Un peu de clarté dans l’épisode connu désormais sous le nom d’ « affaire frociaggini« , en référence aux propos obscènes tenus en public par le Pape: une affaire qui illustre d’une part l’abysse où a sombré la papauté depuis 11 ans (*) et de l’autre l’influence insensée , dans le monde et dans l’Eglise, d’un certain lobby qui se croit tout permis – une influence que François n’a nullement l’intention d’inverser, bien au contraire.

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(*) Impossible de ne pas se rappeler d’une autre circonstance, pas si ancienne, où un pape a dû faire des excuses pour des propos tenus en public. A l’époque, les journalistes s’étaient joints à la curée en bloc compact, chacun y allait de son couplet pour faire « taire le Pape », ou au moins le mettre sous contrôle.
Il faut dire que le Pape, c’était Benoît XVI, et les circonstances, la célèbre lectio magistralis tenue à Ratisbonne en 2006 par un intellectuel de premier plan, qui s’est révélée par la suite, et aujourd’hui plus que jamais, incroyablement prophétique.
En 18 ans, on est passé de la puissante réflexion sur le thème « Foi, raison et université » aux frociaggini dans les séminaires (sans oublier les cazzate de l’ineffable Tucho, digne émule de son mentor).
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Autres temps, autres moeurs…

Ce qui reste, c’est le goût peut-être inattendu, mais pas moins amer, d’un homme assis sur le siège de Pierre qui, dans certaines situations, utilise des mots indignes de sa fonction. Jusqu’à présent, on savait qu’il y avait eu des accès de colère et des injures, sans connaître le choix exact des mots, car les personnes concernées avaient la décence et la pudeur de garder la discrétion.

Giuseppe Nardi

A propos de « pédés » et autres « frociaggini ».
LE CHOIX DES MOTS DU PAPE FRANÇOIS

Le 20 mai, le pape François a rencontré les évêques italiens. A-t-il à cette occasion prononcé LE mot – ou pas ?

Giuseppe Nardi

Ce que le pape François a dit officiellement n’est pas nouveau. Cela fait partie des dispositions logiques de l’Eglise. François lui-même l’avait déjà répété précédemment. Le fait que cela semble paradoxal est lié à un autre aspect du pontificat actuel, qui le caractérise. Mais maintenant, une discussion s’est engagée sur un mot prétendument utilisé par François, pour lequel il s’est excusé sans même confirmer l’avoir dit. Voici une tentative de reconstitution des événements.

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Le 20 mai, François a rencontré les évêques italiens au Vatican. L’échange de vues s’est déroulé à huis clos. Mais comme d’habitude, quelques indiscrétions ont filtré et ont été transmises au public par des « connaissances habituelles » choisies parmi les médias. Dans ce cas précis, il s’agissait de La Croix, le quotidien des évêques français, et de La Repubblica, le quotidien de la gauche italienne, dont on sait qu’il est aussi le lecteur préféré de François.

En tant qu’évêque de Rome, le pape est également primat d’Italie et automatiquement président de la Conférence épiscopale italienne. Afin de ne pas trop s’impliquer dans les affaires d’un seul pays, il nomme un évêque italien comme son représentant pour la présidence effective. Cependant, avant l’assemblée plénière de printemps, le pape rencontre chaque année tous les évêques pour discuter de questions d’actualité. C’est ce qui s’est passé cette année. La rencontre des évêques avec François a eu lieu le 20 mai et le même jour s’est ouverte l’assemblée plénière de printemps qui s’est réunie comme d’habitude au Vatican jusqu’au 23 mai.

Lors de cette rencontre, un évêque a demandé à François ce qu’il fallait faire si un homme « ouvertement homosexuel » demandait à être admis dans un séminaire. La question est surprenante, car les dispositions ecclésiastiques correspondantes sont très claires à ce sujet, c’est l’instruction de 2005 qui s’applique. François lui-même les avait confirmées en 2016. L’homosexualité est cependant devenue un thème de combat culturel omniprésent, avec lequel la gauche woke veut impitoyablement contraindre l’humanité. Le mois de l’homosexualité en juin, qui recouvre le mois catholique du Cœur de Jésus, nous salue.

Depuis son élection, François a signalé vouloir imposer une ouverture aux homosexuels. Il n’a formellement rien changé à la doctrine morale de l’église, mais la cache au public en ne l’enseignant pas, et envoie à la place d’innombrables signaux homophiles. En particulier, il s’est entouré d’un certain nombre d’hommes d’église dont la réputation d’homosexualité les précédait ou les rattrapait rapidement après leur nomination.

