Depuis 2013, le blog de Luis Badilla « Il Sismografo » était devenu au fil des ans, une référence, une source d’informations indispensable, même pour ceux qui (c’est mon cas) ne partageaient pas toutes ses idées. Catholique sincère, journaliste profondément honnête, bergoglien convaincu… au début, il offrait gratuitement une information libre, introuvable ailleurs, pratiquant le commandement « qui aime bien châtie bien ».
Il Sismografo a malheureusement disparu le 17 décembre dernier, et n’a pas été remplacé. Il semble toutefois que son animateur maintienne une « Lettre confidentielle », indisponible pour le commun des mortels, dont Messa in Latino publie parfois des extraits. La dernière lettre jette un regard sévère sur les voyages pontificaux, et ne ménage pas François. Les (mauvais) conseillers de Sainte Marthe seraient bien inspirés de tenir compte de ses remarques.

Quelques perplexités sur la conférence de presse du Pape du 13 septembre.

blog.messainlatino.it
24 septembre 2024

Merci à Luis Badilla pour cette analyse très intéressante sur les dernières déclarations en avion du Saint Père François et sur les derniers voyages papaux : « Ce type de journalisme, que le Vatican aime beaucoup, a fait et fait beaucoup de mal au leadership pastoral de l’évêque de Rome ».

Luigi C, responsable du blog Messa in Latino

  • Les voyages de François ces dernières années et leur métamorphose, sans oublier le popewashing.
  • La prestation du Pape : superficielle et éculée.
  • Pour la deuxième fois, un envoyé de la presse chinoise se trouve dans l’avion du Pape.
  • Le format des voyages papaux est usé et épuisé.
  • Le journalisme dit de reportage et les vaticanistes d’antan.

En dehors des questions pilotées, et en excluant systématiquement certains événements sur lesquels on ne peut pas poser de questions (ex. cardinal Becciu, Rupnik, le Synode d’octobre…), cette fois la conférence de presse du Pape (Vatican News) de retour de son 45ème voyage à l’étranger, a offert la possibilité de poser des questions, donnant un aperçu intéressant de la façon de penser du pontife et de la manière dont, après 11 ans de pontificat et à 87 ans, il traite des questions importantes et complexes.

Il n’y avait pas de journaliste de Papouasie-Nouvelle-Guinée (pays trop pauvre) dans l’avion [rappelons que c’était une des étapes du voyage, ndt]. Mais il y avait une journaliste italienne correspondante d’un journal en ligne catholique chinois. Ce n’est pas la première fois.

Le Saint-Père s’est vu poser plusieurs questions et avec certains journalistes, le Pape a eu des échanges inusités, notamment avec Pei Ting Wong (The Straits Times, Singapour). Le directeur du Bureau de presse lui-même, Matteo Bruni, a posé à François une question spéciale, tout à fait inattendue, en disant :

Saint Père, la presse de Papouasie-Nouvelle-Guinée a suivi votre voyage avec beaucoup d’intérêt, mais malheureusement il n’a pas été possible d’avoir un journaliste sur ce vol. Je voudrais donc profiter de cette occasion pour vous demander s’il y a quelque chose que vous aimeriez nous dire sur la Papouasie-Nouvelle-Guinée, en particulier aussi sur Vanimo, qui est un endroit où je pense que vous vouliez personnellement aller. 

(…)

Le pape a montré qu’il ignore tout de ce qui se passe en Papouasie-Nouvelle-Guinée dans le domaine de l’exploitation minière par des capitaux étrangers. La réponse du pontife le révèle de manière éclatante.
Quelques jours après la visite de François en Papouasie-Nouvelle-Guinée, la violence liée à l’exploitation des mines d’or a repris de plus belle. La question n’a jamais été abordée par le souverain pontife. Pour éviter les critiques, les médias catholiques ont écrit que le Saint-Père avait appelé à « mettre fin à la violence tribale et à répartir équitablement les richesses tirées des ressources naturelles ». La question était d’actualité, tellement qu’après le départ de François, les violences ont repris, faisant plus de 20 morts (AsiaNews).

Le pontife a tout ignoré peut-être pour ne pas embarrasser le gouvernement local et l’Indonésie qui est derrière l’exploitation des mines ?

