Après des considérations sémantiques, pour bien distinguer le concept neutre de « synode » du néologisme « synodalité », porteur en soi d’une idéologie typiquement bergoglienne – la primauté de la praxis sur la doctrine -, Roberto de Mattei fait un rappel historique et remonte aux racines d’un mouvement ancien, repris dans les années post-conciliaires par l’aile la plus progressiste de l’Eglise (Congar, Rahner) jusqu’au « Chemin synodal » allemand, et qui va connaître son point d’orgue avec le « synode sur la synodalité » d’octobre prochain.

Dans les milieux progressistes, le modèle de l’Église en tant que « monarchie absolue » semblait entrer en conflit avec le processus de « modernisation » de la société. La collégialité, ou synodalité, exprime les exigences « démocratiques » de la société moderne.

L’ « Église synodale » du pape François n’est peut-être pas la même que celle souhaitée par les évêques allemands, mais il est certain qu’elle en épouse les exigences et que son modèle est à des années-lumière de l’Église traditionnelle.

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De plus, la « dimension synodale de l’Église » est une utopie évidente et, comme toutes les utopies, elle a un effet destructeur dévastateur, mais elle est totalement dépourvue de capacité constructive.


Roberto de Mattei

Après dix ans de pontificat, l’aboutissement du règne du pape François semble être le synode des évêques d’octobre 2023 sur le thème « Pour une Église synodale : communion, participation et mission ».

Pour comprendre le désordre sémantique d’un synode sur la synodalité, il faut d’abord distinguer les deux termes. Le synode est un événement historique délimité, la synodalité est un « chemin », un « processus » qui, dans l’horizon idéologique du pape François, correspond à la primauté de la praxis sur la doctrine.

Le terme synode, qui dérive du grec σύνοδος, analogue au latin concilium, signifie en effet « assemblée » ou « réunion » et fait partie de la Tradition de l’Église, tandis que le mot « synodalité » est un néologisme indéfini, qui tolère différentes interprétations et lectures.

À l’origine du terme synodalité se trouve le terme « collégialité », introduit dans le langage théologique par le père Yves-Marie Congar, comme un équivalent de l’idée de ‘sobornost‘, inventée par les théologiens orthodoxes russes au dix-neuvième siècle. Sobor signifie en slave assemblée ou conseil. Sobornost exprime la réalité d’une Eglise universelle fondée sur des synodes, ou conciles, présidés non par une autorité commune, mais par l’Esprit Saint. Congar a fait du concept de sobornost la pierre angulaire d’une réforme de l’Église qui avait pour adversaire direct la primauté romaine, défendue par l’école théologique « ultramontaine ».

Dans les années qui ont suivi le Concile Vatican II, le dogme de la primauté romaine a été la principale pierre d’achoppement du dialogue œcuménique et, pour favoriser ce dialogue, la dimension « collégiale » du gouvernement de l’Église a dû être mise en évidence. Cela a permis une convergence avec la pratique synodale des Églises orthodoxes et protestantes.

En outre, au sein de la théologie progressiste, les tendances du conciliarisme du 15e siècle, du fébronianisme du 18e siècle et de l’anti-infaillibilisme du 19e siècle, qui avaient cherché à limiter l’autorité et l’influence de la papauté à différentes époques et de différentes manières, ont refait surface.

Enfin, il y a une raison plus politique. Dans les milieux progressistes, le modèle de l’Église en tant que « monarchie absolue » semblait entrer en conflit avec le processus de « modernisation » de la société. La collégialité, ou synodalité, exprime les exigences « démocratiques » de la société moderne.

Le mot d’ordre était de libérer l’Église de l’enveloppe juridique qui l’étouffait et de la transformer d’une structure descendante en une structure démocratique et égalitaire. « Pendant mille ans, nous avons tout vu et tout construit du point de vue de la papauté et non de celui de l’épiscopat et de sa collégialité. Il faut maintenant faire cette histoire, cette théologie, ce droit canonique », écrivait le 25 septembre 1964 Congar, qui considérait sa lutte contre la « misérable ecclésiologie ultramontaine » comme une « mission ».

En 1972, le jésuite allemand Karl Rahner a consacré un essai explosif à la transformation structurelle de l’Église comme devoir et comme chance, affirmant que l’Église de l’avenir devait être « décléricalisée », « ouverte », « œcuménique et pluraliste », « démocratisée dans sa gouvernance » et « critique à l’égard de la société ». Le théologien dominicain Jean-Marie Tillard, disciple de Congar, qui oppose la synodalité des Églises locales au pouvoir descendant de l’Église centrale, s’est inscrit dans cette ligne.

