Sur le site américain « First things« , et sous la plume d’un écrivain catholique irlandais John Waters, un formidable, je ne dis pas critique, ni même recension, mais argumentaire détaillé pour démonter les falsifications et les mensonges du film « Les deux Papes » – un argumentaire qui est en même temps un portrait de « réparation » de Benoît.

Le vrai et le faux. No comment!!

J’ai finalement vu « Les Deux Papes« , et il n’y a rien à rajouter, ni à retrancher, à l’article de John Waters.
Le film pourrait être acceptable, comme simple fiction, selon le schéma classique du lent cheminement vers l’amitié entre deux hommes que tout oppose; et si l’on excepte deux terribles longueurs (la rencontre improbable à Castelgandolfo qui évoque la très vite oubliée « Confession de Castelgandolfo » de Pietro di Paoli alias Christine Pedotti; et celle, encore plus invraisemblable, dans la Chapelle Sixtine, qui se termine par une… confession), il n’est pas totalement nul, pouvant même donner à certains l’envie d’en savoir plus, et donc de découvrir les VRAIS personnages. Car là, tout est faux (à l’exception d’anecdotes, authentiques mais insignifiantes, qui servent de décor, mais uniquement lorsqu’elles peuvent être instrumentalisées pour faire passer un message), ou plutôt tout est inversé : le sage, le pondéré, le gentil, le moderne, le contact facile, c’est Bergoglio, tandis que le méchant, l’agité, le mal dans sa peau, l’arriéré, le rabat-joie, c’est Benoît XVI. Le film, qui se présente comme une sorte de docu-fiction, entrecoupé de séquences d’archives et prétendant s’inspirer de faits réels, se revendique donc comme chronique d’un événement historique. Pour un spectateur qui ne suit pas ces choses de très près, c’est-à-dire la majorité, il risque d’y avoir une dangereuse confusion avec la réalité. On va dire que c’est étudié pour, et en ce sens, le film est à sa manière une réussite. Mais c’est au détriment de la vérité.
Un mot encore sur l’interprétation d’Anthony Hopkins qui ne s’est toujours pas remis de son rôle d’Hanibal Lecter: il est tout simplement catastrophique (et là encore, c’est sans doute voulu), à des années-lumière de celui qu’il est censé incarner. Et quand dans l’une des images finales on entrevoit l’image subliminale du vrai Benoît XVI (le 29 mars 2013, lorsqu’il raccompagne jusqu’à l’hélicoptère son successeur venu lui rendre visite à Castelgandolfo), on ressent une sorte de soulagement, comme si l’on sortait enfin d’un mauvais rêve.
Pour une fois, la bande annonce ne mentait pas, comme je le disais dès le 1er septembre:

En réalité, cette bande-annonce fait penser à une grossière opération de propagande – une de plus… mais du fait de qui? Disons que les premières images laissent effectivement augurer le pire du pire. Au-delà de l’absence totale de ressemblance physique (à part la soutane blanche et la calotte, il n’y a vraiment rien en commun entre l’acteur et le personnage qu’il est censé incarner) voir Benoît XVI sous les traits d’Hannibal Lecter alias Anthony Hopkins a de quoi susciter sinon un sentiment de répulsion (c’est mon cas), du moins un vrai malaise – comme si une caricature maléfique et ricanante, s’était substituée au doux et pur Benoît.

La grossière bande annonce du film « Les deux papes »

Les deux Papes, trop de contre-vérités.

John Waters
First Things
17/12/2019
Ma traduction (les caractères gras sont de moi)

Je me suis senti étrangement tiraillé entre deux sentiments lorsque j’ai regardé Les deux papes, le nouveau film dont on dit qu’il traite de la relation entre le pape François et le pape émérite Benoît XVI.

D’une part, et pendant la majeure partie de la première heure, je n’ai ressenti que de l’inquiétude et de la colère face à la représentation de Benoît. Puis j’ai remarqué que, peu à peu, je m’étais laissé entraîner dans le film: malgré moi, je me suis surpris à me soucier de l’engagement imaginaire de ces deux hommes. Le problème était: Ces hommes ne ressemblaient pas aux hommes réels qu’ils étaient censés représenter. C’est fondamentalement pourquoi Les deux papes (sur Netflix à partir du 20 décembre) est un film dangereux et pernicieux.