Des envoyés spéciaux de journaux chinois dans le vol du Pape

Il y avait aussi l’Italienne Stefania Falasca, journaliste à Avvenire, qui a posé une question au Pontife au nom d’un journal catholique chinois en ligne (Tianou Zhiku) offrant au Pape François une « fenêtre » pour parler de la Chine (ce qu’on attendait qu’il fasse à Singapour), mais surtout – sans besoin tactique immédiat – pour dresser le profil d’un pays modèle à admirer. Dans la confusion de la réponse, François ne fait pas la distinction entre peuple et gouvernement, analyse qu’il fait toujours avec les autres pays pour ne pas assimiler gouvernement et peuple. Ici, François fait des déclarations incompréhensibles ou confuses, telles que la référence au cardinal Zuppi et la relation Chine-Vatican.

En tout état de cause, la Chine est une dictature et reste une dictature et il n’y a aucune raison de faire l’éloge d’une telle situation. Le Pape François, qui a vécu sous une dictature féroce (1976 – 1983), ne devrait jamais oublier cette réalité. L’erreur du Pontife dans cette affaire est de croire que pour résoudre les relations ‘Église catholique – gouvernement de Pékin’, il est nécessaire et opportun de faire des ouvertures périodiques à la nomenklatura chinoise.

Le « saint peuple fidèle de Dieu » en Chine est différent de celui que l’on voit de la fenêtre du Palais apostolique. Si l’on ne veut pas critiquer le gouvernement de Pékin, il faut au moins éviter les éloges non sollicités..

La présence de journalistes chinois dans les voyages du Pape n’est pas nouvelle. Déjà lors du voyage de François en Irak, du 5 au 8 mars 2021, parmi les journalistes accrédités se trouvait le premier reporter d’un journal chinois. Il s’agissait d’un journaliste italien (Salvatore Cernuzio), actuellement employé par Vatican News, financé directement par l’éditeur de « Tianou Zhiku », représenté par Stefania Falasca lors de ce dernier voyage du souverain pontife. Le site chinois, qui opère manifestement avec l’autorisation de la soi-disant ‘Église patriotique’, est cité par les médias du Vatican et l’Agence Fides depuis quelques années déjà..

Voyages du pape : un format épuisé

La performance de François n’a pas été l’une des meilleures, et son manque de perspicacité a mis en évidence sa fatigue. A plusieurs moments, il a donné l’impression de ne pas vouloir aller plus loin pour ne pas allonger le temps et le perdre. Dans le cas de la question de Francisca Christy Rosana (Tempo Media Group, Indonésie) sur les investissements miniers étrangers en Papouasie-Nouvelle-Guinée, il était clair que le Saint-Père n’avait pas bien saisi la question. Dans d’autres réponses, on peut observer quelque chose de similaire avec – en plus – une tendance marquée à la digression, comme dans la réponse sur la Chine dans laquelle il est immédiatement clair qu’elle a été convenue précisément pour avoir l’occasion de prodiguer des éloges inutiles à la Chine, tout en évitant toute référence aux nombreux problèmes existant entre Pékin et le Vatican.

Il y avait peut-être la raison d’Etat habituelle : la signature probable, dans quelques jours, de l’Accord permanent pour la nomination des évêques.

Bref, une conférence de presse peu réjouissante. Les journaux présents (environ 70 journalistes accrédités) n’ont pas pu en tirer grand-chose. Même les propos du Pape François sur les candidatures de Harris et de Trump n’ont pas été mis en avant. Aux États-Unis, les paroles du Pape ont été ignorées.

Comme l’ont déjà souligné les experts des affaires vaticanes, de même que le Pape a montré qu’il était nécessaire de réformer l’exercice de la papauté, maintenant, après 45 voyages apostoliques internationaux, il montre également que le format de ces voyages – comme il a voulu les interpréter – a épuisé son potentiel, principalement parce qu’ils se sont transformés en un appendice ou un rite, usé et fatigué de papolâtrie et de popewashing.

Le directeur émérite de L’Osservatore Romano, Giovanni Maria Vian, écrivait dans « Domani » le 31 août dernier :

« Mais la formule apparaît désormais répétitive – y compris les conférences de presse lors du voyage de retour qui finissent par occulter les voyages eux-mêmes dans les médias – et il semble que le temps soit venu de repenser même cette façon d’exercer la papauté »..

Les coûts insensés des voyages papaux, insoutenables depuis quelques années pour des médias faibles et pauvres.

Ces pèlerinages papaux à l’étranger en sont venus à avoir des coûts de plus en plus insoutenables : des milliers de dollars que désormais seuls les porteurs de presse du monde entier (comme les Agences Ap, Afp, Reuters, Ansa, Efe) ou quelques journaux italiens peuvent se permettre, mais pour des raisons d’échange politique de bienveillance et de commodité avec le Vatican.

