Après huit années d’un pontificat qui s’épuise, les contradictions de François explosent. Les bergogliâtres incurables qui persistent à « grimper aux miroirs » (arrampicarsi sugli specchi, disent les italiens) sont une espèce en voie de disparition et l’Eglise « en sortie » est devenue plus fermée que jamais: la miséricorde, autrefois associée au conditionnel, se conjugue désormais au plus-que-parfait, et elle est devenue le masque d’une féroce chasse à l’ « ennemi » (populiste, souverainiste et attaché à la Tradition); la synodalité cache un des gouvernements les plus autocratiques, voire les plus dictatoriaux, de l’histoire de l’Eglise; et la transparence proclamée (pédophilie, finances) est un écran de fumée qui cache de plus en plus mal l’arbitraire et la justice bafouée (*). Le Pape contourne toute la structure de l’Eglise-Institution, et gouverne essentiellement à coups de motu proprio (**). Mais de tout cela, bien sûr, personne ne parle dans les media mainstream, ce qui explique le reste de popularité dont continue à jouir ce Pape: les gens ne savent pas…
Et pour 2022, que faut-il attendre? Andrea Gagliarducci et AM Valli brossent, chacun à sa façon, le tableau d’une fin de règne délétère.

(*) Lire la synthèse publiée par Sandro Magister le 2 novembre dernier sous le titre on ne peut plus explicite: François législateur suprême ? Non, fossoyeur du droit

(**) Voici ce que j’écrivais le 2 mai dernier (cf. Encore un motu proprio!):

A l’instar de Super Joe (Biden), le Pape légifère à tout va – à coup de motu proprio. Depuis son élection, il en a publié 42, dont trois au cours du dernier mois (par comparaison, durant ses 8 ans de Pontificat, Benoît XVI en a promulgué 12!): après ceux sur la transparence dans la gestion des finances du Vatican, et les dépenses du personnel, le dernier, en date du 30 avril, concerne « les organismes judiciaires de l’Etat de la Cité du Vatican ». Que signifie cette frénésie législative?

Imprévisibilité, fermeture et décisions de imperio. Tout tourne autour de la figure du pape François : ce qu’il faut attendre du pontificat cette année

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
3 janvier 2022
(Le titre est celui de Vik van Brantegem sur korazym.org)

L’année 2021 ne s’est pas achevée, comme beaucoup s’y attendaient, par la réforme de la Curie romaine. En revanche, l’année 2022 pourrait commencer par l’annonce d’un nouveau Consistoire, qui devait avoir lieu en novembre et qui devrait plutôt avoir lieu en février.

L’année 2021 du pape François a été une année de changement de cap. C’est non seulement une année encore marquée par la pandémie, mais aussi une année où les problèmes de santé du pape François sont devenus apparents. Tout d’abord, une sciatique l’a obligé à reporter sa rencontre traditionnelle de début d’année avec le corps diplomatique. Ensuite, une diverticulite a nécessité l’ablation de 33 centimètres de ses intestins et un long séjour à l’hôpital.

Le pape François s’est plaint, après son hospitalisation, que les préparatifs de la succession étaient déjà en cours. Et c’est probablement à ce moment-là qu’il a décidé que ses décisions devaient être encore moins prévisibles. Il y a plusieurs fonctionnaires à changer et une Curie à réformer. Mais le pape ne le fera probablement pas de manière traditionnelle. Au contraire, il cachera ses agissements jusqu’à la fin.

Ainsi, l’Église sortante du pape François semble être devenue une Église qui se referme sur elle-même. Elle se referme sur les décisions du pape, qui sortent souvent de nulle part, ainsi que sur ses déclarations publiques, qui laissent parfois perplexe. Elle se referme alors que la réforme de la Curie n’est pas achevée, mais que les dirigeants changent, tandis que le pape nomme des commissions qui semblent avoir davantage pour but d’intimider que de réaliser un véritable travail.

En fait, l’inspection de la Congrégation pour le culte divin a duré à peu près une semaine, moins encore que celle de la Congrégation pour le clergé. Dans le même temps, l’inspection du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral a nécessité une équipe dirigée par le cardinal Blaise Cupich. Ce dicastère commence l’année pleine d’incertitudes, avec un changement de génération en cours et un préfet intérimaire qui semble déjà indiquer une nouvelle direction.

On ne sait pas ce que sera cette nouvelle direction. Du jour au lendemain, il n’a plus été question de réforme de la Curie. Le communiqué officiel du dernier Conseil des cardinaux n’en faisait pas mention et cela semblait être un signe que le texte du Praedicate Evangelium était terminé. Mais, en réalité, le pape n’a même pas mentionné la réforme dans son discours à la Curie. Par le passé, il avait défendu la réforme et avait même indiqué quelles décisions avaient été prises. Et, dans une interview à COPE en septembre, il avait clairement indiqué que de nombreuses décisions de réforme étaient déjà en cours.

