Dimanche dernier, jour de Pâques, le Pape a adressé un message surréaliste à ses « chers amis » des Mouvements sociaux ». Il faut se pincer pour admettre que cette prose qui évoque le Manifeste du parti communiste de Karl Marx émane du Vicaire du Christ et non d’une sorte de leader de la gauche mondiale.

Afin de lire avec profit le commentaire proposé ci-aprèspar un correspondant régulier de Marco Tosatti, Giovanni Formicola, il faut commencer par lire la lettre papale, ou plutôt la version « officielle » en français (cf. Annexe) dûment polie par quelque fonctionnaire zélé des bureaux du Vatican: le texte original, en espagnol, est paru le jour de Pâques, de surcroît en plein pic de l’épidémie coronavirus, sur le site du journal espagnol de gauche « El Païs » (c’est cette version qui est reprise par Giovanni Formicola), dans l’indifférence des médias sécularistes et le silence gêné de la presse catholique bien-pensante: décidément, de ce Pape, plus rien ne surprend, et on l’écoute de moins en moins).


Formicola et la dérive marxisante du pontificat

À Pâques, Jorge Mario Bergoglio a envoyé une lettre (voir aussi ici) aux mouvements dits populaires – ou mieux, prétendus -, qui sont, selon moi, la sentine dans laquelle s’écoulent toutes les eaux usées idéologiques de la pire modernité, du communisme à l’ancienne, au radicalisme de masse, jusqu’à l’idolâtrie écologiste de la terre-mère et à l’immigrationisme subversif.

Jorge Mario Bergoglio n’a jamais fait confiance à ceux qui luttent pour le droit à la vie, contre l’anoblissement (comme le déplorait le très regretté cardinal Caffarra, un autre à qui il ne voulait pas faire confiance) et l’institutionnalisation de la relation homoérotique et l’endoctrinement d’état LGBT et gender. Une confiance qu’il n’a pas lésiné, par contre, à ces personnes, comme le montre avec une clarté absolue la synthèse inégalée de Sandro Magister, à laquelle je renvoie.

Et ainsi, le jour de Pâques, il a écrit à ces « chers amis », proposant pour la énième fois un projet commun de développement humain intégral, basé sur les trois « T » « terre, toit et travail » [Tierra, techo, trabajo]. Aux fins de ce « développement humain intégral », évidemment, Dieu, Jésus-Christ – même pas le jour où l’on rappelle l’affirmation totale de sa divinité – et l’Église n’ont pas leur place. Aussi parce que s’il les les nommait comme constitutifs de leur horizon « mouvementé », peut-être que la chère amitié qui les lie se dissoudrait immédiatement.

Mais cette fois, il va au-delà des trois « T ». Et ce qui est frappant, une fois de plus, c’est le pathos qui soutient sa parole, son écriture. Un pathos qui, à mon avis, ne se retrouve pas lorsqu’il s’adresse à de tout autres milieux et traite de questions graves.

Son regard prend pour point de départ la pandémie en cours – qui semble l’inquiéter bien plus que la crise de foi dévastatrice qui intronise chaque jour davantage l’abomination de la désolation dans notre monde, et même jusque dans le temple. Naturellement, il faut la combattre. Et donc, si la métaphore guerrière en vogue est valable, « c’est une guerre, la guerre contre le COVID 19 », il écrit à ses queridos amigos que « c’est une véritable armée invisible qui se bat dans les tranchées les plus dangereuses » (si seulement il en avait dit la moitié à ceux qui militent pour la vie et pour la civilisation chrétienne). Bien sûr, une armée, seulement équipée « de solidarité, d’espoir et de sens de la communauté ». Ce sont des « poètes sociaux », qui toutefois “pretenden superar la mera filantropía a través la organización comunitaria o reclamar por sus derechos en vez de quedarse resignados esperando a ver si cae alguna migaja de los que detentan el poder económico”. (Ils prétendent dépasser la simple philanthropie à travers l’organisation communautaire, ou revendiquent leurs droits au lieu de rester assis tranquillement, résignés, espérant (mais aussi ‘attendant’) de voir si une miette tombe de ceux qui détiennent le pouvoir économique).

J’ai même transcrit le texte original espagnol afin qu’on puisse vérifier si ma traduction exagère les concepts. Parce que la chose est vraiment inquiétante. Quiconque a un minimum de familiarité avec la littérature communiste (ce n’est pas une coquille, communiste, pas anticommuniste), reconnaît facilement la « terreur » inquiète qui tenaillait déjà Marx et Engels à propos d’une amélioration « philanthropique » des conditions du prolétariat, qui en aurait atténué la « vis » [force] révolutionnaire – parce que ce n’était que dans ce but qu’ils s’occupaient des « pauvres », qui étaient un prétexte, un peu comme Judas devant le gaspillage d’huile précieuse sur le corps de Jésus (Jn 12, 3-6).

