Ricardo Cascioli renvoie dos à dos les ‘tifosi‘ des deux camps, rejetant leurs prétentions à incarner des « valeurs » et établissant une sorte d’équipollence (sur ce point, je garde mon opinion – qui du reste n’intéresse personne – pour moi) entre leurs conceptions respectives, et invoque, à juste titre le retour à « un sain réalisme qui nous fera regarder les véritables intérêts en jeu, et pousser les intérêts opposés à trouver un règlement à la table des négociations« .

Négociations à Ankara, avec la médiation d’Erdogan

La tromperie d’une guerre motivée par des idéaux

Ricardo Cascioli
lanuovabq.it/it/linganno-della-guerra-mossa-da-ideali
30 mars 2022

Même les catholiques sont fascinés par les motivations idéalistes opposées de la guerre en Ukraine : les valeurs occidentales de liberté contre le totalitarisme russe, ou la lutte d’un leader chrétien russe contre le Nouvel Ordre Mondial. Mais ce n’est ni l’un ni l’autre, la réalité est beaucoup plus terre à terre…..

Il y a certainement eu des guerres menées pour des idéaux dans l’histoire, mais le plus souvent les idéaux sont utilisés comme propagande pour cimenter le consensus public autour de guerres dont le but réel est beaucoup plus terre-à-terre. Des questions de pouvoir, d’intérêts géopolitiques et économiques. Ce qui se passe en Ukraine ne fait pas exception, même s’il existe une tendance marquée, y compris parmi les catholiques des deux camps, à envelopper cette guerre dans des motivations idéalistes hautement improbables. Dégonfler ces « idéalismes » sera alors utile pour se réveiller à une vision plus réaliste de ce qui se passe et recommencer à applaudir à la réalisation rapide d’un accord qui fasse taire les armes, avant que la situation ne devienne incontrôlable (avec certains chefs de gouvernement [Biden?] que nous y retrouvons, c’est un risque très élevé).

Je me limiterai à deux narrations opposées. La première est celle qui voit dans cette guerre l’Ukraine comme un symbole de la défense des valeurs européennes de liberté et de démocratie contre le totalitarisme russe, de l’aspiration à la paix contre la violence prévaricatrice d’un pays qui est resté impérialiste malgré les changements de régimes. Il s’agit d’une répétition du schéma de la guerre froide, sur lequel le président ukrainien Zelensky et les gouvernements européens insistent afin d’unir l’opinion publique occidentale contre Poutine et de justifier l’envoi d’armements en Ukraine.

Que la Russie ne soit pas un modèle de démocratie et de liberté est une évidence ; que Poutine ait commis une violation grave et injustifiable du droit international en attaquant l’Ukraine devrait être tout aussi évident, mais prétendre que Poutine est confronté à ce que l’on appelait pendant la guerre froide le « monde libre » est parfaitement risible. S’il existe aujourd’hui une institution internationale qui ressemble de près à l’Union soviétique, c’est bien l’Union européenne, comme nous l’ont rappelé à plusieurs reprises ces dernières années les gouvernements des pays qui ont rejoint l’UE après des décennies au sein du Pacte de Varsovie.

Et si aujourd’hui ces pays craignent à juste titre le réveil de la Russie, cela n’enlève rien au fait que la dérive socialiste occidentale est plus forte que jamais. Deux années de gestion de la pandémie, ajoutées au terrorisme climatique, à la dictature gender et à la Cancel Culture auraient dû faire comprendre que l’Occident est devenu le foyer d’un nouveau totalitarisme. Exactement comme l’avait averti Jean-Paul II : « Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme ouvert ou sournois, comme le montre l’histoire » (Centesimus Annus, n. 46).

En ce qui concerne spécifiquement les États-Unis, seuls les naïfs peuvent encore croire qu’ils sont motivés par l’amour de la liberté des peuples : il suffit de jeter un coup d’œil aux alliés des États-Unis au Moyen-Orient. Mais c’est un fait que rien que dans cette crise, les intérêts stratégiques et économiques font que l’administration Biden souffle constamment sur le feu, tout comme les administrations passées ( pré-Trump) ont joué un rôle important dans la déstabilisation de la région. A cela il faut nécessairement ajouter la proéminence de la question de l’avortement : sans même aller chercher Sainte Mère Teresa de Calcutta, des gouvernements qui promeuvent comme un droit humain fondamental l’élimination des êtres humains les plus sans défense peuvent-ils être considérés comme crédibles lorsqu’ils parlent de paix ?

La seconde narration, à l’inverse, voit la Russie de Poutine défendre la tradition et l’identité chrétiennes contre l’Occident corrompu et le Nouvel Ordre Mondial. Nous venons de dire que l’Occident est corrompu et qu’il y a un totalitarisme croissant dans nos sociétés. Mais que cela promeuve automatiquement Poutine sur le terrain en tant que defensor fidei est une idée pour le moins bizarre. Si en effet, comme l’a laissé entendre le patriarche Kirill de Moscou, la guerre déclenchée par Poutine est dirigée contre un Occident qui impose la Gay Pride comme signe d’appartenance au monde du bien, il faut dire qu’il s’est pour le moins trompé de cible : il devrait frapper Bruxelles au lieu du Donbass et de Mariupol.

Les références spirituelles et la proximité avec l’Église orthodoxe ne doivent pas non plus induire en erreur : la religion comme instrumentum regni est tout sauf une nouveauté en Russie. Il est également très dangereux d’utiliser l’équation « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », car à la même aune, nous devrions alors soutenir le fondamentalisme islamique et la Chine (et c’est peut-être pour cela qu’un éminent prélat du Vatican a déclaré que la Chine est le pays qui applique le mieux la doctrine sociale de l’Église? [Marcelo Sánchez Sorondo, ndt])

Et il est curieux que, pour contrer les Yankees détestés, on considère comme insignifiant, ou, pire, justifié, le fait de remettre en cause la souveraineté territoriale d’un pays reconnu par la communauté internationale, avec des destructions, des morts et des millions de réfugiés. Qu’est-ce que les pauvres citoyens ukrainiens en fuite ont à voir avec le Nouvel Ordre Mondial (à propos, j’aimerais que quelqu’un définisse clairement ce qu’il entend par Nouvel Ordre Mondial) ? Je ne pense pas que les gens se rendent compte de la gravité de certaines déclarations : si l’on accepte l’idée de Poutine selon laquelle l’Ukraine n’est pas un pays, mais seulement une partie de la Russie, alors pourquoi ne pas convenir avec l’Iran qu’Israël n’existe pas ?

La vérité est que si nous commençons à libérer nos esprits des visions romancées de la guerre et des idéaux qui l’animent, nous redécouvrirons un sain réalisme qui nous fera regarder les véritables intérêts en jeu, et pousser les intérêts opposés à trouver un règlement à la table des négociations. Il est curieux de constater que la base d’un accord, telle que celui qui se profile en ces heures, nous amène à nous demander : n’aurions-nous pas pu y penser avant de déclencher cette pagaille ? Y a-t-il vraiment quelqu’un qui puisse se sentir exonéré de la grave responsabilité d’avoir provoqué cette guerre ?

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