Au niveau de l’histoire, c’est le même vieux récit que les médias nous ont transmis depuis l’élection du Cardinal Joseph Ratzinger comme pape en 2005. C’est un « traditionaliste revêche », « le Rottweiler de Dieu », « l’homme incapable de sourire ou de danser ». Dans le coin opposé se trouve François, le premier pape non européen depuis 1200 ans, ancien videur de club de tango, passionné de football, « l’homme ordinaire » et, le moment venu, le « pape à l’image du Christ » – en contradiction avec tous ses prédécesseurs. Ce film ne néglige aucun cliché médiatique: les brodequins noirs usagés de Jorge Mario Bergoglio sur le scanner de la sécurité de l’aéroport, François esquivant les chaussures rouges du pape, Bergoglio qui regarde le football dans un bar et qui mange une pizza à emporter. Il est question du mal des murs et des vertus des ponts.

Et il y a pire. Le film utilise des extraits de vraies images d’actualité. Un clip vidéo montre un homme réagissant à l’élection de Benoît: « Je connais Ratzinger. Le nazi n’aurait pas dû être élu. » C’est un spaghetti western sans armes ni chevaux. Ratzinger/Benoît est pratiquement affublé de la moustache tombante: distant et introverti, il mange seul, préfère le latin aux autres langues, n’a jamais entendu parler d’Abba et ne sait pas danser le tango. Et surtout, il résiste à la tentative de Bergoglio de l’embrasser. Le scénario ne laisse aucun doute aux téléspectateurs sur le pape du côté duquel ils sont censés se ranger.

Le scénariste Anthony McCarten a affirmé que le film est destiné à s’inscrire dans un débat plus large. « Dans un monde où les conservateurs et les progressistes sont très retranchés et s’éloignent les uns des autres, et où beaucoup de vitriol et de colère circulent dans les deux sens, nous voulions faire un film sur la recherche du juste milieu ». Mais le film ne fait rien de tel. Il ne fait que répéter les clichés générés depuis de nombreuses années par des journalistes paresseux et malveillants.

Le scénario est issu de la pièce de théâtre de McCarten de 2017, The Pope, dans laquelle il a imaginé des conversations entre les deux hommes. Le portrait fait par Anthony Hopkins d’un Benoît obsédé et de mauvaise humeur est opposé au Bergoglio affable, bienveillant et placide de Jonathan Pryce. Si l’on connaît un peu la vérité de ces deux hommes, c’est presque risible. Bergoglio est joué par deux acteurs: Pryce dans la version plus âgée, de celui qui sera bientôt le pape François; Juan Minujin dans le rôle du jeune Bergoglio, sérieux, idéaliste et un peu prétentieux. Pryce est le type sympathique et chaleureux que ceux qui ont rencontré le pape François (comme moi) peuvent reconnaître [??].

Le fait qu’en termes de physique et de kinésiologie, Hopkins n’ait aucune aptitude à jouer Benoît n’arrange rien. Il dépeint un homme hautain, pesant, le visage bouffi, les yeux comme ceux d’un poivrot affligé d’une mauvaise gueule de bois. Tout est faux, toute la grâce de Joseph Ratzinger est absente: le port, la réserve, la passion des idées. Ni la timidité, ni la dignité tranquille ne sont là.

Hopkins est également insatisfaisant en ce qu’il dépeint cet homme – l’un des plus brillants Européens du dernier demi-siècle – comme un doctrinal obstiné obsédé par l’homosexualité et le célibat clérical. On a l’impression qu’en préparant ce rôle, il n’a pas, pris ne serait-ce qu’un seul des soixante livres de Ratzinger ou jeté un coup d’œil à l’une de ses encycliques. Quiconque l’aurait fait n’aurait pas manqué de savoir que les grands thèmes de la papauté du pape Benoît XVI étaient l’amour, la charité, la vérité, l’espérance, la foi, la raison, le silence et la beauté. Hopkins est un acteur d’un génie extraordinaire, qui normalement aborde ses rôles avec la plus grande attention et le plus grand soin. Ici, il a choisi d’habiter une caricature conçue par d’autres pour des raisons de myopie, de malveillance, ou les deux.

