Benoît XVI a-t-il été « le dernier pape » de la prophétie de Saint Malachie? « Tout peut être » répondait-il laconiquement à la question posée par Peter Seewald dans la série d’entretiens publiés ensuite sous le titre « Dernières conversations » (2016).
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Il est significatif qu’au terme d’un pontificat funeste, de démolition systématique, dont même la légitimité commence à être sérieusement mise en cause dans des cercles qui se refusaient jusque là à l’admettre, un représentant autorisé des « cathos de gauche », Gian Maria Vian, ex-directeur de l’OR, ait justement choisi d’y consacrer un livre (intitulé « L’Ultimo Papa », justement), et conclue en laissant la question ouverte.
Ci dessous, la préface du livre de Giovanni Maria Vian intitulé L’ultimo papa que l’éditeur vénitien Marcianum Press vient d’envoyer en librairie. Le récit, révisé sur la base d’une série d’articles publiés en grande partie dans Domani, reconstruit les événements de la papauté à l’époque contemporaine et analyse surtout les pontificats de Ratzinger et de Bergoglio.
Historien et journaliste, l’auteur a enseigné la philologie patristique pendant trente ans à l’Université Sapienza de Rome et a été rédacteur en chef de L’Osservatore Romano de 2007 à 2018.
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https://www.editorialedomani.it/idee/cultura/papa-chiesa-roma-bergoglio-francesco-benedetto-xvi-dhy4l80i
La prophétie sur le dernier pontife et le destin incertain de la papauté
Bergoglio est-il le dernier pape ou Benoît XVI l’a-t-il été ? La question, qui peut paraître saugrenue, a été posée à Joseph Ratzinger en 2016. Tout part de la prophétie de saint Malachie : attribuée à un moine irlandais médiéval, évêque d’Armagh, elle a en réalité été écrite presque certainement en 1590 pour favoriser un cardinal en conclave (qui n’a pas été élu). Le texte – une série de devises en latin faisant allusion à plus d’une centaine de pontifes – est donc un faux, qui a commencé à se répandre lorsqu’il a été imprimé pour la première fois à Venise en 1595 et qui est réapparu périodiquement depuis lors.
La réponse de Ratzinger
Outre les difficultés d’adaptation des textes très courts aux différents papes, après la définition de Benoît XVI comme la « gloire de l’olivier », la liste se termine par une description de la fin du monde : « Dans la persécution finale de la sainte Église romaine siégera un Pierre romain qui fera paître les brebis à travers de nombreuses tribulations ; après quoi la ville aux sept collines s’effondrera et le juge redoutable jugera son peuple ».
La « gloire de l’olivier » ne serait donc pas suivie d’un autre pontife car il n’y a pas d’autres devises dans la série et la conclusion de la prophétie ferait allusion à un successeur de l’apôtre Pierre (romain ?) à une époque qui n’est pas précisée. En tout état de cause, la mention de ce Petrus Romanus ne semble en aucun cas s’appliquer à François, alors que dans la suite de la série, la devise de gloria olivae correspond certainement à Benoît XVI, bien que de manière générique et susceptible d’interprétations différentes.
Ratzinger lui-même a parlé de cette prophétie surprise trois ans après sa démission, d’ailleurs en réponse à une question explicite de Peter Seewald. Dans la conclusion du livre d’entretiens intitulé Dernières Conversations, Benoît XVI a confirmé la prédiction qu’il avait déjà faite dans les années 1950 en tant que jeune théologien :
« La société occidentale, et donc en tout cas l’Europe, ne sera pas une société chrétienne et les croyants devront d’autant plus s’efforcer de continuer à façonner et à soutenir une conscience des valeurs et de la vie ».
Ratzinger a ensuite parlé de lui-même avec une conscience mûre de l’époque qu’il a vécue et de l’avenir : « Je n’appartiens plus à l’ancien monde, mais le nouveau n’a pas encore vraiment commencé », même pas avec le pontificat de son successeur, a laissé entendre le théologien, qui a quitté la papauté il y a plus de trois ans. Seewald lui a encore demandé – en évoquant la liste attribuée à saint Malachie – s’il était « réellement le dernier à représenter la figure du pape telle que nous l’avons connue jusqu’à présent ».
