Elle ne figure dans ces pages que parce qu’elle a été menée par un site italien, en l’espèce, la NBQ. Le cardinal en disgrâce médiatique dit ce qu’on pouvait attendre de lui en de telles circonstances, et rien de plus (en particulier, on n’échappe pas à l’hommage au Pape François, si proche des pauvres). Il ne règle aucun compte personnel, et si l’amertume est perceptible, il faut vraiment lire entre les lignes avec une loupe pour y trouver une trace de désir de vengeance. Sauf quand il évoque le rôle des médias dans la perception de l’opinion. Et quand il admet qu’on lui a peut-être fait payer sa participation à la « Manif pour tous » (il parle de « victoire », j’ai traduit par « succès » qui me paraît plus proche de la réalité, et qui se réfère uniquement aux nombres). Mais, ajoute-t-il très vite, il est impossible de le prouver…

Aujourd’hui, les choses se sont calmées, mais beaucoup de gens se souviennent de ma condamnation en première instance plus que de l’acquittement que j’ai finalement obtenu. Même si la Cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel, que les médias ont à peine mentionné, mon nom restera lié au scandale de pédophilie des prêtres, qui est, en effet, infâme ! Confusément, les gens croient que j’ai couvert des actes pédophiles pendant mon épiscopat

Barbarin : les fausses accusations contre moi sont une attaque contre l’Église

Nico Spuntoni
https://lanuovabq.it/it/barbarin-le-false-accuse-contro-di-me-sono-un-attacco-alla-chiesa

« Même si j’ai été acquitté pour des faits qui se sont produits bien avant mon arrivée à Lyon, mon nom restera lié au scandale de pédophilie des prêtres ». « Ils m’ont peut-être fait payer le succès de la Manif pou Tous, mais un parlement n’a pas le droit de changer l’ordre naturel. » « J’ai réussi à me relever grâce aux prières de très nombreux amis ». « L’incendie de Notre-Dame a changé l’attitude des Français vis-à-vis de l’Église » .
Le cardinal, ex-archevêque de Lyon, aujourd’hui aumônier des Petites Sœurs des Pauvres dans un petit diocèse, parle.

En avril dernier, dans un silence général, la Cour de cassation française a rejeté le pourvoi formé par huit parties civiles contre l’arrêt de la Cour d’appel qui, en janvier 2020, avait acquitté le cardinal Philippe Barbarin de l’accusation de dissimulation des abus sexuels sur mineurs commis par l’ex-prêtre Bernard Preynat entre 1971 et 1991. L’ex-archevêque, qui n’est arrivé à Lyon qu’en 2002, est sorti la tête haute d’une affaire judiciaire qui l’a mis à rude épreuve et a déclenché une campagne médiatique sans précédent en France. Après avoir démissionné de la direction de l’archevêché, Barbarin travaille désormais comme simple aumônier dans une maison générale de religieuses à Saint-Pern. Il a raconté sa souffrance d’homme injustement accusé et sa proximité avec la souffrance des victimes de Preynat dans un livre, « En mon âme et conscience », publié il y a deux ans en France.

Puis il est retourné dans le silence, engagé uniquement dans sa mission sacerdotale auprès des religieuses de Saint-Pern, avec des personnes âgées, des pauvres et des séminaristes. La semaine dernière, en Italie, nous avons de nouveau entendu parler de lui et de l’affaire Preynat après qu’un journal national [ndt: d’après mes recherches, il devrait s’agir du journal communiste Il Manifesto] ait publié la lettre que lui avait envoyée le secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi de l’époque, l’actuel cardinal préfet Luis Ladaria Ferrer. La justice française a pourtant reconnu définitivement, en deux phrases, que Barbarin n’a en aucun cas tenté de couvrir les crimes du prêtre pédophile. Le cardinal a accepté de parler à La Nuova Bussola Quotidiana pour revenir sur son épreuve médiatico-judiciaire.

Dans quelle mesure votre participation active à la saison de la Manif pour tous a-t-elle influencé le lynchage médiatique dont vous avez été victime ? Vous ont-ils fait payer ce succès?

