Deux symboles: la fenêtre éteinte, la nuit, Place Saint-Pierre dans le récit d’Aldo Maria Valli et la vigne de Benoît XVI à Castelgandolfo arrachée. Deux faits apparemment sans lien entre eux, mais qui sont en réalité étroitement connectés, renvoyant à la fracture qui s’élargit au sommet de l’Eglise et à l’oubli auquel certains voudraient aujourd’hui condamner Benoît XVI.


Le saccage de la vigne de Benoît XVI m’était passé un peu trop vite sous les yeux, actualité urgente oblige. J’y ai repensé ce matin en lisant la chronique hebdomadaire d’Andrea Gagliarducci sur son site en anglais Monday Vatican .

La destruction du vignoble de Benoît XVI dans la Résidence Papale de Castel Gandolfo est le symbole de la fin d’une époque. Benoît XVI a reçu le vignoble de la part des agriculteurs d’une association nationale italienne. Le Pape émérite a voulu qu’il soit planté sous la statue de Jésus Bon Pasteur, dans les jardins. La référence à l’Evangile était évidente. La place de la vigne sera occupée – semble-t-il – par une petite route asphaltée.

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La destruction n’était probablement pas une insulte intentionnelle au Pape émérite. Très probablement, celui qui a pris la décision ne connaissait même pas la signification de ce petit bout de terrain, où Benoît XVI avait l’habitude de marcher et de se reposer. La décision est cependant révélatrice de la situation à Rome.

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http://www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-toward-the-closing-of-an-era


Curieusement, c’est Franca Giansoldati, la vaticaniste du quotidien Il Messagero, réputée proche de François, qui s’en est fait l’écho: sans doute a-t-elle a été choquée, même si elle essaie avec plus ou moins de conviction, d’exonérer François, et elle y a consacré significativement deux beaux articles.

La vigne voulue par le Pape Benoît arrachée

Franca Giansoldati
Il Messagero
15 janvier 2020
Ma traduction

C’était un charmant vignoble de quelques rangées, à la fois poétique et symbolique. Dans un coin du jardin très cher au Pape Benoît XVI, où il aimait se promener et prier parmi les plantes, en faisant quelques pas par les chaudes soirées d’été à la recherche du bon air, pendant ses séjours dans la villa pontificale de Castelgandolfo. Ces dernières semaines, cette partie des jardins a été retournée et c’est la pauvre vigne de Ratzinger qui en a fait les frais, qui a été arrachée, déracinée et nivelée. Personne au Vatican ne veut en parler.

Certains émettent l’hypothèse que cet espace sera utilisé pour y faire passer une petite route, de construction imminente. De fait, la décision a été prise par la nouvelle direction des villas pontificales qui a donné l’ordre de démolir l’un des lieux les plus symboliques du précédent pontificat. Il est probable que le travail a été commencé sans tenir compte du fait que ce n’était pas un vignoble ordinaire, un bout de campagne comme un autre, mais qu’il représentait de façon emblématique l’Église de Benoît XVI. Lorsque les Coldiretti [Confederazione Nazionale Coltivatori Diretti: la plus importante association d’agriculteurs en Italie] lui en ont fait don, Ratzinger a voulu que les plants soient disposées à cet endroit précis, parallèlement à la statue de marbre du Bon Pasteur, pour souligner sa signification symbolique. Lorsqu’il arrivait à Castelgandolfo en hélicoptère, pour passer quelques jours en compagnie de son frère, le pontife bavarois avait une prédilection pour ce petit bout de jardin isolé et plein de verdure, où Jésus se détachait à l’arrière-plan.

Mais derrière cette vigne, il y a une histoire. Les Coldiretti choisirent ces plants avec beaucoup de soin pour célébrer la Journée mondiale pour la sauvegarde de la création et pour rappeler les toutes premières paroles que l’ancien préfet de la Congrégation de la Foi a dites à la foule après son élection en avril 2005. « Je suis un humble ouvrier dans la vigne du Seigneur. » Un passage de l’Évangile auquel le Pape émérite a toujours été lié.

Le vignoble planté en l’honneur de Ratzinger occupait quelque 1000 mètres carrés. Il était composé de vignes de « Trebbiano » (blanc) et de « Cesanese di Affile » (rouge), un vin autochtone, très ancien, dont la mémoire se perd dans les annales de l’histoire.

Les agriculteurs , venus à Castelgandolfo pour un Angélus dominical, lui expliquèrent également qu’ils allaient moderniser la petite cave avec l’équipement nécessaire à la fabrication du vin, avec les fûts en châtaignier et en chêne nécessaires au vieillissement. Puis ils confièrent leurs espoirs au Pape, parlant de leurs craintes pour un secteur en crise et pénalisé. Ils lui dirent que les paroles prononcées depuis la Loge des Bénédictions étaient un réconfort pour eux tous, étant donné le lien étroit entre la terre, la nourriture, la culture, les valeurs religieuses et la sauvegarde du territoire.
Par ailleurs, récemment, plusieurs pièces autrefois utilisées par Jean-Paul II et Benoît XVI ont également été démantelées dans le Palais de Castelgandolfo.