C’est peut-être à la suite de cette dernière prise de conscience que le Pape a décidé qu’un texte en bonne et due forme n’est pas nécessaire puisqu’il peut légiférer par Motu proprio et ainsi fusionner des départements et des administrations. Ces fusions seront achevées d’ici le milieu de l’année. Entre-temps, on pourra publier un texte, même avant Pâques, mais il ne sera pas décisif. Plus que du laisser-aller, cela fait partie d’un modus operandi précis et systématique, qui centre toute l’institution et son fonctionnement sur le Pape lui-même.

C’est un modus operandi qui ne tient pas compte des conséquences, ni même d’un éventuel Sede Vacante. Il existe un Camerlingue de la Sainte Église romaine, le cardinal Kevin J. Farrell, mais il n’y a jamais eu de trace de son assermentation pour cette responsabilité. Il n’y a pas de Chambre apostolique puisque les membres n’ont pas été renouvelés après cinq ans de service et qu’aucun nouveau membre n’a été nommé. En fait, la Chambre apostolique ne figure pas dans l’Annuaire pontifical de 2021. En cas de décès ou de démission du pape, il faudra déterminer qui gérera le Sede Vacante.

Toutefois, cela ne doit pas nous amener à croire que le pape François n’est qu’un pape de gestes. Le pape François, en fait, est un pape qui a une activité législative plus importante que les papes précédents. La différence est que les actes législatifs du pape François sont très souvent des rescrits et des Motu proprio, des documents rédigés directement par le pape.

Il ne s’agit pas de réformes structurelles, mais de modifications de lois ou de nouvelles décisions qui nécessiteraient des définitions plus structurelles. L’idée d’une réforme en cours passe généralement par des erreurs et des corrections, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises. L’une d’entre elles est l’annonce de la création du Bureau du personnel à la Secrétairerie d’État, annoncée par le Bureau de presse du Saint-Siège, puis démentie dès le lendemain par une déclaration du même Bureau de presse expliquant que la création du Bureau du personnel n’était qu’une hypothèse d’étude.

La dernière réforme du pape François a été initiée de imperio, établissant par un Motu proprio la vérification de l’application de Mitis Iudex Dominus Iesus, le document qui a réformé le processus de nullité matrimoniale. C’est une décision qui vise à imposer, plutôt qu’à proposer, une voie aux évêques.

Mais c’est le dernier acte administratif d’une année qui, d’un point de vue juridique, a été riche en développements. Avec le Motu proprio « Traditions custodes » qui a pratiquement fermé toutes les ouvertures aux traditionalistes. Le Motu proprio ‘Antiquum ministerium’ qui a institué le ministère de catéchiste. Et puis le Motu proprio qui permet aux cardinaux d’être jugés par le Tribunal du Vatican, faisant suite au Motu proprio du début de l’année qui modifie la législation vaticane; le Motu proprio « Anti-Corruptio qui sert à appliquer une des conventions de l’ONU auxquelles le Saint-Siège adhère, et enfin l’institution du Lectorat et de l’Acolytat pour les femmes.

En plus de réformer, le pape a montré sa vocation à punir ou à rendre justice, selon le point de vue. La saison des procès (ou de la justice) au Vatican, décrite par la communications du Saint-Siège comme un acte de transparence, cachait en réalité une situation problématique. Avec quatre rescrits, le pape a modifié les règles des procès en cours, de nombreuses garanties procédurales n’ont pas été respectées et, dans certains cas, les enquêtes ont dû recommencer à zéro.

Ces vices de procédure auraient invalidé n’importe quel procès, mais pas au Vatican, où le pape décide. Et où le risque d’une vaticanisation du Saint-Siège, précisément à cause de la gestion des procès, pourrait entraîner de graves problèmes institutionnels au niveau international.

Il y a la volonté de montrer un Saint-Siège attentif à l’opinion publique. Le pape François s’en est expliqué, soulignant que l’acceptation de la démission de l’archevêque Michel Aupetit avait été faite sur l’autel de l’hypocrisie . Bien que cela ne soit pas explicite, des cas similaires s’étaient produits avec le Cardinal Rainer Maria Woelki et le Cardinal Philippe Barbarin . Une fois de plus, c’est une Église qui se referme sur elle-même pour être ouverte.

Et elle risque de se fermer même à sa réforme la plus clamée, le Synode des évêques. En 2021, le pape a lancé un processus de deux ans qui pourrait même aboutir à une réforme synodale. Le cardinal Mario Grech, secrétaire général du Synode des évêques, a déclaré qu’un mécanisme sans vote pourrait mesurer le consensus. Comment, dès lors, arriver à des décisions communautaires ?

En 2022, tout pourrait encore dépendre des décisions du pape, qui agira de manière chirurgicale, en essayant de cacher ses intentions jusqu’au bout. Parce que, finalement, même le Pape s’est un peu refermé sur lui-même. Il reste à savoir s’il l’a fait parce qu’il estime que son pontificat est terminé ou parce qu’il veut donner un nouvel élan à ses réformes.


