Aujourd’hui, le génial auteur de « 1984 » subit une instrumentalisation éhontée de la part des propagandistes eux-mêmes du nouveau conformisme qu’il avait dénoncé avant la lettre et Big Brother est à toutes les sauces. Mais si son œuvre est tombée dans le domaine public et donc exploitable librement par les faussaires, son message reste plus que jamais actuel. Formidable piqûre de rappel de Marcello Veneziani.

(Ma traduction, j’ai laissé tomber ce qui était plus spécifiquement lié à la situation italienne)

Si l’on me demandait quel auteur du passé, de notre XXe siècle surencombré, est le plus actuel pour notre présent, je n’hésiterais pas à citer George Orwell. Il est plus actuel aujourd’hui qu’à son époque, et le sera probablement encore plus à l’avenir. Mort le 21 janvier 1950 et donc rééditable librement avec des droits d’auteur aujourd’hui expirés, 70 ans après sa mort, Orwell – né Eric Arthur Blair – est l’auteur le plus vivant à l’époque du politiquement correct et de la cancel culture, de Big Brother et de la dictature sanitaire, de la pandémie et de la surveillance mondiale, des fake news, de la novlangue et de la censure dans les réseaux sociaux et sur internet.

Avec son 1984, sa Ferme des animaux, son néo-totalitarisme qui prétend être libre, humain et démocratique, il réussit à nous donner les clés pour expliquer le présent. En réalité, il est l’auteur le plus cité et le plus manipulé. La chose terrible et la plus « orwellienne » qui lui soit arrivée est précisément celle d’être cité et utilisé par les gardiens, propagandistes et opérateurs eux-mêmes du nouveau conformisme dystopique, qu’il avait dénoncé ante-litteram [voici un échantillon, ndt]. Décrivant les totalitarismes de son temps, Orwell dans les années 1940 prétendait décrire un futur aujourd’hui déjà passé, 1984 ; mais plus encore il a peint le totalitarisme de notre futur actuel, sur des bases bio-technologiques et psycho-linguistiques.

Quand, par exemple, Orwell dit que l’âme du socialisme (baptisé Socing) est dans la double pensée, avec ses schizophrénies qui accueillent « simultanément deux opinions contradictoires, en les acceptant toutes les deux ». « Dire des mensonges et les croire réellement » est à la base de la double pensée. La manipulation bipolaire devient évidente quand la même action ou le même mot prend des valeurs opposées selon celui qui les prononce ou les exécute. Le langage et la pensée se corrompent mutuellement, et en devenant des actions, ils corrompent le monde: on ne peut pas s’empêcher de penser au présent.

Quand Orwell affirme que Big Brother manipule le passé, qui devient sujet à mutation (contrairement au futur, déjà écrit), on sent comme une odeur d’historiquement correct. Ou encore l’hypocrisie de la langue, les camps de concentration rebaptisés camposvago, le ministère de la guerre qui devient ministère de la paix; la disparition de mots comme honneur, morale, religion, etc., ressemblent à s’y méprendre aux fictions lexicales d’aujourd’hui telles que malvoyants, personne en situation de handicap, opérateur écologique (éboueur), collaborateur scolaire (concierge) et toute la rhétorique sur les gays, les noirs, les migrants. Et à un autre niveau, le serment sacré pour être admis au sein du Parti, la disponibilité à falsifier et à corrompre, à faire chanter et à persécuter, et même « à vendre son pays à des puissances étrangères » suscitent l’inquiétude. Tout comme l’égalitarisme, aggravé – comme dans la Ferme des animaux – par le correctif selon lequel certains « sont plus égaux que d’autres ». Orwell a décrit le communisme de son temps mais aussi le Big Brother qui se glisse dans le présent et menace notre avenir.

Orwell, antifasciste, documente dans un de ses essais le consensus international dont Mussolini a bénéficié et note : « Il n’y a pas un seul de ses méfaits qui n’ait été hautement apprécié par les personnes mêmes qui veulent maintenant le juger … comment est-il possible qu’une action jugée louable au moment où elle a été commise, devienne soudainement condamnable? »

Orwell n’était pas conservateur mais social-démocrate, il est allé se battre pour la république antifasciste en Espagne, mais après avoir vu les horreurs commises par les communistes et après avoir été accusé d’être un traître au trotskisme, du côté de Franco, il a compris que le principal mal était le communisme et l’a dénoncé en des termes sans équivoque. La même expérience a été vécue par Randolfo Pacciardi et Simone Weil, qui se sont précipités en Espagne pour la guerre républicaine et antifasciste et ont été horrifiés par les abominations et les crimes des communistes contre les phalangistes, les gens ordinaires, les adolescents, les religieuses et les religieux, voire les anarchistes.

En 1949, Aldous Huxley écrivit à Orwell que le cauchemar de 1984 coïncide avec celui qu’il décrit dans Le Meilleur des Mondes: les maîtres du monde inciteraient les gens à aimer leur esclavage. La séduction anesthésie l’humanité.

L’appendice de 1984 est inquiétant: Orwell prévoit qu’avec le XXIe siècle, il y aurait une mutation de la langue et de la littérature, retraduite dans la nouvelle idéologie, avec le projet d’arriver au milieu du siècle à l’adoption complète de la novlangue. Nous avons pris de l’avance. Le langage falsifié, le politiquement correct, la vigilance idéologico-sanitaire, le passé effacé et réécrit, le régime des géants du web, la montée mondiale de la Chine communiste et son virus global sont des signes qu’Orwell est malheureusement plus vivant que jamais. Ses droits ont expiré, mais pas ses avertissements.

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