McCarten, qui est né et a grandi dans la religion catholique, a qualifié le film d’ « humaniste et impartial ». « Il entend être juste. Il n’est pas censé blanchir qui que ce soit, mais il est fait de manière sensible ». C’est faux. Ce film ne pourrait être considéré comme « juste » que par quelqu’un qui connaît peu et se soucie encore moins de la signification des événements et des personnalités de l’Église du dernier demi-siècle, et de la nature de la lutte qui les définit.

Le film a été précédé par un livre, The Pope: Francis, Benedict, and the Decision That Shook the World, également écrit par McCarten. Sa description du pape François y est un mélange de clichés et de cocasseries: « Une bouffée d’air frais, avec le charisme d’une rock star, il y avait une touche de John Lennon autour de lui (les deux hommes avaient fait la couverture du magazine Rolling Stone) avec une propension à des déclarations surprenantes propres à faire haleter même ses fans les plus ardents ». Bergoglio est un  » Argentin charismatique et amusant, à première vue un homme humble, extraverti, qui s’habille simplement (il a porté la même paire de chaussures noires pendant vingt ans) . . . C’est un homme avec une touche commune. Un homme du peuple. Il a même eu une petite amie. »

Vraiment? La même paire de chaussure? Vingt ans? Cela me rappelle l’homme qui a eu le même balai pendant vingt-cinq ans – l’ayant, entretemps, équipé de dix-sept nouvelles têtes et de quatorze nouveaux manches. Et la « petite amie »? Ce serait Amalia Damonte, à qui Bergoglio a envoyé une « lettre d’amour » quand ils avaient tous les deux douze ans, lui disant que si elle ne l’épousait pas, il deviendrait prêtre. Ses parents sont intervenus pour mettre fin à leur « relation ».

Dans son scénario de base, le film est presque entièrement fictif. En 2012, Bergoglio ne s’est pas rendu en Italie pour rencontrer le pape Benoît à Castel Gandolfo afin de demander la permission de se retirer. Les deux hommes n’ont pas passé des jours ensemble pour faire connaissance. Le pape Benoît n’a pas informé à l’avance le cardinal Bergoglio de son intention de démissionner. Il ne lui a pas dit qu’il se considérait comme n’étant plus apte à être pape. Il n’a pas révélé qu’il avait décidé que Bergoglio serait le choix parfait pour le remplacer.

Outre ces fictions, le film se réfère à des événements réels en dehors de leur ordre chronologique: Les choses qui se sont produites après l’élection du pape François sont représentées comme s’étant produites avant. Le scénario cherche à diminuer le pape Benoît en élevant son successeur avant même qu’il ne lui succède.
« Vous êtes très populaire », dit Ratzinger, comme s’il était envieux.
« J’essaie juste d’être moi-même », répond modestement Bergoglio.
« Chaque fois que j’essaie d’être moi-même, les gens ne semblent pas m’aimer beaucoup », répond le pape.

Cet échange est rendu absurde par les faits. L’affluence aux audiences publiques de Benoît sur la place Saint-Pierre est toujours plus élevée que celle du pape François, dont les nombres ne cessent de diminuer. « Cette popularité, y a-t-il une astuce à cela? », demande Benoît, apparemment déterminé à souhaiter être Bergoglio. Le problème est qu’avant de devenir pape, Bergoglio était à peine connu dans le monde, et encore moins populaire. Il n’était même pas aimé sans réserve en Argentine.

Dans une autre scène, tard dans la soirée, le pape Benoît est assis à son piano, essayant de trouver quelque chose d’approprié à jouer pour son invité. Soudain, il demande: « Connaissez-vous les Beatles? ». « Oui, je sais qui ils sont », répond Bergoglio. « Eleanor Rigby ? ». »Qui? » demande le pape Benoît: « Je ne la connais pas ».

