La "fake" démission de Dario Vigano

Une papauté "oblique": Marco Tosatti relit la lettre du désormais ex-responsable de la com' du Vatican et celle du Pape, et met en respective avec d'autres décisions papales (23/3/2018).

>>> Voir aussi:
¤
Le fusible
¤ Démission de Mgr Vigano

J'aurais voulu m'épargner le pensum de traduire les deux lettres, mais je n'ai pas trouvé la version en français, et j'ai dû m'y coller, car elles sont indispensables pour comprendre tout ce qu'il y a de choquant dans cette affaire - en particulier (même si dans son analyse Tosatti est contraint à la prudence) la quasi-certitude que toute cette mise en scène a été minutieusement réglée en coulisses par le Pape lui-même..
On observera surtout qu'en lisant les lettres, on n'a pas la moindre idée de ce qui a motivé la démission, et que les propos échangés n'ont strictement aucun rapport avec les faits en cause.
Très fort!!

VIGANÒ, BARROS, ET LE STYLE DE GOUVERNEMENT DU PONTIFE RéGNANT.
L'ÉGLISE, C'EST MOI ...


Marco Tosatti
22 mars 2018
Ma traduction

* * *

Le scandale Viganò est à certains égards pire que l'affaire Barros, l'évêque chilien promu au diocèse d'Osorno par le Pontife régnant contre vents, marées et l'opposition de beaucoup dans l'Église chilienne dévastée. Et il est exemplaire d'un style de gouvernement oblique de la part du successeur de Pierre. Comme certains l'ont remarqué, dans les deux lettres, à la fois très singulières et intéressantes, celle de la démission (?) de Viganò et celle du Pontife.
Relisons-les:

La lettre de Mgr Vigano

Saint Père,

Cité du Vatican, 19 mars 2018

Ces derniers jours, beaucoup de polémiques ont été soulevées sur mon action qui, au-delà des intentions, déstabilise le grand et complexe travail de réforme que vous m'avez confié en juin 2015 et qui, grâce à la contribution d'un grand nombre de personnes, à commencer par le personnel, arrive aujourd'hui à son terme.

Je vous remercie pour l'accompagnement paternel et ferme que vous m'avez généreusement offert en ces instants et pour l'estime renouvelée que vous avez voulu me montrer y compris lors de notre dernière rencontre.

Dans le respect pour les personnes qui ont travaillé avec moi durant ces années et afin d'éviter que ma personne puisse de quelque manière retarder, faire tort ou même bloquer ce qui a déjà été établi dans le Motu Proprio L'attuale contesto communtivo du 27 juin 2015, et surtout, pour l'amour de l'Église et de vous, Saint-Père je vous demande d'accepter mon désir de me mettre à l'écart, me rendant, si vous le souhaitez, disponible pour collaborer selon d'autres modalités.

A l'occasion des vœux de Noël à la Curie en 2016, vous avez rappelé que «la réforme ne sera efficace que si elle est menée avec des hommes "renouvelés" et non pas simplement avec des hommes "nouveaux". Il ne suffit pas de se contenter de changer de personnel, mais il faut amener les membres de la Curie à se renouveler spirituellement, humainement et professionnellement. La réforme de la Curie n'est en aucun cas mise en œuvre par le changement des personnes - qui sans aucun doute a et aura lieu - mais par la conversion des personnes».

Je crois que le fait de me "mettre à l'écart" est pour moi une occasion fructueuse de renouveau ou, rappelant la rencontre de Jésus avec Nicodème (Jn 31, L), le temps d'apprendre à "renaître d'en haut". Du reste, ce n'est pas l'Église des rôles, que vous nous avez appris à aimer et à vivre, mais celle du service, un style que j'ai toujours essayé de vivre.

Saint-Père, je vous remercie d'accepter que je me "mette à l'écart" afin que l'Église et son chemin puissent reprendre avec décision, guidée à l'Esprit de Dieu.

En demandant votre bénédiction, je vous assure de mes prières pour votre ministère et pour le processus de réforme dans lequel vous vous êtes engagés.

(press.vatican.va)

La réponse du Pape

Révérendissime Monseigneur

A la suite de nos dernières rencontres et après avoir longuement réfléchi et attentivement pondéré les motivations de votre requête d'accomplir "un pas en arrière" dans la responsabilité directe du Département de la Communication, je respecte votre décision et j'accepte, non sans difficulté votre démission comme Préfet.

Je vous demande de continuer, restant au Dicastère, en vous nommant Conseiller (Assessore) pour le Dicastère de la Communication, pour que vous puissiez apporter votre contribution humaine et professionnelle au nouveau Préfet, au projet de réforme voulu par le Conseil des Cardinaux, approuvé et régulièrement partagé par moi. Réforme désormais arrivée dans la dernière ligne droite avec la fusion imminente de l'Osservatore Romano dans l'unique système de communication du Saint-Siège et l'integration de l'imprimerie du Vatican.