Officiellement, on dit avec insistance que François mène depuis le début de son pontificat une lutte contre « toute discrimination injuste envers les homosexuels ». Cela semble en substance une bonne chose, mais où se situe la limite de la « discrimination » ? La gauche woke s’est donné pour mission de lutter contre la « discrimination » et, dans un élan corrosif, elle déplace constamment et arbitrairement la barre.

François s’est prononcé en faveur de normes juridiques en faveur des couples homosexuels, leur a permis de communier en douce avec Amoris laetitia, leur a permis de baptiser « leurs » enfants sans parler de leur propre état, leur a permis d’être parrains et témoins de mariage et leur a même donné la bénédiction ecclésiastique avec Fiducia supplicans. Quoi qu’il en soit, chaque évêque est désormais libre d’agir comme il l’entend.

La question de l’évêque s’inscrit dans un contexte où l’épiscopat italien a élaboré l’automne dernier de nouvelles règles pour l’admission des séminaristes, actuellement examinées par le Vatican. L’approbation n’a pas encore été donnée.

La demande répétée de clarification d’une question est souvent le signe qu’un changement de position est souhaité ou que la clarté n’est pas aussi grande que prévu. François lui-même a contribué activement à l’incertitude sur la question homosexuelle. A-t-il obtenu des résultats avec ses ouvertures ? La pression culturelle sur l’Eglise s’est-elle atténuée sur la question de l’homosexualité ? Rien de tout cela ne peut être constaté. Elle est plus massive que jamais et aujourd’hui virulente, même de l’intérieur de l’église, attisée par le possibilisme papal.

Quoi qu’il en soit, François a répondu à l’évêque italien d’une manière différente de ce à quoi certains s’attendaient en raison de son agenda homophile. François aurait répondu qu’il était préférable de ne pas consacrer quelqu’un « avec cette tendance ». D’après sa propre expérience, François a expliqué qu’il pouvait dire qu’il valait mieux risquer de « perdre une vocation » à cause de ce critère de sélection plutôt que d’attraper les « problèmes » causés par de telles situations. La crainte, selon François, est que de tels candidats finissent, d’abord en tant que séminaristes, mais ensuite aussi en tant que prêtres, par mener une double vie, en continuant à vivre leur homosexualité en secret tout en souffrant de la dissimulation. La conclusion évidente est que cela a un effet doublement négatif.

La motivation exacte de François est contestée. Des sources proches de Sainte Marthe disent qu’il veut éviter un conditionnement. Personne ne devrait devenir prêtre pour échapper à sa propre situation sexuelle. Est-ce que François agit en tant qu’ami des homosexuels ? Ou est-ce plutôt un dilemme ?

Le dilemme dans le positionnement de l’église est que la clarté en matière d’homosexualité n’est pas aussi claire qu’il n’y paraît. Elle est claire en théorie, mais dans la pratique, il semble qu’il y ait aussi, dans le haut comme dans le bas clergé, d’importants biais mentaux qui privent l’enseignement de son impact dans une mesure non négligeable.

Le cœur de la question globale repose en effet sur la prémisse de savoir si l’homosexualité est un état « naturel » auquel les personnes concernées ne peuvent rien, n’ ont rien contribué et ne peuvent se libérer, ou s’il s’agit d’un trouble de l’identité sexuelle qui n’est apparu au cours de la vie que sous l’effet de circonstances défavorables internes (déficits caractériels comme le narcissisme) ou externes (par ex. l’absence d’un parent qui empêche une image positive de soi dans son propre sexe ; un parent du sexe opposé trop dominant ; un abus sexuel ou une séduction à une période délicate du développement) et peut tout à fait être corrigée.

La grande tentation, y compris dans la hiérarchie ecclésiastique, est de considérer la question comme une donnée naturelle et d’éviter ainsi toute responsabilité et toute discussion. Car ce qui ne peut pas être changé doit être accepté. Toute discussion de fond est ainsi balayée, pour la gauche woke et le lobby homosexuel, parce que l’acceptation est de toute façon l’objectif idéologique déclaré, pour les conservateurs et aussi pour certains hiérarques de l’église, parce que cela les dispense, par paresse intellectuelle et aussi par lâcheté, de se confronter à un tel débat.

François a en tout cas demandé aux évêques italiens d’« accompagner » le mieux possible les jeunes hommes refusés. De plus, François a fait une déclaration cryptique en disant qu’il avait remarqué en Italie « une atmosphère trop étrange dans les séminaires ». Mais que voulait dire le pape par là ? Il est bien connu qu’en plus de onze ans de pontificat, il n’a jamais visité son propre séminaire à Rome, et encore moins un autre séminaire diocésain. Qu’est-ce que François veut donc « percevoir » exactement ?