C’est inoffensif à sa façon. Mais pour ce que ça vaut (pas grand chose), il est faux de dire que le pape Benoît ignore la musique pop, comme le laisse entendre à plusieurs reprises le scénario. En fait, il en sait beaucoup sur cette musique, peut-être parce qu’il l’a entendue pendant de nombreuses années dans tous les cafés de Rome. Il n’aime tout simplement pas ça. Il est préoccupé par le fait que, comme il l’a dit dans son discours au Congrès international de la musique d’église à Rome en novembre 1985, une telle musique « abaisse les barrières de l’individualité et de la personnalité », « abrogeant les limites du quotidien », créant l’illusion d’une « libération de l’ego ». Ce ne sont pas les mots d’un homme qui n’a jamais entendu parler d’Abba, qui ne « connaît » pas Eleanor Rigby.

Les prémisses politiques de l’Église du film sont de celles qui sont prévisibles à l’extrême: L’Église telle que représentée par Ratzinger/Benoît est « déconnectée du monde moderne » et c’est une mauvaise chose; le désir avoué de Bergoglio de faire entrer l’Église « dans le 21e siècle » est évidemment noble et juste.

Tout dans Les Deux Papes est conçu pour promouvoir un agenda qui n’a rien à voir avec le catholicisme/christianisme, et tout à voir avec la transmission d’une fausse notion de liberté dans le public. Le mot « réformes » est utilisé comme si sa vertu était évidente et inattaquable. « L’Église vote pour que des réformes attendues continuent à être attendues », accuse Bergoglio. On s’attend à ce que l’auditoire reconnaisse cette proposition et acquiesce de la tête. Mais il n’y a rien qui puisse guider qui que ce soit vers une véritable compréhension des implications.

Tout apporte de l’eau au moulin de l’agenda. Le pape Benoît accuse son visiteur d’Argentine: « Vous avez dit que l’Église est narcissique ». Mais François a dit cela après qu’il soit devenu pape, pas avant. Cela peut sembler mineur, mais cela démontre un des problèmes de ce film: une indifférence aux faits, et peu importe la vérité, peu importe la Vérité.

Le film suggère que Bergoglio s’est fait remarquer en tant que critique du leadership de l’Église alors qu’il était archevêque de Buenos Aires. « Vous avez été l’un de mes critiques les plus sévères », lui reproche Benoît. « Votre façon de vivre est une critique… Même vos chaussures sont une critique » (encore ces chaussures). Mais le plus intéressant dans l’élection de Bergoglio, c’est que son ascension s’est faite sans laisser de traces. Pratiquement personne dans le monde n’avait la moindre idée de qui il était, et ceux qui le connaissaient le considéraient comme au moins aussi « traditionaliste » que Ratzinger.

« Vous avez fait des compromis », dit Benoît, poursuivant sur ce thème. « Non », dit Bergoglio, « j’ai changé. C’est une chose différente ».
Benoît répond : « Le changement est un compromis ». Cette ligne peut sonner juste dans une certaine acoustique, mais pas comme elle est comprise ici, et pas de la manière dont elle est perçue. Si le pape Benoît avait dit cela, ç’aurait été pour faire comprendre que l’Église, étant la voix éternelle de Dieu dans le monde, n’a pas la possibilité de faire des compromis avec la mode. Ici, on le lit comme la résistance acharnée d’un homme qui pense que l’obstination est une vertu, et qui se trouve tout simplement coincé. « Dieu ne change pas », ajoute-t-il, mais au lieu d’en souligner le sens, l’implication est qu’il s’assimile à Dieu.

Le script met des mots dans la bouche du pape Benoît – pas seulement des mots pour transmettre des convictions ou un caractère, mais des mots qui cherchent à changer le sens de l’histoire. Il annonce à Bergoglio son désir de lui confier « quelque chose que je vous demande de garder dans votre âme et de ne parler à personne ». Puis il révèle son intention de démissionner dans l’espoir que Bergoglio lui succède. « Les papes ne peuvent pas démissionner », dit Bergoglio.  » Le Christ n’est pas descendu de la croix » – une phrase du journal de Dorothée Day, reprise par Jean-Paul II, lorsqu’on lui demanda s’il pourrait envisager de démissionner en raison de sa santé défaillante.
« Vous allez endommager la papauté pour toujours », dit Bergoglio. « Et quel dommage ferais-je si je reste? » Ce ne sont pas des mots que Benoît aurait prononcés. Ce sont des mots tendancieux imaginés à partir de préjugés sur ce que Benoît est et était, sur ce qu’il représente et représentait.

