Alors que ses prédécesseurs avaient tout fait pour maintenir au moins une apparence d’unité en évitant la confrontation directe, avec le motu proprio Traditionis Custodes , François (qui a déçu ses soutiens, y compris la frange la plus libérale) fait aujourd’hui de cette guerre civile une réalité concrète: le divorce au sein de l’Eglise, entre deux partis irréconciliables n’est plus une théorie mais un fait… Et elle est destinée à perdurer, à moins que le Pape change d’approche. C’est du moins le vœu (pieux!) d’Andrea Gagliarducci dans une analyse un peu plus critique qu’à l’habitude.

Le Pape François et la guerre civile dans l’Eglise

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
9 août 2021
Ma traduction

Le 5 août dernier, le journal italien Il Foglio a publié une lettre d’un groupe de laïcs adressée au pape François. La lettre, reprenant le titre du dernier livre d’Andrea Riccardi, « La Chiesa brucia », veut mettre en lumière une profonde détresse que vit l’Eglise. Transformée – disent les auteurs de la lettre – en un « hôpital de campagne » à travers les nombreuses blessures qu’elle a provoquées. Les auteurs dénoncent également l’échec de l’Église « en sortie ».

Une lettre qui rappelle différentes situations de signe opposé : de l’absence de réponses aux cardinaux qui ont interrogé le pape François sur Amoris Laetitia à l’histoire d’Enzo Bianchi, qui semblait être l’un des favoris du pape, en passant par la marginalisation de nombreux autres personnages, surtout les cardinaux Pell, Sarah et Burke.

La lettre se termine par un constat amer : nous sommes confrontés à un climat « devenu lourd, presque irrespirable », et « l’Église mère semble de plus en plus une marâtre, impose anathèmes, excommunications, commissariats, à un rythme continu. »

Les auteurs de la lettre demandent donc au Pape de mettre fin « à cette guerre civile dans l’Église, comme un Père qui regarde le bien de tous ses enfants, et non comme le chef d’un courant clérical qui semble vouloir utiliser son autorité monarchique, jusqu’au bout, souvent au-delà des limites du droit canonique, pour réaliser un agenda idéologique personnel ».

Ce sont là de graves accusations portées contre le pape. Elles représentent néanmoins un sentiment répandu, quelque chose que l’on entend dans les couloirs. Ce qui est frappant, c’est qu’il s’agit d’un sentiment général tant chez ceux qui divergent du pape François que chez ceux qui l’ont toujours soutenu.

L’absence de sens institutionnel chez le Pape, son personnalisme et ses discours sur des questions sociales plutôt que théologiques avaient donné au monde progressiste l’espoir que le pape François changerait l’Église. Mais, bien sûr, tout le monde n’a pas toujours soutenu cette idée, et même parmi les partisans, certains ont parfois émis des doutes polis sur l’efficacité des réformes.

Il ne faisait cependant aucun doute que le Pape incarnait les réformes qu’ils souhaitaient. En résumé : moins de cléricalisme, ou moins de centralité du sacerdoce ; moins de doctrine, plus de pragmatisme dans le dialogue ; moins d’identité chrétienne, au profit d’une plus grande adaptation au monde.

Le pape François ne les a pas seulement déçus d’un point de vue doctrinal, car en fin de compte, la doctrine de l’Église n’a pas changé. Le pape François les a déçus lorsqu’il a montré qu’il ne se souciait d’aucune des parties concernées. L’exil imposé à Enzo Bianchi, contraint de quitter la maison qu’il avait fondée sans possibilité de recours, a été une sonnette d’alarme, peut-être définitive. Mais ce n’était pas la seule.

Ainsi, la guerre civile dans l’Église est devenue une réalité concrète. Le motu proprio Traditions Custodes, qui abolit la libéralisation voulue par Benoît XVI de la messe en rite ancien, a remis au centre le débat au sein de l’Église. Deux visions du monde s’affrontent, comme cela arrive toujours lorsque les choses sont particulièrement importantes. L’une de ces visions du monde est sans aucun doute une vision plus séculaire et sécularisée, l’autre une vision plus spirituelle. Il s’agit d’une lutte titanesque, qui ne peut être résolue que par la synthèse, et certainement pas par la confrontation.

Incroyable mais vrai, Jean XXIII était à la recherche d’une synthèse. Et Paul VI aussi, qui, lors de la rédaction d’Humanae Vitae, est arrivé au projet final en écoutant tout le monde, sans exclusion, en essayant d’intégrer les pensées de chacun.

Jean-Paul II voulait la réconciliation, à tel point que même l’excommunication latae sententiae de quatre évêques lefebvristes nouvellement consacrés sans le consentement de Rome n’était que le dernier recours, après d’innombrables tentatives infructueuses de dialogue.

On a fait de même avec la théologie de la libération, qui n’a pas été condamnée in toto mais reconnue dans certains de ses aspects positifs. Ceci pour donner quelques exemples.

Benoît XVI a poursuivi dans cette voie. Il l’avait fait, par exemple, précisément sur le thème de la messe avec le rite ancien. Dans la pratique, les oppositions ont été désarmées, accordant ce qu’il était licite d’accorder, mais demandant tout ce qui devait être demandé en termes de fidélité.

L’approche du Pape François est en revanche différente. Pour le Pape, il s’agit d’établir des règles que tout le monde doit suivre dans l’acte de centralisation qui ne semble pas bien s’aligner avec la synodalité qu’il a prêchée.

Le Pape François ne veut pas éviter les conflits ou les rendre inutiles. Au contraire, il veut l’emporter. Pour cela, il impose sa volonté à un moment donné, avec les moyens qu’il a et la manière qu’il connaît. Ainsi, la guerre civile dans l’Église n’a pas seulement recommencé, elle ne connaîtra pas de fin.

Mais est-ce bon pour l’Église ? L’Église catholique n’a jamais été divisée car il y a toujours eu une pluralité en son sein. Mais ici, il manque parfois cette continuité avec le Pape qui fait que les catholiques se sentent mis à l’écart, marginalisés, incapables de comprendre.

La guerre civile, en un mot, est destinée à perdurer, à moins que le Pape ne jette de grands ponts de réconciliation. À moins que le Pape ne se décide enfin à changer d’approche.

Share This