La vigne du Pape Ratzinger

Franca Giansolddati
Il Messagero
17 janvier 2020
Ma traduction

A l’embarras total du Vatican, les premières photos de la destruction inexplicable du vignoble de Benoît XVI, le cadeau symbolique que les Coldiretti lui ont fait lorsqu’il était en fonction, ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Les images d’aujourd’hui comparées à la situation précédente font en effet une certaine impression car elles montrent le déracinement total des rangées de vignes à l’intérieur des jardins de la villa papale de Castel Gandolfo. Ils avaient été placés juste devant la statue de Jésus Bon Pasteur, pour rappeler le passage de l’Evangile cité par Ratzinger lui-même au moment de son élection. « Je suis un humble ouvrier dans la vigne du Seigneur. »

A la place de la vigne, dans ce coin de l’immense parc, près de la fontaine de l’Orfeo, on a construit une petite route. Actuellement, elle ne mène nulle part. Là où se trouvaient autrefois les rangées de vignes de Trebbiano qui donnaient des raisins blancs et, du côté opposé, celles à partir desquelles on produisait le Cesanese di Affile, un vin rouge autochtone – s’étendant sur une extension de mille mètres carrés -, on ne voit plus que des mottes de terre enlevées et des trous. Comme cela a toujours été une vue pittoresque et emblématique, liée au Pape émérite, les touristes visitant les jardins s’arrêtaient et écoutaient l’histoire à travers les audio-guides loués. C’était une des étapes touristiques, une curiosité, aussi parce que le pontife émérite, lorsqu’il débarquait dans l’héliport voisin pour passer quelques jours de vacances au palais, passant de ce côté, pouvait admirer ses vignes. Et il le faisait à chaque fois qu’il arrivait. Aujourd’hui, beaucoup de gens se demandent qui a pris une décision que le pape François aurait certainement arrêtée. Et surtout pourquoi.
Le choix, expliquent-ils du Vatican, est techniquement imputable à la direction des Musées du Vatican dont dépend toute la zone muséale de Castelgandolfo ouverte au public par décision du Pape François. Donc, en substance, à la directrice Barbara Jatta et, surtout, au nouveau directeur des Villas Pontificales, Andrea Tamburelli, un manager tout juste engagé par le Vatican, qui vient de Peroni, la multinationale qui produit de la bière. Un détail sur lequel, hier, un cardinal a plaisanté en faisant allusion au fait que peut-être, dans ce lieu, juste devant la statue du Bon Pasteur, « l’espace s’est ouvert pour planter du houblon et faire de la bonne bière ».

Blagues et ironie mises à part, cette vilaine affaire semble presque un affront envers le pontife émérite. Au point que de l’autre côté du Tibre, il ne reste plus aujourd’hui qu’un gros malaise. On n’en avait pas besoin. D’autant plus que l’épisode a fait surface juste en même temps que l’affaire des deux papes née du livre du cardinal Robert Sarah qui, sur la question du célibat, a opposé Benoît XVI et le pape François.

La Directrice des Musées, Barbara Jatta, interrogée sur l’affaire, à travers son service de presse, a fait savoir qu’elle ne voulait (ou ne pouvait) pas en parler et n’a fourni aucun détail. Juste un « no comment » maladroit.

Ce qui se cache derrière la destruction de ce symbole du vignoble de Ratzinger est difficile à dire, probablement seulement la bévue d’un fonctionnaire zélé [!!!] qui a donné l’ordre sans savoir que la vigne était bénie et que les agriculteurs italiens l’avaient donnée au Pape de l’époque à cause des paroles prononcées.

Certains Jésuites de la Specola Vaticana – l’observatoire astronomique situé à Castelgandolfo et confié à la Compagnie de Jésus – ont fait remarquer qu’en réalité, l’endroit où se trouvaient ces vignes était non seulement exigu et plutôt hors de portée, mais que ces plantes « n’avaient jamais donné ne serait-ce qu’une grappe de raisin ».

Et pourtant cette vigne produisait un bon vin, fermenté dans les tonneaux qui avaient été données au Souverain Pontife avec les plants de Trebbiano et de Cesanese. En somme, une autre version diffusée dans l’intention d’amortir l’affaire et de la faire taire. Et ainsi le feuilleton est voué à continuer, alimentant l’affrontement – silencieux et souterrain – non pas tant entre les deux Papes mais entre l’entourage des deux pontificats [no comment, en effet!!!].


