Stefano Fontana vient de publier un livre sur la pensée de Benoît XVI, considérée sous l’angle théologique, philosophique, politique. Tout en reconnaissant son rôle de katechon dans la dissolution de la foi, il pointe sans concession les limites et les échecs, se demandant « pourquoi tant de choses vraies qu’il a dites ont-elles mal tourné? ». Mais en même temps, il salue la volonté de réconcilier foi et raison, et souligne la « formidable » (sic!) défense de « la centralité de Dieu sur la place publique ».

Comprendre Benoît XVI, une exigence de pensée et de foi

Stefano Fontana
La NBQ
27 mars 2021
Ma traduction

Ratzinger a retenu la dissolution de la foi catholique, défendant ce qui devait être défendu, mais n’a pas réussi à fermer le cercle (boucler la boucle). Il a refondé la relation essentielle entre la foi et la raison, et soutenu des thèses formidables sur la centralité de Dieu sur la place publique. Dans certains jugements sur la modernité, comme sur les Lumières, il n’a pas été aussi convaincant. L’évaluation de sa pensée est fondamentale. Présentation du livre Capire Benedetto XVI. Tradizione e modernità ultimo appuntamento (Comprendre Benoît XVI. Tradition et modernité: dernier rendez-vous).

Comprendre Benoît XVI est une exigence de pensée et de foi. En lui, tradition et modernité se sont donné un dernier rendez-vous. Il a retenu (comme un Katechon) la dissolution de la foi catholique, défendant ce qui devait être défendu et répétant ce qui devait être répété, mais il n’a pas été capable de boucler la boucle et de mettre en sûreté le navire contre la tempête. Certains disent qu’il a été vaincu sur tous les fronts et que le modernisme a fini par l’emporter, certains disent que l’issue était inévitable étant donné que même sa pensée, au fond mais pas en totalité, dépendait des res novae [révolutions] d’une modernité niant la tradition.

D’autres au contraire pensent – comme moi – que Benoît XVI a indiqué de nombreux points fixes en contraste évident avec la tendance du modernisme à dissoudre l’Église dans le monde et la transcendance dans l’histoire, mais qu’il n’a pas achevé le travail que ces mêmes points fixes qu’il a énoncés exigeaient par cohérence interne. Il a dit beaucoup de choses mais n’a pas tout dit. Son pontificat est resté inachevé non seulement en raison de sa démission, mais aussi du point de vue de la pensée théologique. Il a éclairé de nombreux problèmes mais n’est pas venu indiquer la solution.

Evaluer la pensée théologique de Benoît XVI revêt une importance fondamentale. En le faisant, on finit par évaluer beaucoup plus. Sa théologie a été le fruit le plus élevé de toute la période conciliaire et post-conciliaire : l’évaluer dans son ensemble implique aussi d’évaluer toute cette période. Faire son bilan, c’est comprendre pourquoi tant de choses vraies qu’il a dites ont mal tourné. Pourquoi la théologie de la libération, qu’il avait condamnée, a-t-elle ensuite été réhabilitée ? Pourquoi la « Cour des Gentils », comprise par lui d’une certaine manière, s’est-elle retrouvée dans les initiatives mondaines et radicalisantes de Ravasi ? Pourquoi le dialogue avec la pensée laïque (les  » athées dévots « ) basé sur le concept de  » laïcité ouverte  » n’a-t-il pas tenu et qu’au contraire une laïcité exaspérée s’est imposée ? Pourquoi, alors qu’il a dit que les religions pouvaient être « ensemble pour prier », mais pas pour « prier ensemble », fait-on maintenant le contraire ? Pourquoi ne parle-t-on plus de principes non négociables, ni de droit naturel ? Pourquoi la foi, dont il disait qu’elle était « un état », se liquéfie-t-elle avec la prévalence d’un discernement mal compris fait en conscience ? A-t-il eu tout faux? Ou était-il lui-même complice? Ou – comme je le pense – a-t-il fait une énorme tentative mais ne l’a pas menée à bien ? Y a-t-il dans sa pensée des exigences incomplètement satisfaites? Pouvons-nous partir d’elles pour récupérer certaines pièces manquantes et mettre de l’ordre dans le grand problème de la relation entre tradition et modernité ?

Benoît XVI a fondé ou refondé la relation essentielle entre la foi et la raison avec sa centralité du Logos. Son discours à l’université de Ratisbonne vaut un pontificat entier. Pour lui, quand la raison se détache de la foi, elle finit par s’autolimiter et tomber dans le relativisme (qui se transforme ensuite en dictature). Dans ce domaine, ses enseignements sont d’une importance extraordinaire. En revanche, son jugement sur la modernité, c’est-à-dire sur le moment où ce détachement s’est produit pour la première fois et avec des conséquences désastreuses, n’est pas aussi tranché. Ses critiques du rationalisme de la philosophie moderne sont variées et profondes, mais elles ne vont pas à la racine. Si, à de nombreuses reprises, il critique la modernité, à d’autres, il l’exalte. Par exemple, il apprécie les Lumières et dans son discours au Parlement allemand en 2011, il fait dépendre les Lumières, la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution allemande elle-même du christianisme. Il fait la distinction entre une conception radicale des Lumières et une conception libérale sans toutefois tenir compte du fait que toutes deux constituent une menace pour la foi. Son éloge de la solution américaine aux relations entre politique et religion, manifesté à plusieurs reprises, ne convainc pas totalement.

En ce qui concerne la centralité de Dieu sur la place publique, la pensée de Benoît XVI présente des traits formidables, ayant soutenu courageusement des thèses que la théologie conciliariste considère comme dépassées et qui sont au contraire vraies et actuelles: « Celui qui défend Dieu défend l’homme », « seul celui qui connaît Dieu connaît la réalité et peut en disposer de manière adéquate », « celui qui exclut Dieu de son horizon falsifie le concept de réalité ». Des déclarations qui feraient frémir un Rahner ressuscité. À Westminster Hall en 2010, il avait déclaré qu’il n’y a pas seulement « les droits des croyants à la liberté de conscience et de religion, mais aussi le rôle légitime de la religion dans la sphère publique », réaffirmant ainsi le rôle public du Dieu chrétien, à la fois comme Créateur et Rédempteur. Mais en fin de compte, la contribution de la religion (et de l’Église) est réduite à la fonction de fonder les exigences morales de la politique, excluant ainsi un rapport avec les exigences religieuses, qui ne vivraient que dans la conscience des croyants et non dans les institutions et les lois.

Tous ces problèmes (et d’autres) peuvent se résumer dans l’image du baron de Münchhausen. Il était tombé dans un marécage, mais il ne s’est pas inquiété car il lui aurait suffi de se saisir par les cheveux et de se hisser sur la rive. La grandeur de la pensée de Benoît XVI est d’avoir développé une critique de cette prétention, qui est celle de la modernité, sans toutefois parvenir à clore le jeu.


N.B. Les réflexions exposées ici sont approfondies dans le livre récemment publié « Capire Benedetto XVI. Tradizione e modernità ultimo appuntamento » (ed Cantagalli, pp. 120) écrit par l’auteur de cet article, Stefano Fontana.

Le livre est disponible sur Amazon au prix de 10 euros (ndt)

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