Dans le même temps, progressivement, les médias plus faibles ou les médias qui n’ont pas la possibilité de dépenser de grandes ressources en échange de peu ou de rien ont été expulsés du circuit des « voyages papaux ». En particulier après le voyage au Chili (2018), l’intérêt mondial pour les voyages du pape François à l’étranger a fortement diminué. L’intérêt s’est essentiellement concentré sur les conférences de presse du pontife, qui sont vite devenues un rituel répétitif.

Dans de nombreux voyages, même la représentation linguistique a chuté au point, par exemple, qu’il y a déjà eu des voyages sans un seul journaliste latino-américain (même pas argentin). Cette question des coûts a été à l’origine d’une lettre des journalistes du Vatican au Substitut de l’époque, aujourd’hui le cardinal Becciu. Le sujet était sensible et la lettre a été minimisée au point que certains ont nié son existence, mais la lettre diffusée par les auteurs était tout à fait véridique. L’argument a été rapidement enterré.

Depuis lors, les manifestations ont toujours été confidentielles. Le problème, cependant, existe toujours aujourd’hui puisqu’il en coûterait deux fois moins aux journaux d’envoyer eux-mêmes un envoyé spécial s’ils utilisaient un circuit différent de celui du « vol papal ».

Etre dans le vol papal, tout en payant des frais élevés, donne cependant des privilèges très importants : de brèves secondes de rencontres avec le Pape dans l’avion, la présence à la conférence de presse de retour et l’accès aux salles de presse mises en place par les organisateurs et le Vatican où les journalistes travaillent en contact avec les  » voix  » officielles ou semi-officielles du Vatican et où ils peuvent suivre le déroulement de la visite sur la télévision d’État et, enfin, recevoir du matériel journalistique. .

Et pourquoi le Pape fait-il des « voyages apostoliques » depuis 1964 ?

Quelqu’un a mentionné, en rappelant de nombreuses situations similaires, que souvent les allocutions du Pape lors de ses voyages internationaux sont adaptées aux besoins des hôtes (avec ce que l’on appelle des « ajustements raisonnables »). Ainsi, depuis quelque temps, les discours du Pape deviennent de moins en moins prophétiques et de plus en plus bureaucratiques. Les dénonciations de François sont devenues une réitération monotone d’une liste d’urgences socio-politiques ou socio-économiques, – toutes très justes – mais dans l’abstrait, sans indiquer, pour ainsi dire avec « nom et prénom », les responsables. Il n’est pas rare que l’on ait l’impression que l’important est l’iconographie du Pontife « progressiste », du Pontife « réformateur » .

Parmi les principaux auteurs et coupables des situations horribles que le Pape dénonce courageusement, on trouve toutes les grandes multinationales qui entretiennent des relations privilégiées avec lui. Au moins deux discours sont à retenir à cet égard : celui du Saint-Père aux Entrepreneurs participant au « Fortune-Time Global Forum » le 3 décembre 2016. (ici) ou celui du 11 novembre 2019, au Conseil pour le capitalisme inclusif (ici).

La même forme de discours se répète généralement dans les rencontres avec la hiérarchie catholique, avec les prêtres, les religieuses et les séminaristes, et plus encore avec les jeunes, qui sont presque toujours l’occasion de raconter pour la énième fois ce qui est devenu le cheval de bataille du Pontife.

La métamorphose des voyages et le popewashing

La raison de ces voyages, avec des mots différents, a été donnée et expliquée par quatre papes : Le mandat donné à Pierre jusqu’à la fin des temps est d’être le témoin du Christ ressuscité pour confirmer et garder les frères et sœurs unis dans la foi (Benoît XVI, 7 mai 2005). Ces voyages, du premier de Paul VI au dernier de François, sont au nombre de 182.

Les pèlerinages du Souverain Pontife n’ont pas d’autre but que celui que nous avons rappelé dans les paroles de Benoît XVI, identiques à celles de saint Jean-Paul II et de saint Paul VI.

Ces dernières années, cependant, avec le pape François, quelque chose de particulier s’est produit, à savoir : au sein des voyages, la rencontre de « Pierre avec ses frères dans la foi » est marginale ou secondaire, et par conséquent, le virage juste et nécessaire par courtoisie diplomatique (envers l’État hôte), a pris le dessus dans les médias ainsi que la centralité. C’est ainsi que le profil religieux et eucharistique s’est progressivement estompé. Le Pape voyage et visite des églises particulières pour célébrer l’Eucharistie et c’est la raison d’être ultime d’un pèlerinage papal.