La catégorie de « synodalité » n’est donc pas née avec le pape François, mais avec lui elle est devenue un paradigme officiel, correspondant au concept d’une « Église sortante », « aux portes ouvertes » (Encyclique Evangelii gaudium du 24 novembre 2013, n° 46). À l’image de l’ « église pyramidale », François a substitué celle de l’ « église polyédrique ».

« Le polyèdre, dit-il, est une unité, mais avec toutes les parties différentes ; chacune a sa particularité, son charisme. C’est l’unité dans la diversité. C’est sur ce chemin que nous, chrétiens, faisons ce que nous appelons du nom théologique d’œcuménisme : nous essayons de faire en sorte que cette diversité soit davantage harmonisée par l’Esprit Saint et devienne unité »

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(Discours aux pentecôtistes de Caserte, 28 juillet 2014).

Dès 2015, à l’occasion du 50e anniversaire de l’institution du Synode des évêques, le pape François a affirmé que « le chemin de la synodalité » est « la dimension constitutive de l’Église » (discours du 17 octobre 2015), sans toutefois préciser en quoi consiste cette dimension.

Mais la voie était ouverte et elle a été empruntée par la Conférence épiscopale allemande qui, le 1er décembre 2019, dans une Lettre aux fidèles signée par le cardinal Reinhard Marx et le président du Comité central des catholiques allemands (ZDK), Thomas Sternberg, a annoncé qu’elle s’était réunie pour prendre la tête d’un « chemin synodal » visant à étendre à l’Église universelle les décisions « contraignantes » de son « synode permanent ».

Une étude récente de Diego Benedetto Panetta montre bien que derrière la « voie synodale allemande » se cache un projet de réforme de l’Église universelle visant à « démocratiser » l’Église et à redéfinir la papauté (Il cammino sinodale tedesco e il progetto di una nuova chiesa, « Tradizione Famiglia Proprietà », Rome 2020). La dernière étape de ce processus a eu lieu le 11 mars à Francfort, avec la demande, accueillie par des applaudissements nourris, d’étendre à l’Église universelle l’abolition du célibat, le diaconat sacramentel pour les femmes, la communion pour les divorcés et la bénédiction des couples homosexuels.

L’ « Église synodale » du pape François n’est peut-être pas la même que celle souhaitée par les évêques allemands, mais il est certain qu’elle en épouse les exigences et que son modèle est à des années-lumière de l’Église traditionnelle. De plus, la « dimension synodale de l’Église » est une utopie évidente et, comme toutes les utopies, elle a un effet destructeur dévastateur, mais elle est totalement dépourvue de capacité constructive. La réalisation de ce rêve déformé exige l’exercice d’un pouvoir autoritaire et tyrannique.

L’Église synodale est ainsi une Église égalitaire et acéphale, qui se traduit dans la réalité par la dictature de la synodalité. Cependant, il serait catastrophique de combattre les abus de pouvoir auxquels nous sommes confrontés en niant ou en limitant le principe d’autorité. Cela, les catholiques libéraux, gallicans ou modernistes peuvent le faire en restant cohérents, mais certainement pas ceux qui se réfèrent à la Tradition de l’Église.

La doctrine catholique affirme que le pouvoir de juridiction appartient, iure divino, au pape et aux évêques. La plénitude du pouvoir de juridiction ne réside toutefois que dans le pape, sur lequel repose tout l’édifice ecclésiastique. Le Pontife romain est l’autorité souveraine de toute l’Église et, en vertu de sa primauté de gouvernement universel, il en demeure le législateur suprême. Cette doctrine, déjà exposée au Concile de Florence en 1439 et dans la Professio Fidei tridentine, a été solennellement définie au Concile Vatican I, avec la constitution dogmatique Pastor Aeternus (18 juillet 1870), qui a réaffirmé la primauté non seulement d’honneur, mais de juridiction véritable et propre du Pontife romain sur l’Église universelle, ainsi que son infaillibilité sous certaines conditions.

C’est sur ces dogmes, providentiellement promulgués par le bienheureux Pie IX, que les catholiques fidèles doivent s’appuyer pour lutter contre le synodalisme. Car c’est seulement cela, et rien d’autre, qui permettra à l’Église, toujours vivante et indéfectible, de renaître dans toute sa splendeur et sa puissance.

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