Beaucoup de choses ont été dites, mais qui peut le prouver ? Certains articles « de soutien » ont fait le lien. Tout d’abord, je tiens à préciser que je suis l’ami de nombreuses personnes homosexuelles; beaucoup d’entre elles accepteraient de témoigner. Comme tous ses disciples, le Seigneur me demande d’aimer et de servir tous ceux qu’il met sur mon chemin, sans juger personne. Mais si le premier livre de la Bible nous dit que « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils seront une seule chair », je ne vois pas pourquoi un Parlement a brusquement le droit de changer le sens du mot « mariage ». J’avais dit, comme d’autres, que si on touchait à ce bastion du mariage, toute la société serait bouleversée. Certains se sont moqués de cette déclaration qui était considérée comme « alarmiste » à l’époque. Moins de dix ans plus tard, nous constatons que les décisions de justice normalisent les situations de « multiparentalité » et que la maternité de substitution est à nos portes. Par ailleurs, je garde à l’esprit que nous sommes en démocratie et que, dans ce contexte, nous avons le droit d’exprimer notre accord ou notre désaccord sur un projet de loi, voire sur une loi en vigueur. Il arrive que les députés eux-mêmes souhaitent modifier une loi, même récente. C’est le cas actuellement, à l’Assemblée nationale, de la loi sur l’euthanasie, votée à l’unanimité par le Parlement français il y a tout juste quinze ans et que de nombreux députés veulent aujourd’hui modifier.

N’avez-vous jamais eu l’impression que l’Église était plus au banc des accusés que Barbarin ?

Depuis le début, l’Église est sur le banc des accusés. Lorsqu’en 64 le grand incendie a éclaté à Rome, les chrétiens venaient d’y arriver et Néron a décidé que c’était leur faute: ils devaient payer. Mais les accusations ne sont pas toutes des injustices et des mensonges. C’est ce que démontre, malheureusement, le travail effectué ces derniers temps sur les crimes pédophiles perpétrés par des prêtres et des laïcs, dans l’Église et dans le reste de la société. Ma présence sur le banc des accusés n’est qu’un épiphénomène qui ne change rien à l’ensemble du chemin parcouru par l’Église dans son processus de purification et de réforme. Le cœur de ce voyage est encore en devenir. L’essentiel est encore à venir. C’est ce que nous disons dans le Credo : après de nombreux « credo », nous terminons par un merveilleux « j’attends ». Oui, « la résurrection des morts et la vie du monde à venir » est toute notre espérance !

Dans votre livre, vous avez raconté que dans la rue ou à la gare, on vous traitait de « pédophile ». Comment avez-vous fait face à tout cela ? Cela arrive-t-il encore aujourd’hui malgré l’acquittement?

En février 2016, au début de cette tempête médiatique, la dernière Béatitude s’est installée dans ma prière : « Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte et qu’on vous persécute, et que, en mentant, on dit toutes sortes de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez heureux » (Mt 5, 11-12). Il y a aussi ce qu’écrit saint Paul : « Réjouissez-vous toujours, priez sans cesse, en toute chose remerciez » (1 Th 5, 17-18)…
Bien sûr, cela n’a pas toujours été facile ! Au fond, je pense que c’est grâce aux prières de très nombreux amis que j’ai pu me relever et poursuivre l’accomplissement de ma tâche. Il faut dire aussi que plusieurs fois j’ai été arrêté dans la rue, à Lyon comme à Paris, par des personnes qui m’ont reconnu et m’ont dit : « Nous prions pour vous tous les jours….. Comptez sur nous ! » Aujourd’hui, les choses se sont calmées, mais beaucoup de gens se souviennent de ma condamnation en première instance plus que de l’acquittement que j’ai finalement obtenu. Même si la Cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel, que les médias ont à peine mentionné, mon nom restera lié au scandale de pédophilie des prêtres, qui est, en effet, infâme ! Confusément, les gens croient que j’ai couvert des actes pédophiles pendant mon épiscopat… Peu de gens savent que ces actes ont été commis vingt ans avant mon arrivée et ont été gérés par ceux qui ont dirigé le diocèse trois mandats avant moi !

Est-il vrai, comme vous l’écrivez dans votre livre, que l’état d’esprit envers l’Église dans la société française a changé après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame ? Des insultes que vous avez subies de plein fouet à cause du scandale de la pédophilie, l’ambiance est passée à des paroles de compassion.

Plusieurs prêtres, notamment parisiens, m’ont dit avoir été insultés publiquement et moqués dans la rue pendant ces affaires de pédophilie, et longtemps après. Mais le ton a changé après le choc de l’incendie de Notre-Dame. Alors, au contraire, ceux qui reconnaissaient un prêtre dans la rue s’arrêtaient souvent pour exprimer leur compassion, la blessure intérieure que représentait pour eux cet événement bouleversant : les flammes, la chute de la flèche, la menace qui pesait sur la tour Nord, les risques énormes pris par les pompiers… ! Le monde entier a tremblé et vibré devant ce spectacle, et personne n’a oublié cette soirée du lundi saint 2019. Et j’ai pensé que cela manifestait l’étonnante vérité de la phrase de Marie que nous chantons le soir aux Vêpres, dans le Magnificat : « Toutes les générations me proclameront bienheureuse » ! Touché au cœur, le peuple français s’est soudain souvenu de ses racines chrétiennes et de son espérance.

