La fin d'un monde
Je suis sans doute un esprit chagrin... Pourquoi le 'Royal Wedding' marque le déclin de la monarchie (20/5/2018)
Même en ne faisant pas partie des deux milliards de terriens qui ont suivi hier à la télévision le mariage du deuxième petit-fils de la Reine Elisabeth avec une actrice américaine de série B (en passant: que penser d'une société où les altesses royales et les stars du football épousent les mêmes femmes?), il était difficile d'y échapper. Mais à l'évidence, le choix de donner une telle résonnance planétaire à un (non-)évènement - que le modeste sixième rang du Prince Harry dans l'ordre de succession au trône britannique aurait dû cantonner dans une relative discrétion - revêt une dimension politique, certainement voulue par la monarchie elle-même, et brillamment mise en scène par ses spin doctors.
L'enthousiasme populaire (réel), confirmait d'ailleurs, au-delà du vieil adage Panem et circenses, la popularité de cette monarchie auprès du "petit peuple" (que les commentateurs disent avec mépris "lecteurs de tabloïds"), et son attachement aux traditions, et cela en dépit des campagnes médiatiques - provisoirement et opportunément interrompues -, organisées à coup de sondages pour la discréditer et la délégitimer. Hier, une fois n'est pas coutume, cette ferveur se confortait même du tam tam médiatique orchestré par le Quatrième Pouvoir, littéralement aux anges pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec la splendeur de la robe de la mariée (vraiment magnifique, il est vrai!), la beauté du spectacle ou la fascination pour la monarchie - qu'en d'autres circonstances, les mêmes se seraient fait un plaisir de déchirer à belles dents, par exemple si Harry avait eu le mauvais goût d'épouser une jeune fille de son milieu, c'est-à-dire issue de quelque maison royale européenne, sans "passé", au cours d'une cérémonie dans le plus pur style british. Là, ce n'était qu'exaltation du métissage, de la liberté de moeurs (la mariée est divorcée), et surtout de la "marche vers la modernité" entreprise par l'antique monarchie.
Tout cela offre évidemment matière à réflexion, au risque de passer pour rabat-joie - voire pire... C'est ce que fait excellemment cet article publié aujourd'hui sur La Bussola.
Le Royal Wedding marque le déclin de la monarchie.
Paolo Gulisano
www.lanuovabq.it
20 mai 2018
Ma traduction
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Le Royal Wedding du prince Harry a marqué la fin de ce qui restait de la vieille Angleterre. La monarchie anglaise, telle que nous la connaissons depuis des siècles, touche à sa fin. Meghan a parfaitement interprété son rôle, celui de la fille moderne, émancipée et progressiste. Ce qui ressort le plus de la nouvelle mariée, c'est qu'elle est passée avec désonvolture à travers les différentes fois religieuses.
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La Grande-Bretagne, comme on le sait, est le dernier des Royaumes que nous pourrions définir comme Ancien Régime (en français dans le texte): une monarchie héréditaire, pas de constitution, pas de code civil. En compensation, des coutumes et une tradition si dynamique qu'on ne comprend plus ce qu'elle conserve et transmet.
Le Royal Wedding du prince Harry, l'ex "wild child" de la Windsor House, comme on l'appelait, avec ses farces parfois de très mauvais goût, comme lorsqu'il s'est habillé en nazi et a marché au pas de l'oie, a peut-être marqué la fin de ce qui restait de la vieille Angleterre. La monarchie anglaise, telle que nous la connaissons depuis des siècles, touche à sa fin.
Si, au cours les dernières semaines, les médias britanniques avaient lourdement insisté sur certaines des caractéristiques de la mariée, comme le fait d'avoir du sang afro-américain, d'être fortement engagée sur les questions sociales, d'être féministe et surtout d'être divorcée, la cérémonie qui a eu lieu dans l'antique manoir de Windsor (le château dont le nom est devenu il y a cent ans le nom d'emprunt de la famille royale, embarrassée - c'était au début de la Grande Guerre - de son vrai nom allemand de Sachsen-Coburg und Gotha), a dépassé toutes les attentes.
Devant un parterre où se distinguaient des noms comme Elton John, David Beckham et George Clooney, et où l'on remarquait l'absence du premier ministre Theresa May, les deux jeunes gens se sont unis dans le mariage avec tout le luxe qu'une telle cérémonie exige. Mais au-delà des grands uniformes, des chapeaux surréalistes et de la pompe de la chapelle Saint-Georges, ce qui a pointé le bout de son nez, dans le Royal Wedding, c'est la New Society, la nouvelle société liquide et arc-en-ciel.
Le sermon - très long - qui a accompagné le rite a été confié au Révérend Michael Bruce Curry, primat de l'Église épiscopale (c'est-à-dire anglicane) des États-Unis. Le prélat afro-américain de Chicago a commencé avec une citation de Martin Luther King, un nom qui n'avait probablement jamais été prononcé à Windsor. Le sermon était dans le plus pur style afro-américain: ample gestualité, passion, expressions colorées. Le révérend Curry, qui est l'auteur d'une publication intitulée "Crazy Christians" (fous de chrétiens), est connu aux États-Unis pour son opposition véhémente à Donald Trump, et le domaine pastoral dans lequel il donne le meilleur de lui-même est celui des questions sociales et de l'immigration.
Ce sont certainement les raisons qui ont conduit la mariée à le vouloir dans cette cérémonie.
A la fin du sermon, presque comme pour sceller ce climat "easy", voilà qu'un chœur spiritual entonne "Stand By me", un vieux succès pop du chanteur afro-américain Ben King, rendu célèbre sutout par la version de John Lennon. C'est peut-être à cause de cela, ou à cause de la présence de nombreux acteurs, puisque Meghan Markle était actrice avant de devenir fiancée royale, qu'à un moment donné, on n'attendait plus que l'arrivée de Sister Act. A la fin, le God Save the Queen chanté à pleins poumons a ramené la congrégation d'une Harlem virtuelle à la vieille Angleterre.
Tout cela a donné un impressionnant sentiment d'artificialité: la énième version offerte par les médias du conte du prince charmant qui épouse Cendrillon. Et même - en l'occurrence - une Cendrillon appartenant à une minorité ethnique. Le nec plus ultra pour une société multiraciale, multiculturelle et multireligieuse. Meghan a parfaitement interprété ce rôle, celui de la fille moderne, émancipée, progressiste, fière de sa peau "sombre" - ce qui n'est nullement évident chez la belle actrice californienne. Ce qui ressort le plus de la nouvelle mariée, c'est qu'elle est passée avec désinvolture à travers les différentes fois religieuses. Née protestante, elle a fréquenté l'une des meilleures écoles catholiques de Los Angeles, a épousé un juif lors d'un mariage civil et est finalement devenue anglicane par son mariage. D'ailleurs, qu'importe la foi? Ce qui compte, c'est la fierté ethnique, peut-être même un peu de nationalisme américain importé à la cour du palais de Buckingham, et beaucoup d'esprit postmoderne, celui qui a commencé en Californie avec "68", les fils des fleurs, le discrédit de la famille, l'hostilité envers les institutions, perçues comme répressives, la vitalité de la jeunesse.
Les chroniques roses auront beaucoup à raconter sur ce Royal Wedding, mais entre-temps, la New Society a fait aujourd'hui un grand pas en avant de plus.
En conclusion
La seule question qui reste sans réponse est: QUE PENSE LA REINE?
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