d’autre autorité que l’autorité centrale pour prendre des décisions sans contestation. Le pape ouvre tous les processus, mais c’est toujours lui qui décide, parfois même de manière brutale. Ainsi, la synodalité perçue ne peut être comparée à la situation réelle. Il y a un débat ouvert, et il y a un décideur qui va au-delà de la discussion.

Ensuite, il y a les discontinuités de la communication. Le pape François fait sa communication seul et décide à qui donner les interviews. Il n’y a pas de filtre, mais cela ne veut pas dire que tout n’est pas filtré. Le fait est que le pape François parle souvent et que tout le monde est obligé de suivre. Sinon, ils seront forcément considérés comme des opposants. Une nouvelle polarisation a été créée, différente des précédentes. C’est une polarisation qui divise ceux qui sont perçus comme pro-pape et ceux qui sont perçus comme contre le pape.

En dix ans, la doctrine n’a peut-être pas changé, mais l’approche de la doctrine a changé, et il se dit que cela n’aura pas de conséquences positives. Il y a un nouveau pragmatisme, qui n’est pas lié à des principes universels et qui apparaît simplement comme une lecture de la réalité.

Quelle Église le pape François transmettra-t-il à son successeur ? Une Église aujourd’hui divisée dans les débats et qui semble déconnectée de la réalité des gens. Une Église qui a besoin d’évangéliser mais qui est confrontée au problème d’avoir abandonné la tâche d’évangéliser et d’être devenue trop attentive à l’opinion publique. Une Église que le pape appelle à évangéliser, mais qui semble avoir du mal à trouver de nouveaux vocabulaires.

Au fond, bon nombre des débats de ces dix dernières années sont des débats qui avaient déjà été dépassés principalement après les années 1970.
C’est comme si, en regardant vers l’avant, l’Église avait reculé, mettant de fait de côté près de quarante ans d’histoire. Et le pape François, par ses choix, montre dans certains cas qu’il veut remédier à ce qu’il considère comme les dommages causés au cours de ces quarante années. Il le fait aussi par des gestes symboliques, comme la création de ce qu’on appelle les « cardinaux de remédiation« , qui n’ont pas le droit de vote mais montrent la préférence du pape pour une interprétation de certaines situations.

Car le pape François, finalement, connaît la force des symboles. Simplement, la symbolique du pape François est différente, plus laïque, plus pragmatique, plus latino-américaine, et cette interprétation n’a pas encore fait son chemin dans l’opinion publique. Pourtant, elle semble cruciale pour comprendre ce pontificat.

Mots Clés :
Share This