Vous avez décidé de faire don des recettes du livre aux victimes de prêtres pédophiles et vous avez avoué qu’elles sont les premières pour lesquelles vous priez chaque jour. Avez-vous eu l’occasion de connaître personnellement l’une des victimes de Preynat ?

Pendant longtemps, chaque fois que je devais signer un contrat avec un éditeur, les droits d’auteur allaient directement au diocèse de Lyon. Ainsi, quand est arrivée la demande des associations de victimes pour mon livre « En mon âme et conscience », ce n’était pas à moi de décider. Et le diocèse de Lyon, dont je n’étais plus responsable, a décidé que cet argent irait aux victimes ; cela me semblait une bonne réponse. Quant à la prière du matin, oui, au dos d’un billet représentant le Christ en croix, j’ai écrit les noms des victimes qui m’ont amené devant le tribunal et de nombreuses autres qui se sont manifestées ou que j’ai ensuite accueillies. Au fil des ans, nous avons mieux compris que ces actes criminels causent une blessure incomparable, dont certains disent qu’elle ne peut pas guérir. Je me réjouis que l’Église, dans de nombreux pays, s’engage sur la voie de la réparation ; c’est justice. En tout cas, nous devons prier le Seigneur de guérir tout ce qui peut et tout ce qui doit être guéri chez chacune des victimes.

Il y a quelques mois, à Assise, le pape François vous a publiquement remercié d’avoir « supporté avec dignité l’expérience de l’abandon et de la défiance ». Vous étiez visiblement ému. Vous êtes-vous déjà senti abandonné par l’Église ?

La période que j’ai traversée a clarifié de nombreuses relations : certaines amitiés se sont solidifiées, d’autres ont disparu. Ce type de test agit comme une révélation. Mais l’Église est ma mère et ma famille et je n’ai jamais senti qu’elle m’avait abandonné. Plusieurs évêques sont venus spécialement à Lyon pour manifester leur soutien fraternel. Quant au Pape François, de qui j’ai reçu ma mission, je lui suis très reconnaissant pour sa confiance continue, malgré les horreurs qui ont été dites à mon sujet. Cette rencontre à Assise, organisée par l’association « Fratello », a rassemblé entre 500 et 600 pauvres de toute l’Europe et nous étions également en contact avec plus de 20 000 autres personnes, auxquelles le pape a adressé un message spécial.
Nous avions fait cette demande il y a longtemps. Une rencontre de François, dans la ville de Saint-François, avec les pauvres de tellement de pays, est en effet un beau témoignage ! Et il fallait que ce soit très proche de la « Journée mondiale des pauvres » (JMP). Le pape demande que chaque évêque soit présent dans son diocèse ce jour-là, pour accueillir les pauvres, prier et partager un repas avec eux. Alors, comme il voulait être à Rome le dimanche, il a accepté d’être avec eux le vendredi matin à Assise. Il a prévu de remercier publiquement Etienne Villemain, car il est l’organisateur de la JMP, annoncée par François à la fin de l’ « Année de la Miséricorde ». Puis il a dit un mot sur moi car il m’avait vu avant d’entrer à Ste Marie des Anges. Évidemment, cela m’a ému… et même gêné ; cependant, je suis quand même allé le remercier à la fin de la rencontre.

A seulement 71 ans, bien que cardinal, aujourd’hui vous êtes un simple aumônier. Comment votre vie a-t-elle changé par rapport à l’époque où vous étiez archevêque de Lyon ?

Aujourd’hui, je suis aumônier à la Maison Mère des Petites Sœurs des Pauvres, à Saint Pern, entre Rennes et Saint-Malo. Ces sœurs ont pour vocation de se donner aux personnes âgées les plus pauvres, et chacune de leurs installations s’appelle « Ma Maison ». Pour moi, l’essentiel était de trouver un vrai ministère sacerdotal, un ministère simple et que je sache mener à bien. J’ai eu le temps d’y réfléchir et j’ai fait un choix, car on m’a fait plusieurs propositions. Je donne également des cours au Séminaire Saint-Yves, à Rennes, et je suis souvent sollicité pour prêcher des retraites à divers groupes de séminaristes, de religieuses, de laïcs et de prêtres… C’est évidemment une vie et une mission très différentes de celles que j’avais à Lyon. Mais ce que j’aime, c’est que c’est vraiment un service sacerdotal, avec ses joies et ses exigences. Je suis accueilli dans ce diocèse comme un frère et je suis très reconnaissant à Mgr d’Ornellas qui a rendu cela possible. Comme le dit saint Ignace, nous devons aimer Dieu, dans la santé comme dans la maladie, dans la richesse comme dans la pauvreté ; l’important est de « choisir » sa volonté chaque jour. Hier j’étais archevêque de Lyon, aujourd’hui je suis aumônier de religieuses… un prêtre, un chrétien qui avance comme on le lui demande, sur le chemin du Royaume.

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