On y reconnaît e lemme « droits » pour la revendication de s’emparer de ce qui est aux autres en abolissant la propriété privée et en bouleversant l’ordre socio-économique. On y reconnaît le primat de l’organisation révolutionnaire, qui excite l’envie et la colère sociales et prépare le climat de « lutte de classe continue », par rapport à tout ce qui peut atténuer les situations de malaise, et même les éventuelles injustices (ce n’est pas un hasard si le péché de léser l’employé de son salaire crie devant Dieu, comme la sodomie,), en fonction de la paix sociale, qui ici, comme dans le plus pur langage révolutionnaire marxiste-léniniste, est appelée « résignation ».

Après quoi, la lettre invite à réaliser un nouvel ordre, où tant le marché que l’État sont remplacés par une sorte de socialisme autogéré (il ne dit pas le nom, mais la chose), centré sur « les personnes, les communautés, les peuples », qui ne semble être rien d’autre que la perspective finale du communisme de Marx, Engels et Lénine, c’est-à-dire l’extinction de l’État (le marché est maudit dès le début), pour être remplacé par une gestion coopérative de la vie sociale et économique.

Bien sûr, ce sont ses queridos amigos, car ils produisent des aliments sans « détruire la nature » [sic !!!] et ne « jouissent pas des plaisirs superficiels qui anesthésient tant de consciences ». Comme pour dire que les effets du péché originel résident ailleurs, dans les foyers des riches, des puissants, peut-être des réactionnaires qui n’aiment pas, ou plutôt qui combattent, les Mouvements Populaires, dont les composantes sont décrites sans aucun défaut ni vice, un peu comme les natifs Amazoniens.

Il les incite ensuitr à poursuivre leur lutte – dans laquelle chaque homme de bien devrait prendre parti – et propose même de leur accorder “un salario universal que reconozca y dignifique las nobles e insustituibles tareas que realizan”. Et là, je refuse de traduire.

Certains pourraient penser que Jorge Mario Bergoglio se propose comme leader moral d’un mouvement révolutionnaire mondial. Espérons qu’ils se trompent. Parce que ce serait un tantinet dangereux pour l’ordre social et la paix, qui au fond sont les deux faces de la même médaille du bien commun.

Giovanni Formicola


Annexe

Aux frères et aux sœurs
des mouvements et organisations populaires

Chers amis,

Je pense souvent à nos rencontres : deux au Vatican et une à Santa Cruz de la Sierra et je vous avoue que ce « souvenir » me fait du bien, me rapproche de vous, me fait repenser à tant de discussions partagées durant ces rencontres et aux nombreux projets qui en sont nés et y ont mûri, et dont beaucoup sont devenus réalité. Aujourd’hui, en pleine pandémie, je pense particulièrement à vous et je tiens à vous dire que je suis à vos côtés.

En ces jours de grande angoisse et de difficultés, nombreux sont ceux qui ont parlé de la pandémie dont nous souffrons en utilisant des métaphores guerrières. Si la lutte contre le COVID-19 est une guerre, alors vous êtes une véritable armée invisible qui combattez dans les tranchées les plus périlleuses. Une armée sans autres armes que la solidarité, l’espoir et le sens de la communauté qui renaissent en ces jours où personne ne peut s’en sortir seul. Vous êtes pour moi, comme je vous l’ai dit lors de nos rencontres, de véritables poètes sociaux qui, depuis les périphéries oubliées, apportez des solutions dignes aux problèmes les plus graves de ceux qui sont exclus.

Je sais que très souvent vous n’êtes pas reconnus comme il se doit, car dans ce système vous êtes véritablement invisibles. Les solutions prônées par le marché n’atteignent pas les périphéries, pas plus que la présence protectrice de l’État. Vous n’avez pas non plus les ressources nécessaires pour remplir sa fonction. Vous êtes considérés avec méfiance parce que vous dépassez la simple philanthropie à travers l’organisation communautaire, ou parce que vous revendiquez vos droits au lieu de vous résigner et d’attendre que tombent les miettes de ceux qui détiennent le pouvoir économique. Vous éprouvez souvent de la colère et de l’impuissance face aux inégalités qui persistent, même lorsqu’il n’y a plus d’excuses pour maintenir les privilèges. Toutefois, vous ne vous renfermez pas dans la plainte : vous retroussez vos manches et vous continuez à travailler pour vos familles, pour vos quartiers, pour le bien commun. Votre attitude m’aide, m’interroge et m’apprend beaucoup.