À cette question, Benoît XVI a répondu sans hésiter, en ironisant même sur le texte en question :
« Tout peut être. Cette prophétie est probablement née dans les cercles autour de Philippe Néri. À l’époque, les protestants prétendaient que la papauté était finie, et il voulait simplement prouver, à l’aide d’une très longue liste de papes, que ce n’était pas le cas. Il ne faut cependant pas en déduire que la papauté était bel et bien finie. C’est plutôt que sa liste n’était pas encore assez longue ! »
Des nœuds non résolus
Des réflexions du vieux pape naît ce livre qui raconte, en choisissant quelques thèmes et moments, la très longue transition subie par l’Église de Rome, depuis les arrangements de l’Ancien Régime jusqu’à la papauté qui n’a pas été italienne depuis près d’un demi-siècle : une circonstance qui ne s’est pas répétée depuis les soixante-dix ans au cours desquels pas moins de sept papes français se sont succédés à Avignon. Et depuis 1978, les trois derniers pontificats, sans doute novateurs à bien des égards, se sont révélés insuffisants dans la gestion du gouvernement central de l’Église.
L’élection de Wojtyła, puis de Ratzinger et enfin de Bergoglio est certes une conséquence de la mondialisation du collège des cardinaux – initiée, avec une accélération imprévue, depuis Pie XII en 1946, pas par hasard quelques mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale – mais aussi du concile Vatican II, véritable assemblée planétaire, et du nouvel élan donné au catholicisme par Roncalli, qui a convoqué l’assemblée, mais surtout par Montini, qui l’a gouvernée et conclue.
Et il faut rappeler un détail qui n’est certainement pas seulement biographique : en tant que théologien, Ratzinger est le dernier pape à avoir participé au Concile, qu’il n’a jamais renié malgré les stéréotypes tenaces qui prétendent le contraire.
Comme le confirme l’introduction à ses écrits conciliaires – réédités dans l’Opera omnia – où le pape rappelle l’ouverture de Vatican II cinquante ans plus tôt :
« Le christianisme, qui avait construit et façonné le monde occidental, semblait perdre de plus en plus sa force effective. Il semblait fatigué et il semblait que l’avenir était déterminé par d’autres puissances spirituelles. La perception de cette perte du présent de la part du christianisme et la tâche qui en découle sont bien résumées par le mot « aggiornamento ». Le christianisme doit être dans le présent pour pouvoir façonner l’avenir ».
Ce livre évoque d’emblée, sous forme de scénarios généraux, des thèmes de longue haleine : la prière, l’imminence du mal, l’importance centrale de la sexualité, la signification du célibat, la récurrence des synodes et des conciles, l’épuisement des commissions religieuses artistiques. En suivant une large progression chronologique, on présente ensuite l’origine de certaines tendances qui sont apparues comme des réponses aux révolutions de l’époque moderne.
Ces tendances se sont révélées importantes dans la formation de l’absolutisme papal, à son apogée un siècle et demi après la définition de l’infaillibilité papale par le premier concile du Vatican. Au cours du dernier demi-siècle, les nœuds du pouvoir temporel et de la gouvernance se sont entremêlés avec des difficultés récurrentes : la relation avec l’argent et la finance, la communication, la renaissance de la problématique de la sainteté papale.
Le nouveau monde est loin
En ce qui concerne Ratzinger, on remarque une contribution théologique peu commune, qui le place dans une catégorie peu représentée dans l’histoire de la papauté et dans une position de prééminence absolue, comme le montrent ses réflexions sur les réalités ultimes et sur le judaïsme. Le diagnostic du pape sur l’extinction de la foi dans les déserts de ce monde et le scandale intolérable des abus est également lucide. En revanche, son gouvernement a été faible et pas du tout soutenu – voire même combattu par des collaborateurs qui se sont révélés ne pas être à la hauteur du pontife ou même déloyaux.
Le pontificat de Bergoglio, caractérisé par un désir décisif et nécessaire de réforme et par la poursuite de la mondialisation du collège des cardinaux, n’a pas été couronné de succès. Mais l’orientation politique, la gestion personnelle et solitaire du gouvernement – avec des modalités autocratiques sans précédent à l’époque contemporaine – et certains choix qui semblent accentuer les divisions et les polarisations déjà présentes dans l’Église, devraient inciter à une réflexion urgente sur l’exercice du pouvoir papal et de la collégialité épiscopale.
Si donc l’ « ancien monde » s’éteint et que le « nouveau » dont parlait Ratzinger n’a pas encore commencé, la question du dernier pape reste pour l’instant sans réponse.