Pour le docteur Paolo Gulisano, ce qui s’est passé le 20 mai au Vatican, lors d’une rencontre entre François et « ses » évêques (comme évêque de Rome, il est aussi primat d’Italie) est grave: le vicaire du Christ a utilisé un langage de corps de garde, et le pire, c’est que presque tout le monde, à droite, a minimisé, sinon applaudi. Comme si Jorje Bergoglio était une sorte de Trump en soutane blanche, qui ose enfin « abattre le mur du politiquement correct » dans l’Eglise.

En réalité, ce n’était pas une gaffe, ou un dérapage, mais une étape dans un long parcours. L’infiltration de l’Eglise par le mouvement homosexualiste n’est pas une nouveauté du pontificat bergoglien (même si ce pape lui a donné une légitimité), l’ « ancêtre » du père Martin, lui aussi jésuite, s’appelait John McNeill, il a connu son heure de gloire dans les années 80, le pontificat de Jean-Paul II puis de Benoît XVI lui a coupé les ailes, mais le ver était dans le fruit.

Mc Neil (second à partir de la droite) défilant à la gay pride dans les années 80, NYT

Église et homosexualité / Cette vieille histoire (instructive) du jésuite gay

Et pendant ce temps, le Vatichaos se propage.

Paolo Gulisano

Il ne fait aucun doute que le pontificat de Jorge Mario Bergoglio a été marqué par des actes qui ont fait grand bruit, mais ce qui s’est passé ces derniers jours est quelque chose d’unique, de sans précédent dans l’histoire de l’Église, et ne peut être considéré comme conclu par un communiqué embarrassé de la salle de presse du Vatican, ni même par les plaisanteries qui font rage sur les médias sociaux.

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Ce qui s’est passé, c’est qu’un pape, qui selon la doctrine catholique est le vicaire du Christ, pour aborder un problème avec les évêques italiens, dont il est le primat, a utilisé des termes qui appartiennent au turpiloquio [langage ordurier]: frociaggine, checche [=queer, ndt].

Autrement dit des termes de salles de garde, et d’ailleurs un candidat aux élections européennes, le général Vannacci, a défendu le pape en affirmant qu’il avait utilisé des « mots d’usage courant ». À la maison, peut-être, ou parmi ses soldats. Probablement que le parachutiste prêté à la politique n’a pas la moindre idée de ce que signifie être un prêtre, un évêque, et en particulier l’évêque de Rome, qui est, comme on l’a dit, le vicaire du Christ sur terre et ne peut pas parler comme un sergent instructeur ou un protagoniste de mauvais films des années 1970. Mais le problème, c’est que si la sainteté et le caractère sacré des ordres sacrés ne sont plus reconnus, la faute en revient aussi et surtout à ceux qui, dans l’Église, ont tout fait pour démolir cette dimension spirituelle.

Tout cela n’a même pas été compris par les catholiques dits conservateurs qui, ces derniers jours, ont manifesté leur enthousiasme pour le discours intempestif de Bergoglio : ceux qui ont exulté en appelant à ovationner le pape, ceux qui ont dit qu’« il fallait le pape pour abattre le mur du politiquement correct », et ainsi de suite. Pour ces derniers, il n’y a aucune objection à la terminologie utilisée par le Saint-Père, bien au contraire. Et qu’en est-il des aspects critiques précédents de son magistère ? Pachamama, « qui suis-je pour juger » et ainsi de suite ? Tout est oublié. Ce romanisme [du patois romain] grossier a suffi pour qu’il se sente « uno de noantri »[un des nôtres].

Tout cela est très révélateur de la confusion qui règne même dans le camp conservateur. Essayons d’imaginer : et si Pie XII ou Benoît XVI avaient utilisé cette terminologie ? Impensable.

Que les enthousiastes essaient de réfléchir : François, en posant la question en ces termes de trivialitas, a-t-il apporté une contribution à la résolution du problème séculaire de l’homosexualité dans le clergé ? Loin de là. Une fois de plus, comme on dit à Rome, il a jeté l’éponge. De manière probablement consciente, car il ne s’agissait pas d’une gaffe, et de ce point de vue les justifications données par la salle de presse semblent une rustine par rapport aux dégâts précédents.

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Ce chaos, ou plutôt ce Vatichaos, alimenté par les ragots et les interventions des « initiés » théologiques, laisse l’Église dans une situation de souffrance et de malaise.

Un pape qui prononce des obscénités et qui manque ouvertement de respect aux gens, est un spectacle vraiment triste et inquiétant.