Despotique, sanctionnatoire, confus. Le droit selon François

Alors qu’on est sans nouvelles de la réforme de la Curie romaine (le document correspondant, la constitution apostolique Praedicate Evangelium, a désormais disparu des radars), la prolifération des lois émises par décision directe du pape, sous forme de motu proprio, sans l’implication de la curie, est remarquable. Une prolifération qui se heurte au discours constant de François sur la synodalité.

Pour nous limiter à l’année 2021 qui vient de s’achever, voici la liste, à rebours, des lois émises par François sous la rubrique « motu proprio » [MP].

  • Lettre apostolique en forme de « Motu Proprio » par laquelle le Saint-Père institue la Commission pontificale pour la vérification et l’application du M. P. Mitis Iudex dans les Eglises d’Italie (17 novembre 2021)
  • Lettre apostolique en forme de « Motu Proprio » du Pape François Traditionis custodes sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970 (16 juillet 2021)
  • Lettre apostolique en forme de « Motu proprio » du Pape François Antiquum ministerium instituant le ministère de catéchiste (10 mai 2021)
  • Lettre apostolique en forme de « Motu Proprio » du Souverain Pontife François modifiant la juridiction des organes judiciaires de l’État de la Cité du Vatican (30 avril 2021)
  • Lettre apostolique en forme de « Motu Proprio » du Souverain Pontife François concernant les dispositions sur la transparence dans la gestion des finances publiques (26 avril 2021)
  • Lettre apostolique en forme de « Motu Proprio » du Souverain Pontife François concernant la limitation des dépenses pour le personnel du Saint-Siège, du Gouvernorat de l’Etat de la Cité du Vatican et d’autres entités connexes (23 mars 2021)
  • Lettre apostolique en forme de Motu Proprio du Souverain Pontife François concernant les changements en matière de justice (8 février 2021)
  • Lettre apostolique en forme de Motu Proprio, sur la modification du canon 230 § 1 du Code de droit canonique concernant l’accès des personnes de sexe féminin au ministère institué du Lectorat et de l’Acolytat (10 janvier 2021).

Comme on le voit, un rythme remarquable. Mais huit motu proprio en un an, ce n’est pas un record. En 2016, en effet, François en a émis neuf, tout comme en 2019. En 2020, il y en a eu six, en 2017 quatre. En 2013 et 2015, trois, en 2014 et 2018, deux.

Si l’on compare cette production avec celle de Benoît XVI, la différence est évidente. De 2005 à 2013, le pape Ratzinger n’a émis que treize motu proprio en tout, avec ce rythme : deux en 2005, aucun en 2006, deux en 2007, aucun en 2008, aucun en 2009, un en 2010, deux en 2011, trois en 2012, trois en 2013.

Si nous revenons ensuite à Jean-Paul II, nous voyons que son maximum était de trois motu proprio par an (en 1988, 1994, 1999), mais normalement il se limitait à un ou deux par an, et pendant quatre ans (1990, 1991, 1995, 1996) il n’en a émis aucun.

Geraldina Boni, consultante du Conseil pontifical pour les textes législatifs (un organe que Bergoglio a de facto privé de ses fonctions de révision et de contrôle) ne cache pas son inquiétude face au centralisme et à la surproduction juridique de François. Caractère organiques des lois et sécurité juridique sont des souvenirs lointains. Les règles sont souvent rédigées par des commissions créées par le pape, dans un désordre auto-alimenté car, face aux problèmes d’interprétation, arrivent des changements et des corrections qui produisent une confusion supplémentaire.

Concernant la méthode avec laquelle François gouverne l’Église, des observateurs bien informés n’hésitent pas à parler d’absolutisme monarchique débridé et de Babel juridique. Un style sans comparaison avec les papes qui l’ont précédé.

Mais le synode lui-même, que François exalte souvent et qui devrait représenter le triomphe de la collégialité, est compris par Bergoglio de manière singulière, comme nous l’avons vu dans les deux synodes sur la famille. De plus, le pape, malgré son exaltation (en paroles) de la synodalité, ne convoque plus les cardinaux à un consistoire et n’a donc plus de discussion ouverte avec eux.

Le recours fréquent à l’approbation en forme spécifique de chaque nouvelle norme émise par un dicastère fait également partie du tableau. En fait, la formule exclut toute possibilité d’appel.

Le professeur Paolo Cavana, professeur de droit canonique et ecclésiastique à l’Université libre Maria Santissima Assunta de Rome, en illustrant la situation, n’a pas hésité à parler d’une « dérive » qui « apparaît tout à fait inhabituelle dans l’Eglise catholique ». En effet,

dans la production législative de ce pontificat, le droit tend à être perçu de manière prépondérante comme un facteur organisationnel et disciplinaire, c’est-à-dire comme une sanction, et toujours dans une fonction d’instrumentalisation par rapport à des choix de gouvernement bien déterminés, et non pas aussi comme un instrument fondamental de garantie des droits (et d’observation des devoirs) des fidèles.

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https://ilregno.it/attualita/2021/16/francesco-poco-canonico-paolo-cavana

Des mots, il faut le noter, écrits non pas dans une publication hostile à François, mais dans Il Regno [une revue « catho-progressiste », ndt]. Et sous ce titre : François (peu) canonique.

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