« Je lutte pour faire ce qui doit être fait, mais j’ai perdu », poursuit le pape Benoît. « Pour une raison étrange, je peux maintenant voir une raison pour Bergoglio. Vous êtes la bonne personne. L’Église doit changer et vous pourriez être ce changement… »

« Je ne peux plus jouer ce rôle. Il y a un dicton qui dit: ‘Dieu corrige toujours un pape en présentant au monde un autre pape‘. Je devrais… J’aimerais voir ma correction. » Le scénario dit ensuite que le pape Benoît semble confesser une perte de foi: « Je ne peux pas sentir la présence de Dieu. Je ne peux pas entendre Sa voix. »

Les « deux papes » s’entendent à tour de rôle en confession. Bergoglio raconte son échec à défendre ses confrères prêtres lors de la « guerre sale » en Argentine, pendant le « processus de réorganisation nationale » qui a suivi la montée au pouvoir d’une junte militaire dans les années 1970. Le pape Benoît tente de le rassurer sur les efforts qu’il a faits à cette époque.
Bergoglio se flagelle: « Mon cher ami, où étais-je – où était le Christ? – dans tout cela? Prenait-il le thé dans le palais présidentiel? » Plus tard, il admet: « Je suis une figure de division en Argentine », une des rares affirmations de la bouche du personnage de Bergoglio qui sonne tout à fait juste.

Ce qu’implique le scenario, c’est qu’en soulignant la culpabilité de Bergoglio pour son échec à s’opposer à la dictature en Argentine, le film offre une sorte d’équilibre: les deux papes sont montrés avec leurs bons et leurs mauvais côtés. Mais ce n’est pas le cas: le récit des actions/inactions de Bergoglio pendant la guerre sale est tiré des archives officielles; la représentation de Ratzinger/Benoît est largement inventée.

Suit une séquence qui va au-delà des crimes de falsification, de tromperie et de tricherie. Au cours de sa « confession », Benoît devient agité et commence à raconter un « péché » de son passé qui n’a pas encore été révélé. Ce faisant, sa voix est brouillée comme par une sorte d’interférence radio. Nous voyons ses lèvres bouger, nous cherchons le visage choqué de Bergoglio. Quand le son revient, Benoît semble finir un compte-rendu de sa négligence alors qu’il était Préfet de la Congrégation de la Foi. On laisse entendre qu’il n’a pas agi contre un prêtre mexicain, le fondateur des Légionnaires du Christ: Marcial Maciel Degollado, un agresseur sexuel de garçons. Quand il a terminé, Bergoglio fait quelque chose qu’un vrai prêtre ne ferait jamais: il se lève et commence à faire des remontrances au pénitent qui vient de se décharger.

Dans la mesure où cette scène cherche à confirmer la calomnie selon laquelle le pape Benoît aurait d’une certaine manière collaboré à la dissimulation de l’abus d’enfants par des clercs, elle est fausse et grossièrement diffamatoire. C’est Ratzinger qui, en tant que Préfet de la Congrégation de la Foi, a modifié les procédures canoniques pour permettre d’expulser ceux qui utilisent la prêtrise pour s’attaquer à des garçons pour la plupart d’âge adolescent. En tant que pape Benoît, il a chassé du sacerdoce des centaines de ces personnes, dont Maciel. En fait, c’est le cardinal Joseph Ratzinger qui, en 2001, a autorisé une enquête sur les accusations portées contre Maciel. Cette enquête s’est poursuivie jusqu’en 2006, date à laquelle Ratzinger est devenu le Pape Benoît XVI et où son successeur, le Cardinal William Levada, a décidé – « compte tenu de l’âge avancé du Père Maciel ainsi que de sa mauvaise santé – d’abandonner le processus canonique et de l’inviter à une vie réservée de prière et de pénitence, renonçant à tout ministère public ». Le pape Benoît a approuvé ces décisions. Maciel est mort en 2008, le prêtre le plus haut placé jamais sanctionné à cause d’allégations d’abus sexuels.