Promenade nocturne place Saint-Pierre

Samedi soir, avec ma femme et deux de mes filles, j’ai fait une promenade jusqu’à la place Saint-Pierre, un endroit que j’ai vu des milliers de fois, mais je suis toujours surpris par sa beauté et l’enchantement qu’il véhicule, surtout la nuit.

En cette dernière occasion, pourtant, il était difficile de ne pas éprouver un fort malaise. Regarder en haut, vers le palais apostolique, et ne pas voir la lumière allumée dans l’appartement papal m’a donné un sentiment de vide, même si peut-être le mot « vide » ne dit pas tout et ne dit pas bien.

Je sais, je sais. Depuis plus de six ans, l’appartement papal est vide et la fenêtre n’est ouverte que pour l’Angélus du dimanche, et pourtant il m’est venu spontanément à l’esprit le roman Roma senza papa de Guido Morselli (traduit en français: Rome sans pape), que j’aime beaucoup, et, en plus d’être orphelin de fenêtre, je me suis senti orphelin de pape.

J’ai aussi été surpris de ne pas trouver la crèche et l’arbre de Noël. Autrefois, si je me souviens bien, la crèche et l’arbre restaient sur la place jusqu’à la veille de la Chandeleur, début février. Cette année, cependant, ils ont été rapidement démantelés.

Enfin, si je dois tout dire, la sculpture Angels Unwares (Anges inconscients), placée sur le côté gauche de la place (en regardant la basilique), près de la colonnade, une œuvre en bronze et argile représentant un groupe de migrants debout sur un bateau, m’a donné une impression déplaisante. Au-delà du sens, elle m’a semblé lourde, massive, déplacée en un tel endroit: une tache sombre de réalisme socialiste où tout, au contraire, est lumière, élégance, classe, finesse.

Peut-être ai-je projeté sur la place ce qui est ma disposition d’esprit actuelle envers l’Église et la papauté, mais je ne peux pas nier que je suis parti un peu triste.

J’ai lu quelque part que Federico Fellini, le célèbre réalisateur, dans ses pérégrinations nocturnes à Rome, faisait souvent en sorte de passer par la place Saint-Pierre juste pour regarder la fenêtre: savoir que le Pape était là le rassurait. C’était la même chose pour moi, jusqu’à Benoît XVI, alors qu’aujourd’hui le palais apostolique, sans lumière et sans locataire, au lieu de me rassurer m’inquiète. Ses pièces sombres et froides seraient-elles habitées par des fantômes ?

Dans le roman de Morselli (que j’ai bien lu dix fois), à un certain moment, un personnage dit: « Rome sans le pape est une ruine. Une femme sans mari ». Or, je ne suis pas romain, mais ambroisien [de Milan], et même si j’ai vécu à Rome pendant de nombreuses années, je ne peux pas dire ce que ressent un civis romanus devant la fenêtre obscure. Comme simple fidèle, une parole s’élève de mon cœur, et c’est encore une fois une parole morsellienne: dissipatio. Voilà: « dissipation » parle mieux que « vide ». C’est comme se trouver devant un grand trésor qui a été dispersé, une source d’énergie qui ne transmet plus sa charge, ou qui la transmet de façon faible et rabougrie.

Après la promenade, je rentre chez moi, j’allume l’ordinateur et je trouve le mail d’un ami qui depuis un certain temps m’invite à réfléchir sur l’impossibilité d’avoir un pape émérite. Je le résume en mots simples (canonistes, je m’excuse): comme on ne reçoit pas de consécration comme pape, quand un pape renonce au pontificat, il ne peut pas devenir pape émérite, parce qu’il n’est plus pape. Il ne redevient même pas cardinal, mais évêque, et c’est tout. Par conséquent, Benoît XVI, avec la renonciation au ministerium mais pas au munus (c’est-à-dire à l’exercice actif, mais pas au mandat) a fait quelque chose qu’il ne pouvait pas faire et donc sa renonciation n’est pas valable. Mais si sa renonciation est invalide, le conclave qui a suivi l’est aussi, tout comme le pape qui est sorti de ce conclave.

J’ai la tête qui tourne. Et si l’ami avait raison ?

Je me souviens encore du héro de « Rome sans pape »: alors qu’il erre parmi les « tiges colossales » de la colonnade du Bernin, il se rend compte que son cœur est en ébullition. Que se passe-t-il? Eh bien, là-bas, une procession avec les gardes, les dignitaires, les flambeaux! Le pape! Mais non. C’est juste un plan de « 3 D Movielife« , autrement dit « cinéma en trois dimensions », y compris l’effet touch, qui vous permet même de toucher la main du pape. Mais en vrai, le pape n’est pas là.

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