Dans de nombreuses circonstances, bien que le Pape soit avant tout un invité de l’Eglise locale – parce qu’il est l’Evêque de Rome, le Successeur de Pierre – il est aussi en même temps un invité de l’Etat et du Gouvernement. En fait, aujourd’hui, le voyage papal semble répondre de façon marquée à une invitation de l’État autour de laquelle le dirigeant (président ou souverain) organise un événement de son cru, souvent de nature interreligieuse ou en faveur de la paix, afin de créer un cadre propice à l’accueil de l’invité.

De cette manière, et par ce mécanisme, les classes dirigeantes locales profitent de la visite du Pape. Une opération de « popewashing »..

Tout cela est bien, peut-être même nécessaire par les temps qui courent, mais alors, plusieurs questions cruciales se posent et restent sans réponse :

  • Quelle pertinence ont les déclarations signées entre le Pontife et les gouvernants mais dont seul le Pape se souvient, comme la Déclaration sur la fraternité ou celle du Kazakhstan ? Aucun signataire de ces déclarations n’est connu pour avoir défendu les chrétiens massacrés au Bangladesh, au Pakistan, en Inde ou persécutés au Venezuela et au Nicaragua.
  • Tout en rappelant ces réalités, il y a quelques questions à poser sur la Déclaration commune entre le Pape François et le Patriarche Kirill, signée à Cuba le 12 février 2016, qui contient 4 paragraphes spécifiques sur l’Ukraine, actuellement attaquée par la Russie de Poutine avec l’accord enthousiaste du Patriarche orthodoxe….
  • Combien et comment les minorités catholiques de ces pays bénéficient-elles alors de leur liberté de foi et de culte ? Ou dans quelle mesure les restrictions bureaucratiques et administratives à la vie et à la pratique de la foi catholique diminuent-elles ou s’adoucissent-elles ? Dans quelle mesure et où les lieux de culte pour les catholiques ont-ils augmenté dans ces pays où le pape a été un invité de marque ?

Le journalisme dit de reportage et les vaticanistes d’antan

Même les médias qui suivent le Pape ont progressivement dénaturé leur travail, se limitant, par autocensure ou obstacles objectifs, au rôle de ce que l’on appelle la « presse de reportage » : prendre, copier et coller, avec quelques notes d’information pour agrémenter les circonstances. Les titres eux-mêmes se limitent aux phrases papales les plus marquantes, progressistes ou polémiques, surtout à l’égard de ceux qui critiquent François.

Même dans le cas de cette dimension, le même format est appliqué que dans les questions posées lors des conférences de presse qui suivent ; des événements strictement enrégimentés et disciplinés. Pratiquement jamais une question critique, un commentaire analytique ou une histoire en dehors du script.

C’est aussi le cas parce que les médias accompagnateurs rendent compte du voyage, comme nous l’avons déjà mentionné, dans des structures mises à disposition par les organisateurs du voyage avec des connexions réseau, des téléphones satellitaires, des PC ou des tablettes, des ordinateurs et d’autres bonnes conditions de travail. Ces opérateurs, normalement, ne voyagent pas avec le Souverain Pontife. La plupart d’entre eux restent dans la salle de presse et font essentiellement le même travail que s’ils étaient assis à Rome avec une connexion aux circuits de télévision internationaux.

Les « vaticanistes » d’antan sont aujourd’hui des journalistes de reportage. Ils ont de plus en plus estompé l’analyse critique, la lecture journalistique des faits et du langage (du Pape et du Vatican) ; ils ont renoncé au rôle d’ « interprètes » car ils sont capables de traduire au grand public, en tant qu’envoyés spéciaux, les événements du voyage, leur contexte, la complexité des enjeux, le visage des peuples visités… .

En somme, depuis longtemps, il manque dans la presse généraliste – à quelques exceptions notables près – des récits journalistiques vrais et captivants sur ces voyages papaux, des reportages ou interviews contextuels, des voix plurielles des pays visités, etc… .

Maintenant, tout, du début à la fin, tourne autour des allocutions du Pontife offertes avec la formule habituelle : François « a dit, observé, ajouté, clarifié, conclu… ».

Ce genre de journalisme, que le Vatican aime beaucoup, a fait et fait beaucoup de mal au leadership pastoral de l’évêque de Rome.

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