Le grand engagement assumé durant ces années dans le nouveau Dicastère avec le style de confrontation disponible et de docilité que vous avez su montrer entre les collaborateurs et avec les organismes de la Curie romaine a montré clairement que la réforme de l'Église n'est pas d'abord un problème d'organigramme mais plutôt l'acquisition d'un esprit de service.

Tout en vous remerciant pour votre humilité et votre profond sensus ecclesiae, je vous bénis avolontiers et vous confie à Marie.

(press.vatican.va)


Dans aucune des deux lettres il n'est fait allusion, pas même de façon voilée, à des erreurs de conduite. Dans aucune des deux lettres, il n'est fait mention de la personne la plus touchée dans cette affaire lamentable, à savoir Benoît XVI. Lequel aurait peut-être mérité au moins une excuse. On lui a demandé un commentaire "dense et concis" sur le travail de personnes qui se sont toujours opposées publiquement à lui; sa lettre de refus trop courtoise a été rendue publique, même si elle était confidentielle et personnelle, des parties de sa lettre ont été utilisées pour lui faire dire ce qu'il n'a pas dit; la photographie de sa lettre a été manipulée; le responsable des communications a menti en disant qu'il l'avait lue intégralement alors qu'il ne l'a pas fait. Il n'y a aucune trace de cette séquence d'actions dans les deux lettres. Le comble du ridicule - permettez-moi la digression - a été atteint par ceux qui, sans rire, maintiennent que Viganò a censuré la lettre pour défendre Benoît XVI. L'outrecuidance ne connaît pas de bornes.

Faut-il penser que la lettre de démission de Viganò, avec sa disponibilité singulière (étrange de la part d'une personne démissionnaire) à continuer sa collaboration, a été écrite en accord avec le Pontife? Les deux lettres rendent cette hypothèse [plus que!!!] plausible.

Mais si les choses sont telles qu'elles sont écrites dans les deux lettres, pourquoi Viganò a-t-il démissionné? A cause des polémiques? Mais des polémiques, il y en a toujours eu et aux polémiques, on répond, si on a raison et si on n'a rien à reprocher, avec des clarifications et des explications.

Si au contraire des erreurs ont été commises, on les admet, virilement. Et on en tire les conséquences.

Comme dans le cas de Barros, le Pontife est réticent à admettre des erreurs, les siennes ou celles de ses fidèles. Ce qui n'est pas bon signe. Cela n'indique pas la largesse de l'esprit que nous aimerions tous voir chez un successeur de Pierre. Cela fait plutôt suspecter des fragilités de caractère et psychologiquee.

Au lieu de cela, la fake (sic!) démission après la fake lettre témoigne d'un trait de gouvernement peu sympathique.
Et ici, nous en venons au style oblique de gestion du Souverain Pontife. Nous avons vu que lorsqu'une institution avait un chef qui ne lui plaisait pas ou qui n'était pas assez respectueux ou obséquieux, le Souverain Pontife le contournait, créant un n°2 qui jouissait du contact direct avec lui. C'est un modèle qui a été utilisé à la CEI quand il y avait Bagnasco, à la Congrégation pour la Foi quand il y avait Müller, au culte avec Sarah ; et ce ne sont là que trois exemples. La création d'un rôle de conseiller pour Viganò, semblable à celui créé ex nihilo à l'APSA pour l'évêque argentin Zanchetta étrangement démissionnaire, nous fait penser précisément à cela. Vous avez voulu que Viganò démissionne? Il a démissionné, mais je le garde là, et même - probablement - avec plus de pouvoir qu'avant; parce qu'il aura le pouvoir substantiel de la relation avec le Pontife, mais pas la responsabilité formelle, qui parfois représente une limite. Façon de dire: je vous ai bien eus.

L'Église n'est pas une démocratie. Dans l'Église, le maximum de la démocratie réelle, comme dans toutes les monarchies, est donné par le respect des rôles. Il y a des lois, il y a des institutions (les congrégations et les autres bureaux) qui, par leur travail, réglementé par des lois, garantissent mémoire et uniformité de gouvernement dans l'Église et pour l'Église au fil du temps et des papes, et défendent les droits de tous, et de l'Église elle-même.
Aucun pape ne peut dire: l'Église, c'est moi (*). Un style personnel et autocratique comme celui démontré dans ce cas et dans d'autres rend vides les proclamations de synodalité etc. etc., trompetée par les coryphantes de Sainte Marthe

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NDT:
(*) Allusion aux propos prêtés à Louis XIV: "L'Etat, c'est moi"?

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