Quoi qu’il en soit, François a répété aux évêques italiens la demande de ses prédécesseurs, qu’il avait lui-même déjà exprimée, de ne pas ordonner de prêtres homosexuels et de ne pas accepter d’homosexuels dans les séminaires.

Cela s’est fait à huis clos, ce qui est compréhensible quand on sait comment la gauche politique fait la chasse à ceux qui s’opposent à l’agenda homo, mais aussi que François a une forte tendance à semer des amabilités chez ses interlocuteurs publics respectifs.

Derrière les portes closes, le pape s’est présenté aux évêques en tant que supérieur et a utilisé, et ce n’est pas la première fois, un ton plutôt familier. Jorge Mario Bergoglio a puisé très loin dans le vocabulaire qui devrait être tabou pour un pape. Nous reconstruisons : François a reproché aux évêques italiens qu’il y avait « trop d’histoires de pédés » dans certains séminaires. Dans la foulée, le quotidien bourgeois espagnol ABC s’est efforcé de relativiser :

« Bien sûr, le pape, qui n’a pas la langue de Dante comme langue maternelle, ne savait pas que le mot italien “frociaggine” était hautement offensant. Dans sa famille, il ne parlait que le dialecte piémontais, pas l’italien ».

A Rome, on dit par contre que François savait exactement ce qu’il disait et qu’il s’exprimait apparemment de manière délibérément péjorative pour donner du poids à ses paroles. Le mot en question pourrait être traduit par « tapage » ou « tapage de pédés ». En tout cas, François a été parfaitement compris par son auditoire.

François a-t-il parlé de « pédés » ou non ? Oui, il a dû le faire. Mais François est bon dans la dissimulation et l’évitement, mais beaucoup moins dans l’aveu d’erreurs quand cela ne lui convient pas. Et oui, un pape doit faire attention au choix de ses mots pour ne pas offenser inutilement quelqu’un ou nuire à une cause, et surtout pour protéger la réputation de son ministère. L’affaire des homosexuels est déjà assez compliquée comme ça.

Le porte-parole du Vatican, Matteo Bruni, s’est pourtant débattu aujourd’hui pour donner une réponse claire, bien que ce soit la meilleure et la plus rapide solution à cette affaire. Bruni s’est adressé aux journalistes :

« Le pape François est conscient des articles récemment publiés sur une conversation à huis clos avec les évêques de la Conférence épiscopale italienne. Comme il l’a dit à de nombreuses occasions : ‘Dans l’église, il y a de la place pour tout le monde, pour tous ! Personne n’est superflu, personne n’est superflu, il y a de la place pour tout le monde. Comme nous sommes, tous’.
Le pape n’a jamais eu l’intention de tenir des propos homophobes ou d’offenser, et il s’excuse auprès de ceux qui se sont sentis offensés par l’utilisation d’un terme auquel d’autres ont fait référence ».

Cette formulation semble assez malheureuse car dans son rapport, le vaticaniste de La Croix, Loup Besmond de Senneville, a attribué au pape la phrase adressée aux évêques : « Ne parlez pas de cela aux journalistes ». Certains évêques ont apparemment compris cela comme une invitation à faire le contraire.

Ce qui reste, c’est le goût peut-être inattendu, mais pas moins amer, d’un homme assis sur le siège de Pierre qui, dans certaines situations, utilise des mots indignes de sa fonction. Jusqu’à présent, on savait qu’il y avait eu des accès de colère et des injures, sans connaître le choix exact des mots, car les personnes concernées avaient la décence et la pudeur de garder la discrétion.

Le porte-parole du Vatican Bruni n’a rien démenti, confirmant ainsi en quelque sorte. C’est ainsi que des indiscrétions médiatiques sans indication de source et des « excuses » du pape sont dans l’air, bien que rien n’ait été ni démenti ni confirmé et qu’officiellement personne ne sait ou ne peut dire ce que François a réellement dit.

Le sujet douloureux de l’homosexualité n’a pas besoin de plus d’huile sur le feu à cause d’un choix de mots inapproprié de la part du pape, mais d’un chef d’église qui se donne la peine d’expliquer au clergé, aux fidèles et au monde l’ordre divin de la création, la nature de l’homme, ses deux sexes et leur signification, et de faire comprendre à partir de là pourquoi l’homosexualité n’est ni naturelle ni voulue par Dieu.

Mais François n’a pas pu s’y résoudre jusqu’à la douzième année de son pontificat.

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