Dans le film, il n’y a aucune mention de Julio Grassi, le prêtre qui purge actuellement une peine de 15 ans pour avoir abusé sexuellement de mineurs dans le plus célèbre scandale d’abus sexuels commis par des religieux en Argentine. Le cardinal Jorge Bergoglio a fait de son mieux pour protéger Grassi de la justice laïque, allant même jusqu’à demander à la conférence épiscopale argentine, qui était sous sa présidence, de charger un éminent avocat argentin de compiler une « étude médico-légale » prétendant que Grassi était innocent et cherchant à discréditer ses victimes. Au cours de son procès, Grassi a fait l’éloge du cardinal Bergoglio et l’a remercié pour son soutien, disant que « Bergoglio n’a jamais lâché ma main ». Le pape François a toujours refusé de rencontrer les victimes argentines d’abus sexuels commis par des religieux.

Ayant essayé à plusieurs reprises, je comprends les difficultés de convertir une histoire de la vie réelle en une forme fictive, que ce soit pour la scène ou pour l’écran. La vie est trop détaillée et trop complexe pour être traduite en drame. Pour canaliser les énergies d’une histoire réelle, il faut toujours pincer et tordre, élider, comprimer, transposer, raccourcir, confondre. Mais en faisant cela, il est d’autant plus vital que l’essence d’une histoire soit protégée et respectée.

Parlant d’écrire sur des personnages réels, McCarten a dit: « Qu’ils soient vivants ou morts, vous devez toujours leur rendre justice. Vous ne pouvez pas faire de tort à leur caractère. On ne peut pas les laisser faire des choses terribles alors qu’ils n’en ont pas fait. » Comment, alors, peut-il justifier Les Deux Papes? Il traite Benoît XVI comme s’il n’était pas humain, comme s’il n’était pas vivant, comme s’il n’était pas aimé, comme s’il n’avait jamais existé. C’est scandaleux, oui, mais ce n’est pas non plus du bon art. Donner vie à une histoire est une justification insuffisante pour les niveaux d’invention, de préjugés et de partisanerie atteints ici. Le titre du film est suivi des mots sournois, « Inspiré par des événements réels. » Oui, mais cette inspiration a donné lieu à un festival de mensonges. McCarten doit des excuses à Benoît.

Certains ont observé que The Two Popes est finalement un film léger – une « sainte bromance« , un « film de copains », une sorte de remake du « couple bizarre ». Alors, détendez-vous! Et c’est à ce niveau qu’il a le plus de succès. Mais c’est aussi l’aspect le plus insidieux du film: Il vous attire en lui. Au plus profond de sa malignité et de sa morale superficielle, c’est l’histoire attachante et émouvante d’une rencontre personnelle qui est racontée. Cela signifie qu’en tant que propagande, ce film est à la fois extrêmement efficace et extrêmement dangereux.

Cela aurait pu être un meilleur film. Plus drôle, aussi. Il aurait pu commencer par une scène comme celle-ci, basée sur une histoire – peut-être apocryphe, peut-être pas, mais au pire pas plus fantaisiste que quatre-vingt-dix pour cent de ce film – qui a circulé dans l’interrègne entre l’annonce de la retraite du pape Benoît XVI et l’élection de son successeur. (si elle est vrai, elle fait aussi justice de l’idée selon laquelle le Pape Benoît n’a pas le sens de l’humour).

Au moment où l’histoire était racontée, le pape était interviewé par un journaliste et discutait du processus par lequel le nouveau pape serait élu. Le journaliste se focalisait sur le conclave à venir, et sur les questions de politique interne s’y rapportant. Le pape, agacé de cette ligne de questionnement, intervint pour réorienter la conversation.
« Bien sûr » dit-il, « c’est le Saint-Esprit qui élit le pape ». Ici, on dit qu’il a fait une pause avant de continuer. « Et le Saint-Esprit ne fait qu’occasionnellement une erreur. »

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