Je pense aux personnes, surtout des femmes, qui multiplient le pain dans les cantines communautaires, en préparant avec deux oignons et un paquet de riz un délicieux ragoût pour des centaines d’enfants ; je pense aux malades, je pense aux personnes âgées. Les grands médias les ignorent. Pas plus qu’on ne parle des paysans ou des petits agriculteurs qui continuent à travailler pour produire de la nourriture sans détruire la nature, sans l’accaparer ni spéculer avec les besoins du peuple. Je veux que vous sachiez que notre Père céleste vous regarde, vous apprécie, vous reconnaît et vous soutient dans votre choix.

Comme il est difficile de rester chez soi pour ceux qui vivent dans un petit logement précaire ou qui sont directement sans toit. Comme cela est difficile pour les migrants, pour les personnes privées de liberté ou pour celles qui se soignent d’une addiction. Vous êtes là, physiquement présents auprès d’eux, pour rendre les choses plus faciles et moins douloureuses. Je vous félicite et je vous remercie de tout mon cœur. J’espère que les gouvernements comprendront que les paradigmes technocratiques (qu’ils soient étatistes ou fondés sur le marché) ne suffisent pas pour affronter cette crise, ni d’ailleurs les autres grands problèmes de l’humanité. Aujourd’hui plus que jamais, ce sont les personnes, les communautés, les peuples qui doivent être au centre de tout, unis pour soigner, pour sauvegarder, pour partager.

Je sais que vous avez été privés des bénéfices de la mondialisation. Vous ne jouissez pas de ces plaisirs superficiels qui anesthésient tant de consciences. Et pourtant, vous en subissez toujours les préjudices. Les maux qui affligent tout un chacun vous frappent doublement. Beaucoup d’entre vous vivent au jour le jour sans aucune garantie juridique pour vous protéger. Les vendeurs ambulants, les recycleurs, les forains, les petits paysans, les bâtisseurs, les couturiers, ceux qui accomplissent différents travaux de soins. Vous, les travailleurs informels, indépendants ou de l’économie populaire, n’avez pas de salaire fixe pour résister à ce moment… et les quarantaines vous deviennent insupportables. Sans doute est-il temps de penser à un salaire universel qui reconnaisse et rende leur dignité aux nobles tâches irremplaçables que vous effectuez, un salaire capable de garantir et de faire de ce slogan, si humain et chrétien, une réalité: pas de travailleur sans droits.

Je voudrais aussi vous inviter à penser à « l’après », car cette tourmente va s’achever et ses graves conséquences se font déjà sentir. Vous ne vivez pas dans l’improvisation, vous avez une culture, une méthodologie, mais surtout la sagesse pétrie du ressenti de la souffrance de l’autre comme la vôtre. Je veux que nous pensions au projet de développement humain intégral auquel nous aspirons, fondé sur le rôle central des peuples dans toute leur diversité et sur l’accès universel aux trois T que vous défendez : terre, toit et travail. J’espère que cette période de danger nous fera abandonner le pilotage automatique, secouera nos consciences endormies et permettra une conversion humaniste et écologique pour mettre fin à l’idolâtrie de l’argent et pour placer la dignité et la vie au centre de l’existence. Notre civilisation, si compétitive et individualiste, avec ses rythmes frénétiques de production et de consommation, ses luxes excessifs et des profits démesurés pour quelques-uns, doit être freinée, se repenser, se régénérer. Vous êtes des bâtisseurs indispensables à ce changement inéluctable. Je dirais même plus, vous avez une voix qualifiée pour témoigner que cela est possible. Vous connaissez bien les crises et les privations… que vous parvenez à transformer avec pudeur, dignité, engagement, effort et solidarité, en promesse de vie pour vos familles et vos communautés.

Continuez à lutter et à prendre soin de chacun de vous comme des frères et sœurs. Je prie pour vous, je prie avec vous et je demande à Dieu, notre Père, de vous bénir, de vous combler de son amour et de vous protéger sur ce chemin, en vous donnant la force qui nous permet de rester debout et qui ne nous déçoit pas : l’espoir. Veuillez aussi prier pour moi, car j’en ai besoin.

Fraternellement,

François

Cité du Vatican, dimanche de Pâques, le 12 avril 2020
(w2.vatican.va)

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