Le seul concept correct exprimé par le communiqué du Vatican est que le Saint-Père n’est pas homophobe. Bien sûr qu’il ne l’est pas : en fait, il est clérophobe, et ce depuis très longtemps. À tel point qu’il n’a pas porté de jugement de valeur sur l’homosexualité en général, mais sur celle du clergé. Et peut-être sur un certain type de clergé. Pour Bergoglio, le traditionalisme, c’est deux choses : la rigidité doctrinale et l’esthétisme formel. Il pense probablement que les jeunes séminaristes qui sont fascinés par l’ancienne liturgie (« dentelle et colifichets ») et qui portent la soutane traditionnelle sont plus proches du stéréotype du prêtre gay. Il préfère le prêtre macho du barrio, descamisado, qui ne se met pas à genoux ou les mains jointes. C’est pourquoi il préfère les séminaires vides, ou les séminaires qui n’ont que des vocations « sociales », aux séminaristes « queer » qui pourraient se tourner non pas tant vers le même sexe, mais vers le vetus ordo.

Mais pendant ce temps, les prêtres homosexuels de longue date ne sont pas touchés, ne sont pas remis en question, et continuent leur vie et leur carrière sans être dérangés, en attendant des temps encore meilleurs que les temps actuels, ce qui pourrait arriver rapidement. En fait, Bergoglio, même dans cette affaire, a procédé selon la méthodologie hégélienne de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse. La thèse est celle, rustre et vulgaire, de la pédérastie. L’antithèse est l’habituel « il y a de la place pour todos, todos ». La synthèse est celle déjà anticipée par son bras droit Fernández dans Fiducia supplicans.

Ici, sur Duc in altum, nous avions déjà avancé l’hypothèse que ce document avait pour principaux bénéficiaires des religieux et religieuses homosexuels. La querelle actuelle semble confirmer cette hypothèse, car il ne s’agit ni d’une gaffe ni d’un dérapage de style, mais d’une étape importante dans un long parcours qui a commencé il y a longtemps.

Il faudrait creuser l’histoire des relations entre l’Église et la culture homosexualiste, en commençant au moins par la figure du père John McNeill [1925-2015], un jésuite américain ouvertement gay qui fut le véritable pionnier de l’homosexualisme catholique.

Il faut analyser avec soin la pensée de McNeill pour comprendre comment on en est arrivé à Fiducia supplicans. Décrivons-la brièvement.

Né dans l’État de New York et déjà soldat pendant la Seconde Guerre mondiale, McNeill se décharge de ses obligations et entre dans la Compagnie de Jésus, bien qu’il soit conscient de son homosexualité. De toute évidence, en tant que bon soldat d’origine irlandaise, il ne donnait pas l’image du pieux « pédé » cible de Bergoglio. Il est ordonné prêtre par le cardinal Spellman, archevêque de New York et ancien ordinaire militaire des États-Unis, grand adversaire du saint évêque Fulton Sheen au sein de l’épiscopat américain.

McNeill s’est ensuite spécialisé en théologie à Louvain, puis est également devenu psychothérapeute. Après le Concile Vatican II, il a dit et écrit qu’il voulait répandre « la bonne nouvelle » parmi les catholiques gays et lesbiennes. En 1976, il a publié avec l’approbation du Vatican son ouvrage phare, The Church and the Homosexual , la première tentative d’un universitaire et théologien de renom d’examiner et de remettre en question les enseignements traditionnels de l’Église sur la sexualité et les attitudes à l’égard des catholiques gays et lesbiennes.

Lorsqu’arriva le pape Jean-Paul II, McNeill a commencé à être sérieusement entravé dans sa « mission ». Le Saint-Siège a révoqué son approbation du livre et le nouveau chef de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Joseph Ratzinger, a ordonné au jésuite new-yorkais de se retrancher dans le silence. Officiellement, le jésuite s’y est conformé, mais il a poursuivi son ministère privé auprès des gays et des lesbiennes de confession catholique. Son travail comprenait des psychothérapies, des ateliers, des conférences et des retraites. « J’avais accepté d’observer ce silence dans l’espoir qu’avec le temps, l’Église considérerait les preuves et entamerait une réévaluation », écrit-il dans l’introduction de la quatrième édition de son livre.

En 1988, il reçoit un autre ordre de Rome : renoncer à tout ministère auprès des personnes homosexuelles, mais il déclare ne pas pouvoir s’y conformer en conscience.

Ayant désobéi, il est expulsé de la Compagnie de Jésus, mais continue à dénoncer les enseignements catholiques officiels sur la sexualité, et en tant qu’ancien militaire, il poursuit sa guerre contre Benoît XVI, contre lequel il nourrit une animosité particulière.

McNeill a vécu pendant des années more uxorio avec son partenaire et est décédé en 2015, salué comme un « prophète » par la communauté LGBT catholique.

L’histoire de ce jésuite sert à faire comprendre que la question de l’homosexualité dans l’Église catholique ne peut pas être réduite à des bavardages de bar, à des blagues de caserne ou même à des communiqués de presse pathétiques en forme de contre-ordre. En inversant l’aphorisme bien connu, même si la situation ne semble pas grave, elle est en réalité désespérée.

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